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Lalive, Pierre, Ordre Public Transnational (ou Réellement International) Et Arbitrage International. Rev.d.Arb. 1986, at 329 et seq.

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Lalive, Pierre, Ordre Public Transnational (ou Réellement International) Et Arbitrage International. Rev.d.Arb. 1986, at 329 et seq.
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ORDRE PUBLIC TRANSNATIONAL (OU RÉELLEMENT INTERNATIONAL) ET ARBITRAGE INTERNATIONAL

par Pierre LALIVE

Professeur à l'Université de Genève, Membre de l'Institut de Droit international, Membre de l'I.C.C.A.

Avertissement

Le texte qui suit constitue la quatrième et dernière partie du Rapport présenté par l'auteur au VIIIe Congrès international d'arbitrage de l'I.C.C.A. à New York, en mai 1986, Rapport qui sera publié in extenso, en anglais, dans les « Congress Series » (volume 3), série que dirige le Professeur P. Sanders.

Les parties I et II - destinées à éclairer le sujet de l'ordre public transnational dans l'arbitrage - contenaient des considérations générales sur la notion, les rôles et les caractères de l'ordre public (et quelques notions voisines) en droit international privé et insistaient sur la position spécifique de l'arbitre international.

Dans une partie III, le rapporteur examinait les décisions judiciaires susceptibles d'être interprétées « comme révélant, peu ou prou, l'apparition d'un ordre public transnational » et son examen portait tour à tour sur la formation de règles spécifiques pour les relations internationales, l'application de règles communes à plusieurs systèmes, la protection des lois impératives étrangères ou de l'ordre public étranger, et enfin l'ordre public transnational et le droit international public. Cette partie s'achevait par la constatation que « dans un certain nombre de cas, toujours plus nombreux semble-t-il, le juge national n'avait pas hésité à reconnaître une notion plus large, plus internationale voire supranationale de l'ordre public, consacrant non seulement 330 les intérêts vitaux de la Société nationale à laquelle il appartient, mais aussi d'une communauté internationale plus large ». Cela étant, le Rapport en vient à se demander si « l'arbitre international ne doit pas, lui aussi, et a fortiori, tenir compte de, et faire prévaloir, l'ordre public transnational ».

« L'ordre moral du monde a ses droits comme l'ordre matériel ».

Louis Kossuth (Souvenirs et Ecrits de mon Exil)

Introduction

1. Dans tout le domaine, en pleine expansion, de l'arbitrage commercial international, il est sans doute peu de thèmes plus flous, plus difficiles à saisir et plus controversés que celui de l'existence même, du contenu et de la fonction d'un « ordre public » qui serait « réellement » ou « véritablement » international et qu'il est préférable de nommer, ne fût-ce que par commodité, « transnational ». Il est à peine besoin de souligner l'exceptionnelle difficulté de ce sujet, pour des raisons tenant à la fois aux sources et à l'objet du présent Rapport.

2. Quant aux sources, on sait combien il est malaisé d'y accéder et d'obtenir une vue d'ensemble de la pratique arbitrale. Et ce que l'on en connaît apparaît particulièrement pauvre, pour une pluralité de raisons qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler.

a) De par la nature des choses, les occasions offertes à un arbitre international de recourir au concept d'ordre public transnational paraissent devoir être peu fréquentes ; ceci dans la mesure où, l'arbitre ne pouvant être saisi que par les parties, c'est à l'une d'elles qu'il appartiendrait d'invoquer un contrat dont la conclusion ou l'exécution serait contraire à un ordre public véritablement international ! L'exemple classique de la corruption est édifiant à cet égard.

b) Alors même que l'occasion se présenterait, il n'est pas certain que l'arbitre international aurait le courage, certains diront l'imprudence, de s'exprimer en formules novatrices (impliquant par exemple l'ordre public transnational) là où il peut motiver sa décision selon des schémas plus traditionnels, et plus aptes à assurer la reconnaissance et l'exécution judiciaires de la sentence dans les divers Etats intéressés.

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A la différence du juge étatique, qui a toute l'autorité voulue pour se prononcer, le cas échéant, sur la base d'un ordre public (international-étatique ou même transnational) inspiré de la politique internationale de cet Etat, l'arbitre, lui, préférera n'invoquer que des règles ou des notions (pas nécessairement étatiques, peut-être) appuyées par une opinio juris bien établie ; ce qui pourra certes être le cas d'une intervention de l'ordre public transnational fondé sur des considérations d'éthique sociale, mais plus difficilement dans le cas d'un ordre public transnational imprégné de considérations politiques.

c) D'une façon générale, on conçoit que l'arbitre international use avec retenue de son pouvoir prétorien et s'abstienne de recourir sans nécessité à des concepts ou des standards aussi relatifs et peu susceptibles de définition précise que celui d'ordre public. A cet égard, on notera combien il est plus aisé, pour l'arbitre international, de se référer au besoin à l'ordre public international étatique, dont les précédents judiciaires permettent d'établir sans grands problèmes la réalité et les contours.

3. On ne saurait conclure toutefois de l'apparente pauvreté de la « jurisprudence arbitrale » en la matière, à l'inexistence ou à l'inutilité du concept d'ordre public transnational. Une première preuve en est le fait, constaté plus haut, que diverses décisions judiciaires ont fait référence à, ou ont même consacré, la notion d'un ordre public commun, réellement international ou universel, dans des cas appropriés, et ce fait est d'autant plus significatif que, le plus souvent, le juge serait parvenu au même résultat pratique en recourant à la notion de l'ordre public traditionnel dans son droit international privé.

4. On est porté à penser que, si le juge étatique n'a pas hésité à admettre la notion d'ordre public transnational, l'arbitre international ; lui, en quelque sorte a fortiori, répétons-le, et de par sa fonction même (a) peut le faire et (b) devrait être naturellement enclin à s'y référer au besoin. Ceci pour en tirer des conclusions pratiques, soit négatives (éviction de la loi ou des règles normalement applicables), soit positives (application impérative et « prioritaire » de certaines normes ou principes supérieurs et fondamentaux pour 1e droit du commerce international). Et ceci, dans les deux cas, en vue de la protection de certaines valeurs essentielles et des intérêts de la Société internationale (des commerçants et des Etats). Délié de tonte allégeance étatique, par la nature de sa fonction, l'arbitre international pouvait être, on l'a vu, plus mal placé que le juge pour 332 définir (au moins dans un cas primae impressionis) le contenu d'un ordre public international étatique. Il est en revanche mieux placé que le juge étatique pour connaître et comprendre les exigences spécifiques de la Communauté internationale (au moins celles des commerçants), et c'est du reste là précisément l'une des raisons pour lesquelles les parties ont, ex hypothesi, recouru à l'arbitrage.

5. Certes, la tâche de déceler, dans un cas particulier, l'existence d'un ordre public transnational peut se révéler difficile. Mais on ne voit pas en quoi, a priori, elle serait beaucoup plus malaisée que, dans bien des cas, la tâche de l'arbitre international appelé à dégager et définir, puis à appliquer, les usages du commerce international ou d'autres règles « anationales » si elles sont applicables.

6. En fait, les deux tâches paraissent très voisines, voire identiques, sous réserve des précisions qui seront apportées plus loin : et il est en tout cas intéressant de comparer aux problèmes discutés dans le présent Rapport celui que pose à l'arbitre l'application (et par conséquent la détermination préalable) de la lex mercatoria. Citons ici, aux fins d'une rapide comparaison, une excellente étude récente du Professeur Ole Lando1 :

« An arbitrator applying the lex mercatoria will act as an inventor more often than one who applies national law. Faced with the restrictive legal material which the law merchant offers, he must often seek guidance elsewhere. His main source is the various legal systems. When they conflict he must make a choice or find a new solution. The lex mercatoria often becomes a creative process by this means. 333 Arbitrators of different nationalities who have applied the lex mercatoria in collegiate arbitral tribunals have not experiences great difficulties in reaching consensus... Most arbitrators have common ethics and common notions of how business should be conducted. That leads them in the same direction... In their attempt to give reasons they sometimes realise that the issue is governed by a rule which has still to be framed. Even courts sometimes face such situations ».

7. Les études les plus récentes semblent bien admettre, dans leur majorité, l'existence d'une pratique arbitrale, au moins en Europe, de plus en plus favorable à l'application, si le contrat ne s'y oppose pas, de la lex mercatoria à des litiges internationaux. On notera en passant, quant au contenu de cette nouvelle law merchant qu'il comprendrait (selon l'étude de Lando qui vient d'être mentionnée) des éléments empruntés à diverses sources, comme le droit international public2.

8. On observera aussi que cette tendance des arbitres a reçu, à une époque récente, des appuis significatifs, dans la doctrine et dans certaines conventions internationales3, ainsi que - ce qui est sans doute encore plus intéressant - l'appui de certaines législations (comme le décret français), ou de certaines jurisprudences, française, autrichienne et italienne notamment4.

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9. Ces diverses indications (rapprochées de la constatation, faite plus haut, d'une certaine reconnaissance judiciaire de l'existence d'un ordre public transnational) sont significatives : elles contribuent à. justifier l'idée qu'il existe bien une même tendance générale à une prise de conscience graduelle (par-delà les particularismes juridiques et, notamment, l'occasionnel égoïsme de chaque ordre public international étatique), d'une solidarité internationale accrue - ce dont témoignait déjà la tendance moderne à rejeter le prétendu principe d'inapplicabilité du droit public étranger et à tenir compte, sous certaines conditions, d'un ordre public étranger ou de lois de police étrangères.

10. Au bénéfice de ces quelques observations générales, de caractère exploratoire, nous pouvons maintenant passer en revue quelques-uns des exemples (réels ou simplement probables, voire possibles) de recours par l'arbitre à l'ordre public transnational.

11. A ce sujet, deux remarques préliminaires paraissent opportunes :

Premièrement, vu la grande rareté, déjà signalée, des décisions arbitrales en la matière, il se justifie de raisonner, par analogie, à partir d'exemples tirés de la pratique judiciaire, dans des cas dont il est facile d'imaginer qu'ils auraient pu, et pourront à l'avenir, se présenter aussi devant des arbitres internationaux.

Deuxièmement, il n'est pas toujours aisé de discerner, à travers la pratique et la diversité du vocabulaire utilisé, ce qui relève vraiment de la notion d'ordre public transnational de ce qui concerne « simplement », si l'on peut dire, les principes généraux, communs, ou encore fondamentaux du droit du commerce international, de la lex mercatoria, d'un « droit transnational » en formation, ou encore d'un « droit international des contrats ». On peut penser que, parmi ces principes, seuls ceux qui apparaissent comme essentiels, comme appuyés par un consensus très large sinon universel, comme jouissant, vu leur importance, d'une force et d'une impérativité particulières, mériteront d'être considérés comme constituant le concept d'ordre public transnational.

12. En droit international privé étatique, ou « interne », une caractéristique du concept d'ordre public international était ce qu'on peut appeler sa « polyvalence », c'est-à-dire sa faculté d'intervention dans les domaines les plus divers. Il en est de même 335 Sur le terrain des relations transnationales, pour autant bien sûr qu'elles intéressent le commerce. Pour la commodité de l'exposé, nous allons classer les divers exemples évoqués en cinq catégories, sans méconnaître la possibilité de nombreux chevauchements et le caractère assez arbitraire de toute tentative de classification.

I. LA VALIDITÉ DU CONTRAT

13. Si l'on garde présente à l'esprit cette vérité d'évidence que tout arbitrage international est fondé sur un contrat et a pour objet la solution d'un litige contractuel, on comprendra que ce soit d'abord dans le domaine du droit des contrats que l'on a le plus de chances de trouver des exemples de reconnaissance de principes fondamentaux susceptibles de nourrir le concept d'ordre public transnational. On a vu plus haut diverses allusions à des interventions du juge ou de l'arbitre pour protéger les « bonnes mœurs », les principes fondamentaux d'une moralité contractuelle générale.

14. Contrairement à ce que l'on pourrait croire à lire certaines études sur le sujet, la reconnaissance par l'arbitre international du caractère immoral de certaines transactions ne date pas de 1963, avec la fameuse sentence Lagergren, justement célèbre d'ailleurs, et qui sera citée plus loin. Dans diverses sentences relativement anciennes, l'ordre public a été mis en œuvre, au siècle dernier, pour sauvegarder les bonnes mœurs dans les relations du commerce international.

15. C'est ainsi que les deux affaires des navires « Créole » et « Marie Luz », jugées respectivement par la Commission mixte de Londres, le 15 janvier 1855, et par le Tsar de Russie, les 17-29 mai 18755, en fait en sens opposé mais sur la base de considérations juridiques voisines, illustrent de façon significative le rôle de l'ordre public transnational (ou, comme on aurait dit plutôt à l'époque, « de droit des gens ») en matière de droits de l'homme et, plus précisément, en matière d'esclavage. L'état de fait des deux affaires est assez différent, mais il 336 posait la même question essentielle dans le présent contexte fallait-il reconnaître le droit de propriété d'une personne sur des esclaves que le « propriétaire » faisait transporter dans un navire qui n'avait pas pu arriver à la destination initialement prévue, ensuite d'une révolte des esclaves dans le cas du navire « Créole », et à la suite, dans le cas du « Maria Luz » d'une libération par les autorités japonaises du port d'escale ?

16. La première sentence, de 1855, reconnaît le droit du propriétaire sur ses esclaves, mais en des termes qui méritent d'être cités et qui permettent de conclure, sans hésitation, que des arbitres statuant aujourd'hui arriveraient à un résultat inverse, sur la base de l'ordre public transnational :

« Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de rapporter ici des autorités pour démontrer que l'esclavage, quoique odieux et contraire aux principes de justice et d'humanité, peut être établi par la loi d'une contrée ; et que, ayant été ainsi établi dans plusieurs contrées, il ne veut pas être contraire à la loi des nations ».

17. La seconde sentence, de 1875, considère que, en libérant les esclaves, conformément à « ses propres lois et coutumes », le Gouvernement japonais n'a pas enfreint « les prescriptions générales du droit des gens ni les stipulations des traités particuliers ». La décision paraît avoir un intérêt surtout historique et elle eût été sans doute plus significative si le Japon avait été lié par un traité bilatéral lui interdisant son intervention, mais s'était réclamé néanmoins d'un principe supérieur d'humanité ou de droit des gens.

18. Quant à la corruption, la sentence rendue par M. Lagergren dans un arbitrage C.C.I.6 a été trop souvent commentée, et tout récemment dans l'important Rapport de notre collègue Böckstiegel sur l'ordre public et l'arbitrabilité (p. 44-46), pour appeler ici de longs développements. Rares sont ceux qui contesteront le bien-fondé, sur le fond, des observations de l'arbitre Lagergren : « contracts which seriously violate bonos mores or international public policy are invalid... ».

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19. Il est intéressant de noter que, tout en se référant à la loi française comme loi applicable au contrat, et en observant au passage, probablement ex abundanti cautela, que la loi argentine contenait des dispositions analogues, l'arbitre s'est bien référé à un principe général de droit, jugé fondamental (l'interdiction de la « bribery ») et à l'effet destructeur de sa violation sur le commerce international : « such corruption is an international evil ; it is contrary to good morals and to an international public policy common to the community of nations... ».

20. Il est sans intérêt pour le présent débat que l'arbitre Lagergren, peut-être sous l'influence d'une conception britannique traditionnelle, qui n'a pas encore accepté la doctrine largement dominante de l'autonomie, ou separability de la clause compromissoire, ait cru devoir décliner sa compétence, une solution généralement condamnée par les auteurs les plus récents, comme Goldman, El-Kosheri et Leboulanger, et par notre collègue Böckstiegel7.

21. On approuvera donc, au moins de ce point de vue, l'approche adoptée par un arbitre autrichien dans une sentence récente. Sur le fond du problème, il y a lieu de noter que ledit arbitre autrichien, par une prudence assez fréquente, n'a pas voulu manquer de fonder sa condamnation de la corruption sur une loi nationale, la loi française applicable en l'espèce, tout en observant :

« Finalement, on peut aussi apprécier l'affaire, en dehors de toute loi nationale, d'après ce qui est considéré comme étant la moralité dans les affaires internationales ».

22. On peut voir dans la condamnation arbitrale de la corruption l'application d'un principe général de droit « reconnu par les nations civilisées » ou encore la consécration d'une « règle matérielle d'application immédiate », aussi bien que le recours à un « ordre public transnational » ; quelles que soient les étiquettes, c'est bien la même notion qui est en cause.

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23. De ce point de vue, l'attitude des arbitres semble en parfait accord avec celle des juridictions étatiques, comme le montre une récente décision du Bundesgerichtshof allemand8 où une ancienne décision de la Cour Suprême des Etats-Unis qui, le 24 avril 1881, refusait déjà le paiement d'une commission en rémunération de trafics d'influences, et ceci même, comme l'observe Lambert Matray, après constatation que l'Etat dont le ressortissant était en. cause dans le cas tranché acceptait la façon de faire litigieuse !9

24. Dans une sentence C.C.I. de 198210, la question s'est posée de la validité d'un ensemble de contrats conclus entre deux entreprises yougoslaves et des entreprises étrangères. Il s'agissait d'une double opération, d'importation et d'exportation, cette dernière partie de l'acte étant fictive et destinée uniquement à permettre aux entreprises yougoslaves d'obtenir - en violation des dispositions yougoslaves sur les opérations de crédit avec l'étranger - un crédit en devises étrangères pour l'achat de biens de consommation. Après avoir déterminé la véritable portée de ce complexe contractuel et établi la violation de la loi yougoslave, les arbitres ont conclu que les opérations en question étaient « contraires non seulement à la législation yougoslave, mais encore à la morale et aux bonnes mœurs ». De l'avis des arbitres, le contrat, ayant un objet contraire à des lois impératives ou d'ordre public, à la morale et aux bonnes mœurs, était « nul d'une nullité absolue » :

« Ce principe est admis dans tous les pays et par toutes les législations. Il constitue une règle internationale, un élément du droit commun des contrats dans le domaine international. En l'espèce, les parties ont sciemment passé un contrat fictif, en violation de la législation yougoslave qui régit le contrat, et en procurant à l'exportateur fictif un crédit lui-même fictif qu'il n'aurait pas obtenu autrement. Il y a donc à la fois, violation de la loi, de la morale et des bonnes mœurs ».

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25. Dans une autre sentence C.C.I.11, les arbitres ne se sont pas laissé abuser par l'apparence légale du contrat de commission, et ont jugé que le versement de « pots-de-vin » par une entreprise britannique était la cause de l'engagement souscrit par une entreprise française. Concluant à la nullité du contrat, les arbitres ont précisé que

« Cette solution n'est pas seulement conforme à l'ordre public français interne, elle résulte également de la conception de l'ordre public international tel que la plupart des nations le reconnaît ».

26. Dans une autre affaire, franco-iranienne cette fois, le défendeur objectait que les commissions réclamées par le défendeur n'étaient pas dues, au motif que le contrat de base était entaché de nullité absolue12. La sentence établit, elle aussi, la nullité du contrat, mais prend soin de fonder sa conclusion sur une analyse détaillée tant de la législation iranienne que de la législation française après avoir observé en fait que, pendant les années où les travaux se déroulaient en Iran « la corruption ou tout au moins la vente d'influences y était de pratique constante » si bien qu'il « était extrêmement difficile sinon impossible d'obtenir des contrats pour travaux publics sans recourir à ces moyens », le Gouvernement ayant en vain tenté de remédier à cet état de choses par de nombreuses lois.

27. Dans sa formulation, la sentence est moins explicite que les précédentes quant à l'existence d'un ordre public véritablement international mais reflète le même courant de pensée.

28. Ainsi que le précise encore la sentence C.C.I. nº 2730, de 1982, déjà citée, la contrariété aux bonnes mœurs des pratiques de corruption et de vente d'influence repose sur une règle « véritablement » internationale, et il n'est pas douteux que cette règle doive être considérée comme d'ordre public transnational.

29. Certes, la notion de « bonnes mœurs » dans les relations commerciales internationales a des contours évolutifs et flous (comme d'ailleurs, mutatis mutandis, celle des « bonnes mœurs » 340 en droit interne, encore qu'à un moindre degré, s'agissant d'une communauté plus homogène que la communauté internationale). Il est néanmoins possible d'affirmer que l'ordre public transnational est ici menacé par des comportements directement hostiles à des principes dont le fondement éthico-juridique est généralement admis. Au demeurant, la répression de ces comportements n'est pas seulement prévue (sinon toujours effectivement appliquée) par les lois internes de la plupart des pays; le caractère répréhensible de ces pratiques résulte aussi d'une série de textes internationaux, dont on se bornera à rappeler ici, à titre d'exemple, ceux qui émanent de l'Organisation des Nations Unies13, de la Chambre de commerce internationale14 et des Communautés européennes15.

30. Dès lors que, comme on le sait, l'arbitrage international est devenu « le moyen ordinaire » et normal de solution des litiges du commerce international, la fonction de l'arbitre n'est plus (comme pourrait le laisser supposer la conception de l'arbitre Lagergren en 1963) de déclarer recevable ou irrecevable la requête d'arbitrage du demandeur (de commissions) selon le 341 degré de moralité contractuelle de ce dernier (un peu comme dans une doctrine de clean hands). La protection des intérêts supérieurs de la communauté internationale paraît bien plutôt recommander que l'arbitre ne renonce pas à juger sur le fond, et examine la conformité du contrat avec l'ordre public transnational.

31. Seront aussi considérées comme contraires aux « bonnes mœurs » (une composante centrale de la notion d'ordre public transnational), outre les accords entachés de corruption, les pratiques contractuelles favorisant le trafic de la drogue16, le terrorisme, le trafic des armes de guerre entre particuliers (souvent considéré comme contraire à l'ordre public international étatique, et ceci dam lies pays mêmes qui entendent se réserver le monopole de cette lucrative et peu reluisante activité !), les accords destinés à favoriser la subversion (par exemple par l'engagement de mercenaires) ou des violations des droits de l'homme17, etc...

32. Il en sera de même des pratiques contractuelles en matière de transfert illicite des biens culturels (étant toutefois remarqué, en passant, que le consensus international existant en la matière apparaît plus limité que les textes de l'UNESCO le donneraient à penser, en raison des conflits d'intérêts entre pays importateurs 342 et pays exportateurs de biens culturels, notamment d'œuvres d'art)18.

33. En ces diverses matières, la pratique arbitrale ne manquera pas de s'inspirer utilement des solutions dégagées par les tribunaux, et qui expriment une prise de conscience certaine d'une croissante solidarité internationale et de l'émergence d'un ordre public transnational, ainsi qu'on l'a vu dans la troisième partie du présent Rapport.

34. La validité du contrat peut encore être mise en cause devant l'arbitre dans d'autres matières s'agissant par exemple de contrats destinés à tourner des mesures d'embargo recommandées par l'organisation internationale (ainsi dans le cas bien connu des sanctions contre la Rhodésie). Ici encore, la pratique des arbitres pourrait être amenée à développer et à préciser les acquis des jurisprudences étatiques, notamment par l'intermédiaire de la notion de « bonnes mœurs » ou de comitas gentium. Imaginons ainsi qu'une affaire comme le litige Regazzoni c/ Sethia19 soit portée devant un arbitre international. On ne saurait exclure que celui-ci, malgré une réticence naturelle à prendre des positions politiques, réagisse d'une manière analogue à celle des juges anglais.

II. DROIT COMMUN DE L'ARBITRAGE INTERNATIONAL

35. Il est permis d'affirmer qu'un certain nombre de principes essentiels du droit international de l'arbitrage ont acquis déjà la nature, ou la « dignité », de principes généraux du droit du commerce international, si bien que les arbitres n'hésitent pas à les appliquer à titre de droit commun (les étiquettes étant ici secondaires, que l'on parle de droit international privé matériel commun - à un ensemble de pays - ou commun au droit international et au droit international privé interne, ou que l'on 343 parle de lex mercatoria, etc...). Il est essentiel de reconnaître à, ces principes le bénéfice de l'acceptation générale et du « consensus » dont ils jouissent dans la pratique internationale (d'autres principes paraissant en voie de les acquérir). Mais en résulte-t-il que ces principes doivent nécessairement s'imposer, en tant que constitutifs d'un ordre public transnational, contre les règles normalement applicables, par exemple choisies par les parties « directement » ou par la méthode classique de choix d'une loi interne ?

36. On pourrait aussi se demander - encore que l'hypothèse paraisse devoir rester rare - si l'ordre public transnational de l'arbitre devrait le conduire à écarter, le cas échéant, l'intervention de l'ordre public international d'un Etat déterminé, que ce soit celui du lieu où se déroule l'arbitrage ou celui d'un des Etats en contact avec le litige20.

37. Une réponse générale et abstraite n'a guère de sens ici, s'agissant au surplus d'un concept aussi évolutif que celui d'ordre public, qu'il s'agit on le sait d'apprécier in concreto, à la lumière de toutes les circonstances de l'espèce. On peut dire néanmoins que, d'une part l'acceptation générale de certains principes du droit de l'arbitrage, d'autre part le caractère fondamental de leur contenu devraient aboutir à leur faire reconnaître une impérativité particulière, les élevant au « rang » de l'ordre public transnational.

38. Tel semble bien être le cas pour plusieurs, voire la totalité des principes qui consacrent l'impossibilité pour l'Etat contractant, ou une entité ou société publique, « a) de se prévaloir après coup d'une incapacité de compromettre ; (b) de se prévaloir d'une absence de pouvoirs spéciaux pour contester la validité de l'engagement d'arbitrage ; (c) de résilier unilatéralement une clause d'arbitrage international, soit directement, soit par le biais d'une législation rétroactive ; (d) de prétendre que l'immunité de juridiction entraînerait l'invalidité de la clause arbitrale et, partant, l'incompétence de l'arbitre ; (e) d'invoquer la souveraineté de l'Etat comme suffisant à justifier l'interprétation restrictive de l'engagement d'arbitrage contenu dans un contrat international.

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A) Inarbitrabilité subjective ou incapacité de l'État à compromettre

39. On ne reviendra pas ici sur les analyses et les distinctions proposées par M. Böckstiegel dans son Rapport (p. 47 et s.) et dans ses autres ouvrages et chacun connaît le major role que cette question a joué dans l'arbitrage international commercial. On connaît aussi la réponse que certaines jurisprudences étatiques particulièrement éclairées, comme la jurisprudence française, ont su trouver à l'objection tirée par l'Etat ou une personne publique de sa propre incapacité à compromettre selon son droit interne ; cette réponse a consisté, selon les interprétations, en la création d'une règle nationale de droit international privé matériel ou en l'intervention de l'ordre public international positif. Si l'on qualifie la question, de question de capacité, on admettra, en droit international privé classique, la force de l'argument en faveur d'une application de la loi du « statut personnel », c'est-à-dire de l'Etat ou de la personne publique en cause. Si telle est la loi normalement compétente, c'est donc bien le concept d'ordre public qui a vocation à l'écarter, pour éviter un résultat inadmissible du point de vue moral, en même temps que nuisible aux intérêts mêmes de l'Etat comme opérateur du commerce international.

40. Là où les tribunaux de l'Etat en cause n'ont pas su, ou pas voulu, trouver la riposte adéquate (par exemple par la limitation de l' « incapacité » aux seules situations internes), la question peut se présenter à l'arbitre international sous la forme d'une exception d'incompétence. Il est certain, à ce sujet, que la tendance générale des arbitres est aujourd'hui de rejeter ce genre de défense, sur la base d'une double motivation générale (qui peut s'exprimer par des formules diverses, comme le note très bien Böckstiegel (p. 49-50, et 48) : recours au principe de la bonne foi, à la notion de venire contra factum proprium, au concept de l'abus de droit, de l'estoppel ou de l'ordre public international) : d'une part, une raison morale évidente interdit à la partie étatique, après avoir signé l'engagement d'arbitrage, de se prévaloir de son incapacité « interne » ; d'autre part, pareil comportement sape la confiance indispensable au fonctionnement normal du commerce international, notamment avec les Etats et elle est contraire aux intérêts généraux de ces derniers un argument renforcé, au demeurant, par la conduite même des Etats, dont l'immense majorité honore parfaitement les clauses d'arbitrage international. Par sa fonction même, de garant 345 d'une certaine « moralité contractuelle » fondamentale et de protecteur des intérêts supérieurs du commerce international, l'arbitre international est tout naturellement appelé à faire intervenir ici la notion d'ordre public transnational, au besoin en écartant l'application d'un ordre public international étatique en sens contraire. Un bon exemple de ce genre de situation est fourni par la récente sentence du 18 novembre 1983, dans un arbitrage ad hoc (Benteler c/ Etat belge)21. Le même principe est consacré expressément par l'article 170 al. 2 du projet de loi fédérale suisse de droit international privé.

B) Absence de pouvoirs spéciaux (du signataire de l'engagement d'arbitrage)

41. Des considérations analogues à celles qui ont été proposées pour le cas précédent peuvent être avancées ici. Le principe de la bonne foi comme la sécurité des transactions internationales exigent qu'un Etat ou une personne publique ne soit pas admis à se prévaloir, après coup (c'est-à-dire après la signature du contrat) d'irrégularités comme l'absence de pouvoirs spéciaux requis, par hypothèse, selon sa loi interne, pour la souscription d'engagements d'arbitrage. Mais des distinctions doivent être faites ici, comme le montre l'exemple d'une récente sentence C.C.I. (nº 3896), dans une affaire Framatome c/ A.E.O.I.22 il faut évidemment que le cocontractant étranger n'ait pas connu, ou dû connaître, les irrégularités en question, et qu'il ait pris des précautions raisonnables, dans les circonstances d'espèce, pour se renseigner.

42. Si l'on met à part l'exception (de la connaissance de l'irrégularité par le cocontractant étranger, ou d'un grave manquement à l'obligation de diligence raisonnable), on peut dire que la pratique arbitrale tend à rejeter, comme contraire à des principes fondamentaux du droit de l'arbitrage (incluant peut-être l'idée de favor validitatis) la défense, ou l'objection d'incompétence, fondée tant sur l'idée d'incapacité de compromettre que sur l'invalidité ou l'irrégularité formelle de l'engagement. On notera enfin que, pour le défendeur étatique, il est d'autant 346 plus malaisé de concilier de telles objections avec le principe supérieur de la bonne foi que, par la nature des choses, l'objection est souvent soulevée à une époque où le contrat principal (sinon la clause arbitrale elle-même) a déjà fait l'objet de mesures d'exécution par les deux parties, ce qui constitue une ratification par acte concluant !23

C) Résiliation unilatérale de l'engagement d'arbitrage

43. Les précédents les plus classiques, en la matière, sont l'affaire Losinger24, où le Royaume de Yougoslavie utilisa le procédé d'une législation rétroactive pour annuler la portée de son engagement d'arbitrage ou, plus récemment, la thèse initiale du Gouvernement Libyen dans l'affaire Topco-Calasiatic, déniant au Président de la Cour internationale de Justice toute compétence pour procéder à la désignation de l'arbitre au motif que l'engagement d'arbitrage lui conférant ce pouvoir de désignation avait été lui-même annulé, comme la clause arbitrale dans son ensemble, par le décret de nationalisation libyen25.

44. On peut voir ici une application du principe de la separability ou autonomie de la clause compromissoire, un principe très généralement reconnu (mais non universellement, puisque l'Angleterre, par exemple, paraît reluctant à s'y rallier26 ; mais il s'agit surtout d'une application directe de l'idée de bonne foi27 et d'un principe fondamental, autant que de bon sens, du droit de l'arbitrage international.

D) Immunité de juridiction ?

45. Un même principe fondamental, très voisin du précédent, est celui qui ne permet pas à l'Etat ayant souscrit à une 347 clause d'arbitrage international d'invoquer ensuite son immunité de juridiction et, par conséquent, l'incompétence de l'arbitre. Pareille objection est du reste en contradiction flagrante avec la conduite de la plupart des Etats, pour qui l'acceptation de la clause arbitrale est, ou est équivalente à, un waiver, peut-être implicite mais certain, de ladite immunité28.

E) Interprétation restrictive des engagements de l'État

46. Un principe sans doute différent, mais d'une inspiration très analogue, est celui - consacré par exemple dans une des sentences du C.I.R.D.I.29 - qui conduit l'arbitre international à rejeter la prétention de l'Etat selon qui sa qualité d'Etat souverain suffirait à justifier une interprétation restrictive de son engagement d'arbitrage contenu dans un contrat international. Il s'agit là, sans doute, d'une simple application du principe de l'égalité des parties dans l'arbitrage plutôt que d'un principe d'interprétation à proprement parler (qui pourrait difficilement être considéré, a priori, comme susceptible de composer ou de nourrir le concept d'ordre public transnational)30.

III. PROCÉDURE

47. Le premier principe fondamental du droit de l'arbitrage et, en particulier, de la procédure arbitrale est sans doute celui de l'impartialité de l'arbitre, qui rejoint, sans qu'il se recouvre totalement, le principe général de droit nemo iudex in causa 348 sua31. On se reportera ici au Rapport Schwebel-Lahne, qui contient de nombreuses illustrations des pratiques nationales ou, si l'on veut être plus précis, de cas d'application de ce que nous avons appelé l'ordre public international étatique (par opposition à l'ordre public transnational). Citons par exemple le cas, tranché par l'Oberlandesgericht de Cologne, le 10 juin 197632 où l'impartialité de l'arbitre a été considérée comme « un principe fondamental tant de l'ordre juridique allemand que de l'ordre juridique international ». Selon une autre décision allemande, cette fois de la Cour suprême33, l'interdiction de statuer en sa propre cause garantit l'impartialité du juge dans le procès et le respect de ce principe appartient aux règles inaliénables de toute procédure34.

48. Quant aux autres principes fondamentaux de toute procédure arbitrale, ils se ramènent à la notion d'égalité des parties et spécialement au vieux principe romain audiatur et altera pars (ou « principe du contradictoire »). C'est l'idée bien connue de due process, sur laquelle nous ne pouvons faire mieux que de citer ici le Rapport Schwebel (p. 18) :

« The fact that the public policy requirements of due process are so obvious in the conduct of arbitral proceedings has the result that cases in which such questions have arisen are neither many nor controversial35. The shared, general principles of international due process in this sphere are (a) equal treatment of the parties, (b) fair notice (both o f the appointment of arbitrators and the conduct of proceedings), and (c) fair opportunity to pre-sent the case. These principles characterize model laws and rules and municipal legislation as shown by UNCITRAL's Model Law, Article 19.3, Article 24.3, etc... ».

349

49. La remarquable convergence des jurisprudences nationales et des pratiques internes (ou, si l'on veut, de leur notion d'ordre public international), d'une part, et de l'autre la consécration des mêmes principes par des instruments internationaux comme la loi-modèle de la C.N.U.D.C.I. (ainsi d'ailleurs que la pratique de juridictions ou commissions internationales)36 suffisent à établir que les principes en cause font partie de l'ordre public transnational.

50. On peut se demander s'il en est ainsi de certains principes généraux en matière de preuve. La réponse est affirmative, sans aucun doute, en ce qui concerne par exemple l'inadmissibilité de la « preuve clandestine »37 qui serait une violation flagrante de l'égalité des parties. La question est plus délicate en revanche pour le principe actori incumbit probatio - jugé d'ordre public transnational par exemple par une sentence C.C.I. de 198138. Une certaine prudence semble s'imposer avant que l'on admette que tel ou tel principe ou telle idée s'est incarné déjà dans l'ordre public transnational. Deux ordres de considérations justifient pareille hésitation ou prudence : d'une part, la diversité des systèmes nationaux de procédure, le caractère souvent formaliste et très détaillé des lois en la matière freinent sans doute l'apparition de principes généraux de droit dégagés d'une analyse comparative, encore que la différence des systèmes semble s'estomper, au moins dans la pratique arbitrale. D'autre part, la nature même de l'arbitrage, et surtout de l'arbitrage international, s'oppose à la transposition pure et simple des principes généraux qui se dégageraient d'une comparaison des règles des procédures judiciaires nationales. On doit tenir compte, en particulier, des atténuations ou exceptions qu'entraîne 350 le principe supérieur de la bonne foi, notamment dans le domaine de la preuve. On lit par exemple, dans une sentence C.C.I. de 197539 :

51. Il n'est guère douteux que la pratique des arbitres révèle une certaine répugnance (du reste parfois exagérée et injustifiée) à se fonder sur une stricte répartition du fardeau de la preuve, comme en général sur une stricte application des règles de procédure. Le contexte et l'esprit général de l'arbitrage international, sa souplesse, le libéralisme et l'absence de formalisme caractéristiques de l'institution apparaissent donc peu favorables, en dehors des principes fondamentaux rappelés plus haut, à l'apparition ou à la reconnaissance de principes d'ordre public transnational par exemple en matière de preuve.

52. Sur le terrain de la compétence de l'arbitre, dont il a déjà été question plus haut, on peut se demander si le principe de la compétence-compétence de l'arbitre n'est pas devenu aujourd'hui (en dépit de la réticence de certains systèmes nationaux, d'inspiration anglo-américaine), un principe fondamental d'ordre public transnational, grâce surtout à la consécration qu'il a reçue de certains instruments internationaux. Une question analogue peut se poser à propos du principe de l'autonomie de la clause compromissoire, déjà citée.

53. Une interrogation analogue surgit quant à l'obligation de motiver la sentence, en l'absence d'un accord des parties en dispensant l'arbitre. La Convention de Genève de 1961 (article VIII) prévoit l'hypothèse de cette renonciation ou dispense (qui peut résulter du choix d'une certaine procédure). Il est clair pourtant que l'absence de motifs ne doit pas servir à masquer une atteinte aux droits de la défense.

351

IV. PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

54. Nous avons vu que l'arbitre international n'a pas, ex natura rerum, de lex fori et par conséquent de système national de droit international privé. Ceci ne veut pas dire, et ne peut pas vouloir dire, qu'il jouisse d'une liberté illimitée et n'ait pas de principes pour le guider, pour ne pas employer le terme (controversé, comme on le voit à propos de la notion de lex mercatoria pour des raisons de théorie générale inutiles à rappeler ici) de « système » de droit international privé. A notre avis, l'arbitre international dispose bien d'un droit international privé, et est limité par lui, et ce droit international privé ne peut être lui-même que « transnational », C'est-à-dire composé d'un certain nombre de principes généraux, soit communs à toutes les parties (et Etats) intéressés à une espèce déterminée, soit même universels.

55. Parmi les principes généraux de ce droit international privé commun, sur le nombre et le contenu desquels les opinions doctrinales ne manqueront pas de diverger, il paraît possible de citer, d'abord, ceux qui ont été mentionnés plus haut, sous d'autres rubriques, concernant la validité du contrat international, le droit de l'arbitrage ou même la procédure internationale, par exemple quant à l'impossibilité pour l'Etat au son entreprise publique de se prévaloir d'une incapacité posée par son droit interne, ou de résilier unilatéralement la clause arbitrale. Sans revenir sur ces exemples, on mentionnera ici trois principes généraux appartenant clairement au droit international privé (soit « conflictuel », soit « matériel ») : (a) celui de l'autonomie de la volonté, (b) celui du « lien le plus étroit » et (c) celui du respect de l'attente légitime des parties.

A) L'autonomie de la volonté

56. Il s'agit d'un principe si généralement reconnu dans tous les systèmes nationaux de droit international privé qu'on peut le tenir pour une coutume internationale40 ou pour un 352 « Principe général de droit reconnu par les nations civilisées » (au sens de l'article 38 § 3 du Statut de la Cour internationale de Justice) ou encore pour un élément central de la lex mercatoria. La reconnaissance du principe (sinon de ses limites ou modalités d'application) est si générale que, selon certains auteurs, lorsque les parties ont choisi la « loi » ou les « règles » applicables, la question du droit international privé de l'arbitre a été implicitement résolue et il serait superflu de chercher à le déterminer41.

57. Sur le plan pratique, ce point de vue est très compréhensible. II ne rend cependant pas compte de l'ensemble du problème, et ne permet par exemple pas de déterminer sur quelle base l'arbitre international trancherait une controverse sur les limites ou les modalités d'application dudit principe. Or ce ne peut être, en bonne logique, que sur la base d'un droit international privé transnational, commun. On peut citer à ce sujet une sentence C.C.I. de 197542 où l'arbitre analyse dans le détail la question de la loi applicable malgré l'existence d'un choix par les parties.

58. On peut se borner à ces quelques indications, tout en admettant qu'elles ont en général un intérêt plus théorique que pratique, dès lors que le choix (par les parties ou par l'arbitre) du droit ou des règles applicables, n'est pas un motif de refus de reconnaissance de la sentence, au sens de la Convention de New York de 1958 (article V) si bien que l'arbitre international jouit, comme l'a montré M. Yves Derains dans son Rapport (cf. en particulier, infra p. 377-384), de la plus large liberté.

59. Dans une sentence rendue sous l'égide de la C.C.I., en 1971, le défendeur avait insisté « sur l'idée que le pouvoir de choisir le droit applicable dérive nécessairement du droit et qu'il ne peut en conséquence recevoir aucun effet tant qu'il n'est pas rattaché à un système de droit quelconque »43. Rejetant 353 cet argument d'ordre logique (bien connu, et non dénué d'une parcelle de vérité), comme non pertinent, vu l'acceptation universelle de ce principe fondamental, nous avions alors exprimé l'avis suivant et n'en avons pas changé depuis :

« ... il y a peu de principes plus universellement admis en droit international privé que celui exprimé par l'expression courante proper law of the contract, selon lequel la loi régissant le contrat est celle qui a été choisie par les parties, soit expressément, soit (avec certaines différences ou nuances selon les divers systèmes) tacitement... Les parties ayant fait un choix exprès, il est inutile d'examiner les précédents ou la doctrine relative à l'intention tacite ou implicite ou au pouvoir du tribunal arbitral d'interférer dans la sélection d'un droit, ou bien quels sont les faits et éléments de l'affaire qui pourraient être considérés et pris en compte pour décider du système juridique avec lequel le contrat a le lien le plus étroit. L'arbitre n'a pas le pouvoir de substituer son propre choix à celui des parties, dès qu'il existe un choix exprès, clair et sans ambiguïté et aucune raison valable n'a été invoquée pour qu'il soit refusé de donner effet à un tel choix ».

60. Dans le même sens, la sentence Topco-Calasiatic, déjà citée, déclare que :

« Tous les systèmes juridiques, quels qu'ils soient, appliquent le principe de l'autonomie de la volonté aux contrats internationaux. Quant au fond, tous les systèmes juridiques consacrent ce principe, qui apparaît dès lors comme universellement reçu, même s'il ne lui est pas toujours donné exactement le même sens ou la même portée... »44.

61. Rappelons aussi que le principe de l'autonomie de la volonté est reconnu d'une manière beaucoup plus libérale dans le droit international privé (transnational) de l'arbitrage (et en particulier dans le cas des arbitrages impliquant un Etat ou une personne publique) que dans les systèmes nationaux de conflit de lois. C'est ainsi que sont reconnus par exemple la faculté pour les parties de choisir plusieurs lois pour leur contrat, d'introduire dans ce dernier des clauses dites de stabilisation ou d'intangibilité, de renoncer à, ou d'écarter, toute « loi » et de choisir des « règles » (comme en témoignent les instruments internationaux récents, de l'article 42 de la Convention de Washington de la Banque mondiale jusqu'au projet de 354 loi-modèle de la C.N.U.D.C.I.) [article 28 ; (i)], en passant par des textes comme celui de l'article 1496 du nouveau Code de procédure civile français (cités dans le Rapport Yves Derains, infra, p. 378)45.

62. Il paraît de plus en plus admis, en droit international privé de l'arbitrage, que le principe de l'autonomie de la volonté permet aux parties de « dénationaliser » leur contrat, par des clauses faisant référence à la bonne foi, à l'équité, aux principes généraux du droit, à la lex mercatoria, voire par des clauses de simple choix « négatif » écartant, en tout ou en partie, toute loi étatique déterminée46.

63. En résumé, selon un principe fondamental du droit international privé transnational, le choix par les parties de la « loi », des principes ou des règles régissant le contrat s'impose en règle générale aux arbitres du commerce international, qui n'ont pas le pouvoir de lui en substituer un autre.

64. Dans un cas tranché par la Commission d'arbitrage de la Chambre de commerce de Roumanie, les arbitres n'ont pas tenu compte du choix par les parties de la loi applicable, la loi grecque étant à leur avis plus appropriée à régir le contrat de vente de livres en question que la loi roumaine choisie47.

65. La démarche peut paraître plus proche de celle d'un juge étatique que de celle d'un arbitre international au sens occidental » du terme - ce qui peut s'expliquer par la nature particulière des institutions permanentes d'arbitrage des pays socialistes et l'importance du système de conflit de lois du siège dans ce contexte. On notera cependant que la décision 355 a le « mérite », si c'en est un, de préférer une loi « étrangère » à la loi du siège.

66. S'il est difficile d'admettre, en droit international privé de l'arbitrage commercial, d'une façon générale, pareille liberté d'écarter la loi ou les règles choisies par les parties, pour substituer, au jugement de ces dernières, le jugement de l'arbitre quant à ce qui est « le plus approprié », on pourrait, ou même devrait, admettre en revanche, à notre avis, la liberté pour l'arbitre international, et même le devoir, d'écarter le choix des parties au nom de l'ordre public réellement international ou transnational. Il y a là une transposition à la fois logique, opportune, et inévitable de la relation existant en droit international privé interne entre loi normalement compétente et ordre public international (étatique) au domaine de l'arbitrage international. On a vu d'ailleurs plus haut, sans qu'il soit nécessaire d'y revenir ici, dans quels cas (par exemple corruption, trafic de drogue, etc.) l'arbitre international peut et doit écarter les règles de droit applicables.

B) Le critère du lien le plus étroit

67. Toutes les règles de rattachement existantes en matière de contrats (dans les systèmes étatiques de droit international privé) semblent bien se fonder, à défaut de choix par les parties, sur cette idée de « lien le plus étroit » (dont il est superflu de rechercher ici s'il doit être territorial ou peut-être simplement rationnel). On peut donc considérer qu'il s'agirait ici aussi d'un principe général de droit international privé, principe affecté lui aussi, bien entendu, d'un coefficient d'indétermination. Cependant, vu la grande liberté de l'arbitre, soulignée par M. Derains, quant à la sélection du « droit » applicable (et compte tenu de l'absence d'une dichotomie profonde, ou d'une frontière précise entre rattachement subjectif et rattachement objectif), l'arbitre international est-il vraiment tenu (par un principe général de droit international privé transnational) à rechercher dans chaque cas la loi de l'Etat avec lequel l'opération contractuelle a les « liens les plus étroits » ? Sous cette forme, la question appelle une réponse négative, dès lors que la pratique contemporaine semble bien permettre à l'arbitre d'écarter, en l'absence de choix, toute loi étatique, ce qui revient pour lui à estimer en somme que le contrat a « les liens les plus étroits » avec la société internationale des commerçants (d'où recours à la lex 356 mercatoria, aux usages du commerce international, aux principes généraux, etc...

68. On hésitera pourtant peut-être à admettre que la liberté des arbitres soit ici illimitée ou doive être mise sur le même plan que l'autonomie de la volonté des parties. Cette question ne pouvant être approfondie dans les limites du présent Rapport, il suffira de conclure provisoirement que (toujours en l'absence de choix par les parties) l'arbitre international devrait s'inspirer du critère du « lien le plus étroit » (sans que ce lien doive être toujours et nécessairement « territorial », c'est-à-dire limité à une loi étatique).

C) Les attentes légitimes des parties

69. On peut penser qu'il existe, en droit international privé de l'arbitrage, un principe général obligeant l'arbitre à respecter les attentes légitimes des parties telles qu'elles résultent du contrat, conformément à la mission qui lui a été conférée. La fonction de l'arbitre, on le sait, telle qu'elle a été définie par les parties dans l'exercice de leur autonomie de la volonté, est d'apporter une solution au litige sur la base des règles choisies ou objectivement applicables et, peut-on ajouter, en sauvegardant les intérêts supérieurs du commerce international conformément aux communes expectations des parties. Qu'il s'agisse d'un « principe général » indépendant ou de l'un des éléments composants de la mission arbitrale n'est peut-être pas décisif. Mais l'on sent d'emblée que ces formules très générales ne sont pas indifférentes et que, selon que l'on met l'accent sur tel ou tel aspect particulier ou sur tel autre, on sera conduit à privilégier, le cas échéant, l'individualisme ou, à l'opposé, l'intervention d'un ordre public transnational susceptible de contredire la volonté commune des parties.

70. Une valeur fondamentale en ce domaine, et qui constitue l'une des justifications de l'autonomie de la volonté en droit international privé, est la prévisibilité. L'arbitre doit très certainement, dans l'accomplissement de sa mission, manifester ce que la Cour Suprême des Etats-Unis, dans le célèbre arrêt Mitsubishi c/ Soler, a appelé une « sensitivity to the need of the international commercial system for predictability in the resolution of disputes », et ceci par exemple dans l'utilisation 357 des règles ou des principes généralement reconnus d'interprétation des contrats48.

71. Encore faut-il que les attentes des parties soient légitimes, et c'est évidemment sur ce point, ou en raison de ce qualificatif, que l'arbitre international pourra être amené à tenir compte, non seulement, de l'ordre public international (classique) de l'un ou l'autre des Etats directement concernés, mais encore et surtout de l'ordre public transnational (des concepts qui, on l'a dit et il faut le répéter, se rejoignent souvent, mais qui pourraient aussi se contredire, auquel cas l'ordre public transnational devrait l'emporter).

V. AUTRES PRINCIPES GÉNÉRAUX

72. Il convient de mentionner brièvement enfin un certain nombre de principes généraux - déjà évoqués pour la plupart, dans d'autres contextes - dont beaucoup se rattachent au droit international public, plus ou moins directement, ou en découlent, qu'il s'agisse du droit international général ou du droit international conventionnel, ou si l'on préfère de ce qu'on peut appeler le « droit international économique ».

73. L'examen de la pratique tant judiciaire qu'arbitrale a révélé, dans un nombre non négligeable de cas, les interventions d'un ordre public transnational fondé sur, ou appuyé sur, une constatation de l'état actuel du droit international. Si l'on fait abstraction de principes tout à fait généraux comme celui de la bonne foi, de l'interdiction de l'abus de droit (estoppel, venire contra factum proprium) ou d'autres interventions d'une notion de « bonnes mœurs » universelle, ou d'une moralité contractuelle élémentaire, on constate que, dans bien des cas, l'application par l'arbitre de l'ordre public transnational (on devrait plutôt parler, 358 parfois, d' « application-création ») se fonde sur l'existence de certains traités internationaux multilatéraux ou d'autres textes internationaux (recommandations, résolutions d'organisations internationales, codes de conduite, etc...).

74. Disons un mot, au moins en passant, d'une forme particulière d'ordre public international que l'on pourrait appeler « multinational », par exemple européen (comme celui qui découle des articles 85 et 86 du Traité de Rome) ou, selon certains auteurs, des dispositions impératives des conditions générales uniformes pour la vente et la livraison des machines du C.A.E.M.49. Que cet ordre public commun ou communautaire soit intégré dans l'ordre juridique interne des Etats ne constitue pas un phénomène particulier et n'empêche pas qu'il s'agisse d'un ordre public transnational (non universel) ou « multinational ».

75. Dans les limites du présent Rapport, il n'est pas possible d'examiner dans quelle mesure un tel ordre public commun ou régional s'impose, par exemple, à un arbitrage international se déroulant dans un pays tiers, entre des parties dont l'une ou toutes les deux seraient étrangères à la communauté d'Etats en question. On se bornera, dans ce contexte, à rappeler l'idée que le droit de l'arbitrage international, si pénétré qu'il soit de libéralisme d'une manière générale, ne saurait être utilisé pour contourner ou « frauder » les dispositions strictement impératives et d'ordre public « international » (d'un Etat directement et légitimement rattaché à l'espèce) ou transnational50.

76. Revenons à l'ordre public transnational proprement dit, dont on a vu plus haut diverses interventions, dans la jurisprudence étatique comme dans la pratique arbitrale. Ce qu'il convient de mettre en lumière ici, c'est l'influence, dans sa constatation et sa détermination, de traités internationaux ou d'autres textes d'origine internationale.

77. Il en est ainsi dans le cas, classique, de la corruption, où l'on ne saurait minimiser l'influence des études, recomman- 359 dations ou résolutions de l'Organisation des Nations Unies, de la Chambre de commerce internationale ou des Communautés européennes51.

78. La même observation peut être faite au sujet du trafic de la drogue, et des importantes résolutions des Nations Unies52 ou encore en matière de terrorisme, pour les recommandations du Conseil de l'Europe, les résolutions des Nations Unies, ou l'accord des Communautés européennes concernant l'application de la Convention européenne sur la suppression du terrorisme53. Même observation encore quant à la protection internationale des droits de l'homme, à l'influence de la Déclaration universelle, et aux travaux de la Commission des droits de l'homme de l'O.N.U. ou de l'Organisation des Etats américains53. La même constatation avait été faite au début de ce Rapport à propos de la protection du patrimoine culturel des Etats et des Conventions de l'UNESCO, à propos desquelles la position la plus « engagée » semble avoir été celle des tribunaux allemands.

79. On distinguera bien entendu dans ce contexte le cas des principes généraux reconnus ou implicitement consacrés par des traités internationaux en vigueur, de celui où il s'agit de principes reconnus dans des traités non en vigueur ou non encore en vigueur. On distinguera d'autre part, non moins évidemment, l'influence des traités de celle d'autres textes de source internationale, et parmi eux les textes émanant d'organisations interétatiques (comme l'Assemblée générale des Nations Unies), l'O.C.D.E., ou d'organisations non gouvernementales comme la Chambre de commerce internationale.

80. Il n'est pas rare que les arbitres internationaux, notamment dans les litiges économiques suscités par des mesures de nationalisation ou d'abrogation unilatérale de contrats internationaux, aient dû s'interroger sur le rôle et la portée de certaines « résolutions » ou « recommandations » votées, ou adoptées par « consensus », par certaines assemblées internationales (ainsi lorsqu'ils avaient à appliquer des « principes généralement reconnus » ou des « principes communs du droit international 360 et au droit de l'Etat nationalisant »54, et à distinguer, face par exemple à l'invocation d'un « nouvel ordre économique international » la généralité plus ou moins grande de l'approbation accordée par la Société internationale. Des sentences arbitrales rendues dans le cas des nationalisations libyennes, notamment dans l'affaire Topco-Calasiatic, ainsi que, plus récemment, par la sentence du 24 mars 1982, dans l'affaire Aminoil c/ Gouvernement du Koweït sont particulièrement intéressantes à cet égard55.

81. Au-delà de la diversité des formulations arbitrales et des controverses, souvent politiques, qu'elles ne manquent pas de susciter, dans un combat qui n'est pas toujours purement doctrinal, on peut dégager au moins un trait commun ou une constante dans cette pratique : les arbitres du commerce international s'attachent toujours et en premier lieu, bien entendu, à dégager les règles applicables au litige, en interprétant la mission qui leur a été confiée dans une clause arbitrale, un compromis, ou une choice of law clause dont la précision est rarement la qualité dominante, pour des raisons bien connues. Ils peuvent donc être appelés à dégager, d'un ensemble de textes internationaux comme de la pratique des Etats, l'existence de principes généralement (ou universellement) reconnus - tâche difficile, certes, mais nullement impossible comme le montrent de nombreuses sentences arbitrales. Il restera à déterminer, le cas échéant, si ces principes s'imposent, soit directement de par le choix des parties, soit à titre de jus cogens ou d'ordre public transnational. Est-ce ici, surtout ou seulement, « affaire de sensibilité » pour reprendre l'expression utilisée par M. Derains à propos de l'ordre public international d'éviction ? L'arbitre va-t-il tomber dans la subjectivité ou l'arbitraire ? S'agit-il d'une fonction « créatrice de droit » dépassant les limites admissibles, au moins en l'absence 361 d'une clause d'amiable composition ? Telles sont quelques-unes des questions ou objections sur lesquelles il y a lieu, pour conclure, de prendre position.

CONCLUSION

82. Le thème du présent Rapport, on l'a souligné d'entrée de jeu mais il est nécessaire de le répéter, présentait des difficultés particulières, par son objet et par sa nature.

83. Par son objet, d'abord, puisque la notion même et l'existence d'un ordre public transnational, ou réellement international, sont contestées par beaucoup. A la différence des trois autres Rapports sur l'ordre public, les Rapports Böckstiegel, Derains et Schwebel-Lahne, celui-ci porterait-il sur un fantôme ou sur un mythe ?

84. Par sa nature aussi, son caractère à la fois « interdisciplinaire » et protéiforme, le thème du présent Rapport offre à l'analyste des difficultés considérables. Une raison en est, mais ce n'est pas la principale, qu'il touche (comme d'ailleurs le concept d'ordre public interne ou celui d'ordre public « international » du droit international privé étatique) à une très grande diversité de matières (contrats, procédure, droit de la concurrence, droit administratif, droits de l'homme, législation des changes, etc., etc.). Il s'agit d'un thème « transfrontières » dans tous les sens du mot, puisqu'il se situe à cheval sur le droit international privé et le droit international public et met en cause les rapports, en pleine évolution, du droit des gens et du droit interne dans le domaine des relations économiques internationales.

85. L'analyse qui précède fait apparaître, par exemple, l'interpénétration, dans la notion d'ordre public transnational, de l'ordre public réellement international du droit des gens. S'agissant ici d'arbitrage du commerce international, domaine en pleine expansion quantitative mais aussi, sans doute, qualitative, c'est-à-dire de la solution des litiges dans la « Société internationale des commerçants » (parmi lesquels les Etats et entités publiques jouent le rôle considérable que l'on sait), toute interrogation 362 sur le rôle de l'arbitre, sur ses fonctions spécifiques (comparées à celles du juge étatique) apparaît liée à une série de controverses fondamentales, sur l'organisation internationale, la définition du droit, le rôle des règles, des principes, des standards, le rôle des Etats, le pouvoir créateur du juge et de l'arbitre, et l'on en passe ! Pensons seulement ici aux débats sur la lex mercatoria, sur l'idée de « droit transnational », sur l'équité...

86. Le but du présent Rapport n'était pas, bien entendu, de rouvrir et encore moins de conclure de tels débats fondamentaux, à la fois théoriques et pratiques ; juridiques et politiques. Mais on concédera volontiers que le risque était grand, et peut-être impossible à éviter, de prendre parti incidemment, ne fût-ce que par le choix d'un vocabulaire déterminé.

87. Quoi qu'il en soit, on a souvent remarqué, en droit international privé, que le concept classique d'ordre public international (étatique) faisait intervenir le sentiment du droit et de la justice d'une communauté donnée. Peut-il en être autrement de l'ordre public transnational et de la communauté internationale (des commerçants ou des Etats, ou de tous les deux) et ne doit-on pas admettre, sans doute, que beaucoup, en dernière analyse, est « affaire de sensibilité » ou de Weltanschauung ?

88. Cela dit, les résultats de l'analyse qui précède nous paraissent pouvoir être résumés, aux fins de la discussion qui va s'ouvrir, dans les propositions suivantes :

A. Il existe une notion d'ordre public transnational, ou réellement international.

On l'a parfois contesté ou mis en doute, en particulier jusqu'à ces dernières années. On a vu plus haut l'évolution de la jurisprudence française à cet égard. Quant au Tribunal fédéral suisse, il a, dans un dictum, manifeste son incompréhension et son scepticisme (dans un arrêt de 1976)56 en observant qu'il 363 s'agissait « plutôt d'une formule proposée par certains auteurs qui ne lui attribuent d'ailleurs pas une signification bien précise et univoque ». Dans un sens analogue, le Président Jean Robert57 observait naguère, mais de façon nuancée, que « la jurisprudence, il faut le dire, n'a pas jusqu'à ce jour consacré la notion d'un ordre public réellement international » mais que, compte tenu par exemple des principes de la Déclaration européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950,

« il n'est pas à écarter que, dans un futur relativement proche, se constitue, à partir de cette base, la jurisprudence aidant, un ordre public réellement international ».

B. L'observation de la pratique, qu'il s'agisse de celle des juges étatiques (Partie III) ou de celle des arbitres (Partie IV) ne permet pas, aujourd'hui, de nier l'existence dé la notion d'ordre public transnational, ni la variété de ses applications possibles, ni son intérêt (un intérêt qu'il ne faut toutefois pas 364 surestimer, ainsi qu'on le verra plus loin). Face à cette constatation, il paraît assez, secondaire, croyons-nous, de distinguer, comme on l'a parfois proposé, entre l'ordre public « réellement international par son contenu mais national par sa source, de l'ordre public réellement international par son contenu comme par sa source »58.

C. Aucune raison théorique valable ne s'oppose à l'admission du concept d'un ordre public transnational ou réellement international, concept dont la pratique, que ce soit en droit des gens comme en droit du commerce international, a depuis fort longtemps reconnu la réalité.

(i) C'est en vain qu'on lui opposerait son flou et son imprécision, une objection qui s'applique aussi bien, ou plutôt aussi mal, au concept d'ordre public du droit international privé classique, c'est-à-dire étatique. Citons ici les justes observations d'Henri Rolin59 :

« Non moins que l'ordre public, les bonnes mœurs se dérobent à toute définition précise ou énumération exhaustive. A peine mentionnée dans la plupart des législations... la notion est le plus souvent incluse dans le concept " ordre public ". En fait, cependant, le souci du respect des bonnes mœurs intervient dans une large mesure dans l'élaboration du droit positif, non seulement comme source d'inspiration de la législation, mais comme point de départ d'une production jurisprudentielle exceptionnellement abondante et solide ».

(ii) « Substitut d'une véritable juridiction commerciale internationale », selon l'expression d'Ion Nestor60, l'arbitre international, lorsqu'il est appelé à « dire le droit » dans le règlement d'un litige, procède selon une pluralité de méthodes (règles de conflit ou de droit international privé matériel) et dispose d'une pluralité de sources. Dans la mesure en particulier où il 365 recourt à des principes généraux du droit et aux usages du commerce international, on ne saurait nier à notre avis qu'il contribue à l'élaboration du droit positif du commerce international. Or un concept d'ordre public fait nécessairement partie, comme un correctif ou un élément d'équité supérieur indispensable, de l'ensemble des règles pratiquées par l'arbitre international ou du « système juridique » (composite) qu'il applique et élabore à la fois61. - Quelques auteurs, surtout de droit international public, objectent que les « usages du commerce international », les principes généraux, le droit « transnational » ou la lex mercatoria, ne constituent pas per se un système juridique »62. L'objection est tout sauf convaincante : d'une part, en pratique, ni les parties, ni les arbitres, ni les juges étatiques ne se soucient de savoir si les règles ou principes appliqués dans l'arbitrage constituent ou non « un système ». D'autre part et surtout, comme l'ont montré Alf Ross et une doctrine surtout scandinave, il importe peu que la lex mercatoria constitue ou non un système ou un ensemble complet, l'ordre juridique interne n'étant pas davantage complet. Il est clair que certains théoriciens exagèrent les difficultés de détermination ou d'emploi de ces « principes généraux »63.

D. Dans l'arbitrage international, le concept d'ordre public transnational paraît avoir une double fonction, négative et positive (un peu, encore que d'une manière non identique, comme le concept d'ordre public international d'un droit international privé étatique) :

(i) Une fonction négative ou d'éviction, comparable en partie à celle de la « clause de réserve » du droit international privé classique, mais différente d'elle en ceci qu'elle peut conduire, non seulement à écarter, le cas échéant, les lois ou règles normalement applicables en vertu du choix des parties ou d'un rattachement objectif, mais encore à écarter l'intervention d'un 366 ordre public international étatique, voire, le cas échéant, à donner la préférence, au nom de l'ordre public transnational, à la conception que se fait (en matière d'ordre public international au sens classique) un Etat plutôt qu'à celle d'un autre : à supposer qu'un arbitre international ait été saisi de l'affaire Regazzoni c/ Sethia, il n'est guère douteux qu'il eût donné priorité à un ordre public transnational hostile à des mesures inspirées par l'apartheid. Il en serait évidemment de même du juge international, comme l'observait déjà, en 1932, J.P. Niboyet64 :

« Il (le juge) ne tiendra pas compte de la loi étrangère - ajoutons: ni de la règle d'ordre public national invoquée en la cause - si elle heurte l'ordre public international au sens strict du mot, c'est-à-dire celui des pays civilisés ».

Sur l'ordre public transnational d'éviction, on ajoutera deux observations : d'une part la question de son intervention a peu de chances de se poser dans tous les cas où les règles choisies par les parties, ou applicables au fond à un autre titre, sont des principes généraux ou des usages du commerce international ; d'autre part, la fonction « négative » apparaît accessoire, comme le remarque avec raison Julian Lew65 par rapport à la fonction « positive », en, laquelle elle va souvent être absorbée, le rôle principal de l'ordre public transnational étant d'influencer directement et positivement la décision des arbitres, dans les cas où sont en cause des notions fondamentales et universelles de moralité contractuelle ou les intérêts fondamentaux du commerce international.

E. Quant aux conditions d'intervention de l'ordre public transnational, elles présentent des analogies, mais non une identité, avec celles de la notion d'ordre public international étatique, du droit international privé classique. On a vu dans la première partie que, selon une condition connue en droit international privé comparé, la notion ne pouvait être mise en œuvre avec succès que si la situation litigieuse avait un lien suffisant avec l'Etat du for, qui devait, en d'autres termes, être suffisamment « concerné ». Pareille condition66 n'a en principe aucune raison d'être dans l'arbitrage international (au moins dans les 367 cas, normaux, où l'arbitrage se déroule dans un pays neutre, choisi précisément pour son absence de lien avec le litige). Pour l'arbitre international, la condition du « lien » est en quelque sorte toujours réalisée, par définition, dès lors que sont en jeu les intérêts du commerce international, et il est superflu de rappeler ici les risques de confusion et les erreurs auxquelles donne lieu la conception strictement territoriale du « siège » de l'arbitrage.

Le problème n'apparaît guère, semble-t-il, que dans le cas d'une éventuelle intervention à un ordre public transnational « régional » comme l'ordre public communautaire de la C.E.E. (notamment si l'arbitre a été choisi en dehors de ce milieu ou de cette communauté, et si les parties n'y appartiennent pas).

F. L'ordre public transnational s'impose aux parties comme à l'arbitre lui-même. Les premières ne sauraient par exemple, on l'a vu plus haut, obtenir par l'arbitrage international la consécration, directe ou indirecte, d'un contrat international contraire aux bonnes mœurs par son objet (trafic de drogue, aide à la subversion ou terrorisme, etc.) ou les circonstances de sa conclusion (corruption). Quant à l'arbitre, il commettrait lui-même une violation de l'ordre public transnational, dont il a aussi pour fonction d'assurer le respect, en sanctionnant de telles violations de la part des parties ou en admettant ou approuvant des comportements contraires à la bonne foi (ce qui serait le cas, par exemple, s'il approuvait ou consacrait, contrairement aux principes énoncés plus haut, l'invocation par l'Etat de son incapacité à compromettre ou une résiliation unilatérale de l'engagement d'arbitrage). Les mêmes principes valent, on l'a vu, sur le terrain de la procédure arbitrale. Manque ainsi gravement à son devoir d'imposer le respect de l'ordre public transnational, à notre avis, l'arbitre qui (ainsi qu'on l'a vu dans une récente sentence C.C.I.) s'incline devant la raison d'Etat et admet la force majeure alléguée par une partie sur la base d'un acte de gouvernement clandestin, attesté par un témoignage oral et indirect présenté des années après l'inexécution du contrat !

On s'est demandé si l'arbitre devait faire intervenir le concept d'ordre public transnational, ses conditions étant par hypothèse réalisées, seulement sur la demande d'une partie ou d'office. Il est difficile de donner une réponse générale à cette question, si l'on prend en compte le caractère relatif et évolutif de la notion et la diversité de ses cas d'application, mais l'application d'office paraîtra devoir être préférée dans tous les cas où des 368 valeurs éthiques et sociales tout à fait fondamentales sont en cause et où une décision faisant abstraction de cet ordre public serait de nature, pour reprendre les termes de la Cour Suprême des Etats-Unis dans l'arrêt Scherk, « damage the fabric of international commerce and trade » ou, pour user d'une autre formule, se révélait incompatible avec des principes de justice universels.

G. L'examen de la pratique tant judiciaire qu'arbitrale a montré l'existence d'une large coïncidence entre le domaine de l'ordre public international « classique » des Etats et l'ordre public transnational, l'un nourrissant les autres et les autres nourrissant l'un (sans qu'il importe ici de rechercher selon quel processus ou dans quel sens se produit ce degré d'osmose - dont les modalités sont nécessairement influencées, pour chaque Etat, par sa conception des rapports entre l'ordre interne et l'ordre international). Quoi qu'il en soit, compte tenu du caractère inévitablement particulariste voire égoïste, de l'ordre public international étatique, au moins en partie, il ne saurait y avoir assimilation : de même que les valeurs et les intérêts fondamentaux d'un Etat ne peuvent se confondre entièrement avec les valeurs et les intérêts fondamentaux de la Société internationale, de même la notion étatique d'ordre public international ne peut se confondre avec celle de l'ordre public transnational.

H. On a vu l'arbitre international (pour qui toutes les lois sont « étrangères » et donc tous les ordres publics étatiques sont étrangers, encore que pas nécessairement au même degré) peut être amené à tenir compte, comme le juge étatique, d'un ordre public international étatique (positif, par exemple s'il s'agit de celui de la proper law ou de la loi du lieu d'exécution, ou encore au nom de la théorie du « rattachement spécial » des lois de police étrangères) ou encore négatif ou d'éviction (afin d'éviter de rendre une sentence non susceptible de reconnaissance ou d'exécution dans un pays donné). Mais, contrairement au juge étatique pour qui le recours à l'ordre public transnational paraît devoir rester quelque chose d'exceptionnel, l'arbitre international, lui, devra prendre en considération d'abord l'ordre public de la Société internationale des commerçants (parmi lesquels, faut-il le rappeler une fois de plus, figurent de nombreux Etats et entités étatiques). Comme tout droit, le concept d'ordre public postule l'existence d'une communauté et de valeurs fondamentales communes, et la position de l'arbitre international face à la notion d'ordre public transnational ne peut se comprendre que 369 si l'on tient compte de ses fonctions spécifiques, qui ont été évoquées plus haut67.

I. Certes, le droit de l'arbitrage international étant dominé, on l'a vu, par l'autonomie de la volonté et le libéralisme, la fonction principale de l'arbitre est de s'acquitter de la mission que lui ont confiée les parties. De ce point de vue, certains ne manqueront pas de craindre les abus auxquels pourrait donner lieu le recours à la notion, évolutive, dynamique et donc imprécise, de l'ordre public transnational. A cette crainte on peut répondre au moins deux choses :

(a) Il se peut que, comme en droit international privé « classique » et devant les juges étatiques, l'intervention de l'ordre public constitue en fait une restriction à l'autonomie de la volonté (mais on ne voit guère qu'il puisse s'agir d'une restriction supplémentaire, dès lors que les ordres publics étatiques incorporent souvent, on l'a vu, les valeurs communes, notamment éthiques, qu'exprime l'ordre public transnational, par exemple dans le cas de la corruption). Mais cette dernière notion peut être, au contraire, un appui à l'autonomie de la volonté et un instrument du libéralisme propre au commerce international et généralement reconnu par les Etats, quelle que soit la diversité de leur système interne, économico-politique. Il peut en effet amener l'arbitre à ne pas tenir compte des intérêts particuliers d'un Etat et à respecter les valeurs supérieures de la communauté internationale (ainsi qu'en témoignent, semble-t-il, les exemples de l'incapacité de l'Etat à compromettre, ou de la résiliation unilatérale par l'Etat de son engagement d'arbitrage).

(b) D'autre part, il ne peut y avoir d'autonomie de la volonté ou de « libéralisme juridique » que dans les limites générales du droit de la « communauté internationale des commerçants », c'est-à-dire dans le respect des impératifs éthiques supérieurs et des exigences de solidarité minimale de cette communauté.

J. Cette constatation devrait suffire, semble-t-il, à apaiser les craintes (compréhensibles mais fort exagérées) de certains adversaires du « droit du commerce international », ou de la lex mercatoria, qui, voici quelques années encore, s'inquiétaient 370 de voir les Etats « abdiquer » devant les « pouvoirs économiques dits privés et multinationaux »68.

C'est oublier des caractéristiques essentielles de la réalité contemporaine et les causes de l'extraordinaire expansion de l'arbitrage commercial international : loin d' « abdiquer » quoi que ce soit, les Etats ont choisi, et jugé conforme à leurs intérêts, de faire du commerce international, soit directement, soit par entreprise interposée, en utilisant des procédés contractuels (privés, publics ou « mixtes ») et ils ont adopté, face aux pratiques de la communauté internationale des commerçants, cette attitude faite de tolérance et de contrôle qu'ont si bien mise en lumière les Professeurs T. Popescu et R. David, dans leurs Rapports généraux au Congrès de Rome de l'UNIDROIT de septembre 197669 : conscients de l'inadaptation des législations internes et dé la difficulté à s'entendre sur une législation internationale uniforme, les Etats ont préféré laisser un large pouvoir d'autorégulation à la communauté internationale des commerçants. Tolérance tempérée, du reste, par un contrôle a posteriori de l'arbitrage et des interventions assez poussées de chaque Etat dans la vie économique, en même temps que par un effort de développement, parfois conventionnel, du droit du commerce international.

L'ordre public transnational constitue, d'une certaine manière, une limite à cette tolérance, mais aussi une garantie que cette dernière poursuivra. Elle se justifie d'autant plus qu'elle permet, 371 précisément, dès lors qu'il existerait un consensus suffisamment général, d'intégrer dans l'arbitrage international la prise en compte de valeurs fondamentales et d'intérêts supérieurs, le cas échéant, à ces « pouvoirs économiques privés » redoutés par certains.

Vu le caractère évolutif tant de fois souligné du concept, il permet et permettra d'intégrer dans l'arbitrage les idées et exigences nouvelles de la Société internationale, et notamment les intérêts des pays en développement, qu'exprime, aux yeux de beaucoup, la notion de « nouvel ordre économique international ». De ce point de vue, aussi, la notion d'ordre public transnational paraît être un élément dynamique, indispensable et important dans le développement, par l'arbitrage, d'un droit du commerce international.

K. On se gardera cependant d'en surestimer l'importance actuelle, la fréquence des cas d'application ou les possibilités d'intervention. En droit international privé classique ou étatique, on a vu que le juge devait faire preuve de retenue et de prudence dans l'utilisation de la « clause de réserve », ainsi d'ailleurs qu'à propos du rôle « positif » de la notion. Mutatis mutandis, il en est un peu de même de l'ordre public transnational. Comme en témoigne la relative rareté des sentences arbitrales connues, il n'y a guère lieu de craindre que les arbitres internationaux abusent de la faculté que leur offre leur fonction, une fonction qui, de par la nature des choses, répétons-le pour conclure, et de par la volonté même ou l'attente légitime des parties, comporte la prise en compte de l'ordre public transnational.

BIBLIOGRAPHIE CHOISIE

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1« The Lex Mercatoria in International Commercial Arbitration », 34 I.C.L.Q. (1985), p. 752. L'auteur distingue, à juste titre selon nous, l'amiable composition du recours à la lex mercatoria. Il écrit notamment ce qui suit : « some of the authors who oppose the parties' right to choose the lex mercatoria will permit them to agree an amiable composition or decisions based an equity. This is, however, a yet more uncertain basis than the lex mercatoria. In spite of common traits, there is a difference between the lex mercatoria and equity. The lex mercatoria obliges the arbitrator to base his decision an the law merchant even when equity might lead him to another result » (p. 754-755). Et l'auteur d'ajouter que : « the choice of the lex mercatoria need not give the parties any opportunity to evade mandatory rules of law ».
2L'auteur cite ici la Convention de Vienne du 13 mai 1969 sur le droit des traités, l'article 42 de la Convention de Washington de la Banque mondiale, les Conventions portant loi uniforme (comme la Convention de Vienne en matière de vente internationale de marchandises), les principes généraux du droit (cf. la sentence C.C.I. nº 3327-81, mentionnée au Clunet, 1982.973), certaines règles, recommandations ou codes de conduite émanant d'organisations internationales, les usages du commerce international, les conditions générales pour certains types de contrats ainsi que les « précédents » arbitraux.
3Cf. la Convention de Genève du 21 avril 1961, art. VII, para. 1 et 2, l'art. 42 déjà cité de la Convention de Washington de 1965, l'art. 28 al. 4 de la loi modèle de la C.N.U.D.C.I.
4Cf. l'arrêt de la Cour de cassation d'Italie du 8 février 1982 (cité par M. Matray dans son rapport « Arbitrage et ordre public international », Association internationale des jeunes avocats, Anvers, octobre 1985 : p. 15, note 3) bien qu'il soit erroné sur d'autres points, comme démontré par A. Giardina (in Rivista di diritto internationale privato e processuale, 1982, p. 754-765) et l'arrêt de la Cour Suprême d'Autriche du 18 novembre 1982 (ibidem, p. 16, note 1).
5Niboyet, « Le rôle de la justice internationale », p. 180-187.
6Sentence nº 1110 de 1963, citée et partiellement publiée par J. Lew, Applicable Law in International Commercial Arbitration, New York, 1978, p. 553 et s.
7Voir B. Goldman, The Complementary Roles of Judges and Arbitrators in Ensuring that International Commereial Arbitration is Effective, I.C.C. Court of Arbitration 60th Anniversary, Paris, 1984, p. 272, et El Kosheri/Leboulanger : « L'arbitrage face à la corruption et aux trafics d'influences », Rev. arb., 1984, p. 18, cités par Böckstiegel, Rapport p. 47.
8R.I.W./A.W.D., 1985, p. 653, cité par M. Böckstiegel dans son Rapport p. 47.
9Oscaryan c/ Wilchester Repeating Arm Co., U.S. Sup. Ct., 26 avril 1861 ; Clunet, 1882.445; cf. L. Matray, « Arbitrage et ordre public transnational », in Liber Amicorum P. Sanders, p. 247.
10C.C.I. nº 2730, Clunet, 1984.914 , observations Y. Derains.
11Nº 3913 de 1981 non publiée - des extraits en sont reproduits dans la note de Y. Derains sous la sentence précédemment citée, au Clunet de 1984, p. 920-921.
12Sentence nº 3916 de 1982, Clunet, 1984.930.
13Les Nations Unies ont envisagé les problèmes de la corruption dans les contrats soit de manière indépendante, soit dans d'autres cadres tels que par ex. l'activité des sociétés transnationales. V. notamment Résolution 3514 de l'Assemblée générale des Nations Unies ; Résolution 2014 (LXI) du Conseil économique et social (Corrupt Practices, Particularly Illicit Payments in International Commercial Transactions), I.L.M. 15 (1979), p. 1222 ; Commission des Nations Unies sur les sociétés transnationales : Rapport du groupe de travail intergouvernemental sur la formulation d'un Code de conduite, I.L.M. 16 (1977), p. 709; Conseil économique et social : Rapport du groupe de travail intergouvernemental ad hoc sur le problème des pratiques de corruption dans les transactions commerciales internationales, I.L.M. 16 (1977), p. 1236 ; Rapport du Comité du Conseil économique et social sur un Accord international sur les paiements illicites, I.L.M. 18 (1979), p. 1025 ; Projet de Code de conduite des N.U. sur les sociétés transnationales, I.L.M. XXII (1983), p. 177 et XIII (1984), p. 626.
14C.C.I., L'exaction et la corruption dans les transactions commerciales. Publication C.C.I. nº 315. V. pour les projets I.L.M. 16 (1977), p. 686 et I.L.M. 17 (1978), p. 417. Sur l'action de la C.C.I. en faveur de la « moralisation » du domaine des garanties bancaires, v. J. Dohm, Les garanties bancaires dans le commerce international, Genève, 1986, nº 42.
15Council Regulation, nº 2641/84 du 17 septembre 1984, on the strengthening of the common commercial policy with regard in particular to protector against illicit commercial practicesI.L.M. XXIII (1984), p. 1419.
16Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 393/141 (International Campaign Against Traffic in Narcotic Drugs) ; Resolution 39/142 (Declaration on the Control of Drug Trafficking and Drug Abuse) et Résolution 39/143 (International Campaign Against Traffic in Drugs), I.L.M. XXIV (1985), p. 1157.
17Sur le terrorisme, v. par ex. Conseil de l'Europe, Recommendation Concerning International Cooperation in the Prosecution and Punishment of Acts of TerrorismI.L.M. XXI (1982), p. 199 ; Communautés Européennes, Agreement Concerning the Application of the European Convention an the Suppression of Terrorism Among the Member States, I.L.M. XIX (1980), p. 325 ; Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 34/ 145 (Measures to prevent international terrorism which endangers or takes innocent human lives or jeopardizes fundamental freedoms,...), I.L.M. XIX (1980), p. 533 ; Assemblée générale des Nations Unies, Drafting of an International Convention Against the Taking of Hostages, I.L.M. XVIII (1979), p. 1456. - Sur les droits de l'homme, v. par ex. Commission an Human Rights, U.N., Draft Convention Against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, I.L.M. XIX (1980), p. 647 ; Organization of American States, Inter-American Juridical Committee; Draft Convention 1/11 Defining Torture as an International Crime, I.L.M. XIX (1980), p. 618.
18V. Q. Byrne-Sutton, Le trafic international des biens culturels sous l'angle de leur revendication par l'Etat d'origine (Aspects de droit international privé), thèse de l'Université de Genève (à paraître).
19[1958] A.C. 301. [1957] 3 All E.R., p. 286 ; Clunet, 1961.1140.
20Pour des exemples de règles d'ordre public véritablement international cf. supra, nº 13 et s.
21Journal des tribunaux, Bruxelles, 1984.230, cité par M. Böckstiegel dans son Rapport, note 84.
22Clunet, 1983.914, note S. Jarvin, Yearbook Commercial Arbitration, X (1985), p. 47.
23A ce sujet v. à nouveau la sentence Framatome c/ A.E.O.I., précitée.
24C.P.J.I. série A-B, fasc., nº 67 et 69 ; série C, fasc. nº 78.
25Sur ce point, voir la sentence préliminaire de l'arbitre Dupuy non publiée, sur la compétence, du 27 novembre 1975, p. 7 et s.
26V. par ex. J. Steyn, England, in International Handbook an Commercial Arbitration, p. 9.
27Sur la bonne foi comme principe général du droit, v. Bin Cheng, General Principles of Law, Londres, 1953, p. 105 et s.
28V. récemment M. Blessing/Th. Burckhardt, Sovereign Immunity -A pitfall in State Arbitration?, in Swiss Essays on International Arbitration, Zurich, 1984, p. 107-123.
29Amco Asia Corporation et al. and Indonesia, I.L.M. 23 (1984), p. 351 (compétence) ; 24 (1985), p. 1022 (fond).
30D'autant que les principes d'interprétation sont moins des règles de droit, à notre avis, que des recettes ou des méthodes qui guident l'arbitre dans l'art de l'interprétation.
31V. par. ex. Bin Cheng, op. cit., p. 279 et s.
32Rapport de M. Schwebel, p. 12 ; Yearbook Commercial Arbitration IV, p. 258, 260.
33Arrêt du 7 mars 1985, N.J.W., 1985.II. 1903-1905, cité par Me Matray, rapp. préc., p. 10.
34Il s'agissait en l'espèce du cas d'un arbitre qui, après le refus d'une partie de payer la provision sur honoraires réclamés par les arbitres, n'avait pas recouru à une procédure probatoire et avait pris sa décision sans évaluation des preuves.
35Cette opinion, ou sa formulation, pèchent peut-être par quelque optimisme, tout au moins si l'on considère, non les principes eux-mêmes, mais leur modalité d'application et leur interprétation pratique.
36Cf. à ce sujet l'ouvrage précité de Bin Cheng, supra, note 31.
37Dans ce sens on parle en allemand de Parteiöffentlichkeit der Beweisaufnahme. Un exemple étonnant est fourni par une récente sentence C.C.I. nº 4600, de 1985, dans un litige entre une société française et une entreprise publique d'Asie. La première ayant refusé d'exécuter le contrat, invoquait la force majeure sur la base d'instructions secrètes reçues du Gouvernement français. A la majorité, les arbitres acceptèrent comme preuve d'une décision gouvernementale la lecture, par un témoin de dernière heure, d'un texte qui ne fut ni déposé, ni même montré au tribunal ou à la partie demanderesse !
38Sentence nº 3344 de 1981, Clunet, 1982.978 , obs. Y. Derains ; cf. aussi la sentence du Président Cassin dans la célèbre affaire des « cargaisons déroutées », Rev. crit. dr. int. priv., 1956.278, 286.
39Sentence nº 1434 de 1975, Clunet, 1976.978 , obs. Y. Derains. «... il y a lieu de rappeler à qui incombe, d'une façon générale, le fardeau de la preuve sur ce point, encore que la pratique arbitrale ne soit pas tenue à une application aussi stricte que certaines juridictions étatiques des règles applicables en matière de preuve... Les deux parties ont au surplus l'obligation de collaborer, selon le principe de la bonne foi, à l'administration de la preuve, tout particulièrement en matière arbitrale ».
40Dans ce sens, E. Hambro : « The Relations between international law and conflict law », R.C.A.D.I., 105 (1962.I), g. 1-68, 55-63, et la sentence Topco Calasiatic cl Gouvernement Libyen, Clunet, 1977, 350 et s., 353, nº 25.
41V. par ex. Ph. Fouchard, L'arbitrage commercial international, Paris, 1965.360 ; LD.M. Lew, « Applicable law in international commercial arbitration », Dobbs Ferry (N.Y.) / Alphen a/d Rijn, 1978, 67 N 82, 83-84 N 202.
42Sentence C.C.I. nº 1434 de 1975, Clunet, 1976.978 , obs. Y. Derains.
43Sentence C.C.I. nº 1512 de 1971Clunet, 1974.904, note Y. Derains et R. Thompson, en l'affaire Dalmia Clement c/ National Bank of Pakistan, [1974] 3 All E.R., p. 189; [1974] 2 Lloyds Rep., p. 98, une affaire devenue publique par les recours en nullité intentés par le défendeur, sans succès, devant les Cours anglaises.
44Cf. supra, note 40.
45Sur cette question voir, parmi une abondante littérature, P. Lalive : « L'Etat en tant que partie à. des contrats de concession ou d'investissements conclus avec des sociétés privées étrangères, in New Directions in International Trade Law, Dobbs Ferry, New York, I, 317.373, 330, nº 23 ; et la Résolution d'Athènes de l'Institut de droit international de 1979, sur Rapport de G. van Hecke, Ann. Inst. Dr. Int., vol. 59 II, p. 192 et s.
46On peut citer, comme exemple de choix « partiel » , mi-négatif, mi-positif, la clause arbitrale du compromis adoptée par les parties à l'arbitrage Koweït c/ Aminoil, ou les clauses des arbitrages pétroliers libyens se référant aux principes communs entre le droit libyen et le droit international, etc.
47V. J. Lew, op. cit., p. 134.
48Sentence C.C.I. nº 1434 de 1975, Clunet, 1976.978 ; sentence C.C.I. nº 3380 de 1980Clunet, 1981.927; sentence intérimaire C.C.I. nº 2321 de 1974Clunet, 1975.938. V. en outre la sentence du Président Cassin dans l'affaire des « cargaisons déroutées » : un exemple de « règles d'interprétation universellement reconnues » est celle de l'effet utile (ut res magis valeat quam pereat).
49Dans ce sens J. Lew, op. cit., nº 406 et 412.
50Sur le droit communautaire de la concurrence, v. d'abord le Rapport du Prof. Böckstiegel, p. 32 et s.
51Cf. supra, notes 13 à 15.
52Cf. supra, note 16.
53Cf. supra, note 17.
54Selon une opinion consacrée par la pratique arbitrale, seule la Résolution 1803 (XVII) exprime l'état positif du droit international en la matière. L'art. 4 de cet instrument énonce : « La nationalisation, et l'expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou des motifs d'utilité publique, de sécurité ou d'intérêt national, reconnus comme primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu'étrangers. Dans ces cas, le propriétaire recevra une indemnisation adéquate, conformément aux règles en vigueur dans l'Etat qui prend ces mesures dans l'exercice de sa souveraineté et en conformité du droit international. »
55Texaco c/ Calasiatic, Clunet, 1977.350, 374 nº 79 et 379 nº 87.-88 ; Liamco, I.L.M. XX (1981), p. 1-87, 120-121 ; Aminoil, Clunet, 1982.869, 900 nº 143.
56Société des grands travaux de Marseille c/ République populaire du Bangladesh, A:T.F. 102 Ia, p. 574, 583 : « La recourante invoque encore en plus de l'ordre public suisse, l' "ordre public international ", qui ferait lui aussi obstacle à l'application, en l'espèce, des ordonnances du Bangladesh. Cette notion semble n'avoir jamais été utilisée par le Tribunal fédéral (...). Il s'agit bien plutôt d'une formule proposée par certains auteurs qui ne lui attribuent d'ailleurs pas une signification bien précise et univoque (cf. par ex. Schnitzer, Handbuch des internationalen Privatrechts, 4e éd:, I., p. 229 et s. ; Schoenenberger et Jaeggi, op. cit., p. 115 ; Lalive, A.S.D.I., 1971, p. 137 ; Gentinetta, Die lex f ori internationaler Handelsschiedsgerichte, 1973, p. 264 et Die lex fori internationaler Handelsschiedsgerichte, 1973, p. 264 et 266). On ne voit pas en quoi cet " ordre public international " limiterait l'application du droit étranger davantage, ou d'une autre manière, que ne le fait la réserve de l'ordre public suisse. Comme la recourante ne donne aucune indication dans ce sens, il n'y a pas lieu d'examiner cette question de manière plus approfondie ». Pour la critique v. P. Lalive, Arbitrage international et ordre public suisse, p. 546-547.
57Jean Robert (L'arbitrage, p. 358) affirme en ces termes son opinion négative : « La jurisprudence, il faut le dire, n'a pas jusqu'à ce jour consacré la notion d'un ordre public réellement international. (...) » Il admet néanmoins que certaines règles, tels les principes contenus dans la Déclaration européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950, puissent constituer cette catégorie d'ordre public et il conclut: « il n'est donc pas à écarter que, dans un futur relativement proche, se constitue, à partir de cette base, la jurisprudence aidant, un ordre public réellement international ». Bien que la jurisprudence française semble effectivement avoir consacré la notion de l'ordre public véritablement international dans la dernière affaire de la Banque ottomane (cf. supra, note 47), il ne nous semble à vrai dire pas indispensable que les jurisprudences consacrent la notion comme telle: dès lors que les tribunaux reconnaissent l'existence de principes communs d'ordre public, qu'ils les appliquent et en sanctionnent la violation le cas échéant, la systématisation incombe à la doctrine. Une fois que l'existence de ces règles est admise, c'est en effet surtout une question touchant à la systématisation du droit que de savoir si elles constituent une catégorie particulière d'ordre public.
58Ainsi A. Chapelle, Les fonctions de l'ordre public en droit international privé, p. 512-527, 513. La distinction a un intérêt surtout pédagogique ; l'essentiel est la preuve de l'existence d'un principe général ou d'une règle d'une impérativité particulière jouissant d'un consensus assez large dans la Société internationale des commerçants et des Etats.
59H. Rolin, « Vers un ordre public réellement international », 442, nº 2 ; v. également sur ce point J. Robert, op. cit., nº 423, 357.
60Rapport du 1er mars 1972 à la 5e session de la C.N.U.D.C.I., document A-CN9-64.
61V. notre étude « Sur la contribution de l'arbitrage au développement d'un droit du commerce international », in Les relations internationales dans un monde en mutation, Institut universitaire des hautes études internationales, Genève, 1977, p. 387-407. Sur les controverses relatives à la lex mercatoria voir l'étude de O. Lando, supra, note 1 et l'étude fondamentale de B. Goldman, Archives de Philosophie du droit, 1964, p. 177 et s.
62Sic J. Verhoeven, in Le contrat économique, international, Journées Jean Dabin, 1977, 28.
63Dans ce sens O. Lando, préc., note 84, p. 748 et note 8.
64J.P. Niboyet : « Le rôle de la justice internationale en droit international privé x, cité par H. Rolin, op. cit. supra, note 145.
65Op. cit., p. 539, nº 413.
66Binnenbeziehung ou Inlandsberührung.
67Cf. aussi le Rapport du Prof. Böckstiegel, p. 4 et 6.
68Un bon exemple de cette inquiétude, très répandue dans les milieux d'un certain « gauchisme juridique » , mérite d'être cité ici : « Aujourd'hui les responsables politiques des démocraties traditionnelles découvrent avec stupeur qu'ils ne maîtrisent plus leur propre territoire : des pouvoirs économiques privés délocalisés se sont emparés de l'accès aux produits naturels et aux sources d'énergie, des techniques aptes à les transporter et à les commercialiser... Le drame (sic!) de la Société internationale contemporaine est de n'avoir pas su édifier un pouvoir international apte à résister à ces pouvoirs économiques privés qui se sont élevés à l'abri de droits étatiques d'autant plus bienveillants que ces pouvoirs soutenaient une volonté de domination ou d'exploitation que Lénine a appelée impérialisme et dont les manifestations sont tantôt agressives (les puissances coloniales au dix-neuvième siècle, les Etats au vingtième siècle) tantôt discrètes (la Suisse décrite dans un ouvrage récent de Jean Ziegler » (François Rigaux, Droit public et droit privé dans les relations internationales, 1977, p. 443, 444).
69R. David : « Le droit du commerce international : une nouvelle tache pour les législateurs nationaux ou une nouvelle lex mercatoria ? in « New Directions... », New York, 1, p. 5-20 ; T.R. Popescu, même titre, ibidem, p. 21-49.

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