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Paulsson, Jan, La Lex Mercatoria dans l‘Arbitrage C.C.I, Rev.d.Arb. 1990. at 55 et seq.

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Paulsson, Jan, La Lex Mercatoria dans l‘Arbitrage C.C.I, Rev.d.Arb. 1990. at 55 et seq.
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LA LEX MERCATORIA DANS L'ARBITRAGE C.C.I.

par Jan PAULSSON*

Associé, Freshfields (Paris)

En 1974, la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale commença à publier des extraits de sentences au Clunet, en veillant à préserver l'anonymat des parties. En présentant le recueil initial de sentences, deux représentants de la Cour émirent un avertissement. Les arbitres C.C.I. n'étaient pas informés des sentences rendues par d'autres arbitres ; la C.C.I. n'ayant elle-même ni le pouvoir, ni le souhait, d'harmoniser les décisions des tribunaux arbitraux, qui sont indépendants, chaque sentence était prononcée sans considération des autres sentences. « On peut donc difficilement parler de jurisprudence arbitrale »1.

C'était il y a 15 ans. Depuis, 101 extraits de sentences C.C.I. ont été publiés en français dans les dernières pages du nº 4 de chaque volume du Clunet ; l'exemple a été suivi, en langue anglaise, à partir de 1976 par le Yearbook Commercial Arbitration de l'International Council for Commercial Arbitration (I.C.C.A.). De nombreux autres livres et recueils ont également concouru à l'élaboration d'un corps substantiel de sentences C.C.I. publiées. Les questions traitées par les arbitres 56 se manifestent également dans les arbitrages soumis à d'autres règlements que celui de la C.C.I., et nous assistons aujourd'hui à une prolifération de la publication de sentences de tous bords.

Parallèlement à ce développement, les arbitres tendent de plus en plus fréquemment à fonder leurs décisions sur des sentences antérieures, de sorte qu'en 1981, dans son introduction au recueil de sentences C.C.I. présentées au Clunet, le Secrétaire Général de la Cour d'arbitrage de la C.C.I. pouvait constater que les sentences se référaient avec une fréquence croissante aux sentences précédemment publiées2. De telles références sont faites par les arbitres non seulement lorsqu'ils ont reçu le pouvoir d'agir en amiables compositeurs, et donc sans fonder leur décision en droit3, ou lorsque les parties ont stipulé, par des formules variées, que les principes généraux du droit (plutôt qu'un droit national spécifique) s'appliqueraient4, mais également lorsqu'un droit national spécifique est reconnu applicable5.

Compte tenu du fait que des questions portant sur un conflit de lois ou sur l'étendue de la compétence arbitrale doivent souvent être examinées préalablement au choix du droit national régissant le contrat, il n'est pas surprenant que la référence des arbitres à des sentences précédentes soit particulièrement fréquente dans le contexte de ces questions préliminaires6.

Aujourd'hui, les conseils invoquent couramment la « jurisprudence arbitrale » dans leurs mémoires et plaidoiries. Que l'on soit un adepte (« la lex mercatoria a été continuellement 57 renforcée »)7 ou non (« le mythe des précédents arbitraux comme source du droit commercial international »)8, il existe là quelque chose en gestation que l'on ne peut ignorer.

Commentant la première édition de notre ouvrage consacré à l'arbitrage C.C.I.9, un spécialiste suédois de l'arbitrage, M. Gillis Wetter, suggérait que nous assistions à la naissance de ce que l'on pourrait appeler le droit international de l'arbitrage, comprenant à la fois des éléments matériels et procéduraux destinés à se développer de manière similaire à la common law des États-Unis, où « les espèces tranchées par un grand nombre de juridictions, dont chaque système juridique est souverain, ont abouti à la création d'une source commune du droit qui unit les différentes juridictions sans porter atteinte à leur autonomie »10. Pour M. Wetter, le terme lex mercatoria était inapproprié, à la fois trop limité et suremployé. Mais on a trop écrit et parlé de la lex mercatoria dans le contexte de l'arbitrage C.C.I. pour qu'on puisse éviter cette appellation11. M. Wetter a cependant sans doute raison lorsqu'il écrit que l'expression est surchargée de sens. 58 Des conceptions fondamentalement différentes se cachent en effet derrière ces deux mots, et la discussion ne peut être significative que si les termes sont définis. La première partie de cette étude sera, par conséquent, consacrée à une interrogation sur la nature de la lex mercatoria ; la seconde traitera de son contenu.

I. - TROIS CONCEPTIONS THÉORIQUES DE LA LEX MERCATORIA

Malgré la fascination intellectuelle qu'il suscite, le débat sur la lex mercatoria ne semble pas avoir eu plus qu'un impact marginal sur la pratique de l'arbitrage international12. Ceci est encore plus vrai à l'égard des attitudes et du comportement des parties au stade de la négociation et l'exécution de contrats internationaux. Les agents du commerce international appliquent-ils et créent-ils la lex mercatoria sans le savoir ? Certes, les tenants de la lex mercatoria ont des objectifs importants et légitimes : discerner les règles applicables au commerce international qui répondent à l'attente des parties, et éviter le piège tendu par les droits nationaux lorsque ceux-ci apparaissent par trop incertains, particuliers, profondément amendés depuis la date du contrat, ou, d'une manière ou d'une autre, imprévisibles et injustes dans leur application aux étrangers. L'un des problèmes est qu'à ce jour, le débat n'a impliqué que les membres d'un petit groupe de spécialistes. Un autre problème est que lorsque les spécialistes discutent de la lex mercatoria, ils ne parlent souvent pas de la même chose.

Les défenseurs de la lex mercatoria ont eu l'habitude déconcertante d'annoncer l'existence d'une planète entière là où d'autres ne voient que des bips sur un écran de radar13. 59 Les non-spécialistes tendent à se démarquer spontanément de ce qu'ils entrevoient comme compliqué et éloigné de leurs préoccupations quotidiennes.

La discussion fut relancée en 1987 par la publication d'un essai réfléchi et clairvoyant du Lord Justice Michael Mustill de la Cour d'appel d'Angleterre, « The New Lex Mercatoria »14. Il s'agissait d'une contribution rare et heureuse à la matière : un effort de recherche approfondie et d'analyse, examinant les Postulats et les éléments de preuve avec un esprit neuf, entrepris de surcroît par un juriste issu d'une catégorie des plus adaptées à cette tâche, mais généralement le moins susceptible de pouvoir s'en charger : un praticien et magistrat expérimenté au sommet de sa vie professionnelle.

L'un des principaux mérites de l'essai du Lord Justice Mustill est de démontrer le caractère disparate des concepts souvent confondus dans la littérature antérieure. Inspiré par ses réflexions, et une volonté de ne propager ni conviction, ni 60 doute, mais simplement d'éclairer ce qui peut être important pour la pratique courante, nous sommes parvenu à la conclusion que l'expression lex mercatoria recouvre trois conceptions différentes, dont deux correspondent à des idéaux plutôt qu'à des réalités. Quant à la troisième, qui, à notre sens, représente une évolution utile ayant un Impact significatif en pratique, ses contours sont si modestes que sa description même risque d'inverser les rôles : les théoriciens de la lex mercatoria déplorant la banalisation de leurs savantes constructions, les railleurs en venant à penser que s'il ne s'agissait que de cela, ils auraient aussi été « mercatoristes » depuis le début.

A. Première conception : la lex mercatoria, ordre juridique autonome

II ne faut pas tenir rigueur au praticien international s'il éprouve de grandes difficultés à trouver sa voie parmi les arcanes abstraites, abondantes dans la littérature juridique. Nous croyons que la distinction pratique déterminante est celle qui doit être perçue entre le droit de l'arbitrage, c'est-à-dire le droit (ou les droits) qui détermine(nt) l'effet obligatoire résultant du fait des parties ou des arbitres (en acceptant l'arbitrage, en choisissant les règles de procédure ou la loi matérielle applicable, en déterminant la compétence ou l'arbitrabilité, en rendant la sentence), et le droit en application duquel l'arbitre tranche le fond du litige. Ce dernier est le plus présent dans l'esprit des parties lorsqu'elles s'adressent à l'arbitre, car il pose les règles matérielles à partir desquelles seront déterminées la nature et la portée des obligations des parties15. Mais c'est le premier qui nous intéresse pour ce qui est de la première conception de la lex mercatoria. C'est le droit selon lequel seront déterminés, notamment lorsque les juges nationaux auront été saisis, les effets d'une convention d'arbitrage, ou d'une sentence arbitrale.

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Compte tenu du fait que les transactions du commerce international ont par définition des liens de rattachement avec plus d'un système juridique, la distinction entre le droit de l'arbitrage et celui en application duquel le litige sera tranché est à la fois naturelle et concrète16. Il y a fort à parier que chaque semaine une sentence est rendue dans quelque ville suisse en application d'une loi non suisse, qu'elle soit anglaise, brésilienne, iranienne - ou même la lex mercatoria. Il s'agit de la loi applicable au fond. Mais si cette sentence est soumise à un juge suisse, il appréciera sa validité, non pas au regard du droit anglais, brésilien ou iranien, ou de la lex mercatoria, mais selon les critères du droit suisse. (Même si le droit du for accepte que les parties à l'arbitrage en cause puissent se référer à un droit d'arbitrage étranger, selon lequel se déterminerait notamment la validité de la convention et la procédure arbitrales, il n'en demeure pas moins que ceci résulterait d'une règle matérielle du for en faveur de l'autonomie des parties). Ainsi, face à une sentence C.C.I. qui, de par ses termes, prétend trancher le différend en appliquant la lex mercatoria, la question peut se poser de savoir si les tribunaux du lieu de l'arbitrage considéreront la sentence comme obligatoire. Le problème ne paraît pas avoir été soulevé devant les juges en Angleterre ; quelques commentateurs ont à ce propos exprimé des doutes sur la validité d'une telle sentence17. La Cour suprême d'Autriche, ainsi que la Cour d'appel de Paris ont, elles, été confrontées à cette situation et ont rejeté les recours formés contre des sentences appliquant la lex mercatoria18. Quant aux tribunaux 62 belges, depuis 1985, ils n'ont même pas compétence pour connaître d'une telle question si le litige n'a pas de lien de rattachement avec la Belgique19. Mais ce qu'il convient d'observer, quelle que soit la solution dégagée, c'est que le système juridique pertinent dans chacun de ces cas, évoqués à titre d'illustration, serait respectivement celui de l'Angleterre, de l'Autriche, de la France, ou de la Belgique.

De la même façon, si une sentence est présentée pour être exécutée dans un pays autre que celui où elle a été rendue, c'est le système juridique de ce pays qui déterminera les effets de la sentence sur son territoire. Et si un traité international, comme la Convention de New York, s'applique, c'est parce qu'il a été intégré dans le droit national du for de l'exécution. Les tribunaux anglais, suivant l'exemple des juges français, ont en fait décidé qu'une sentence C.C.I. rendue en Suisse et n'appliquant aucun droit national mais « les principes de droit internationalement reconnus régissant les relations contractuelles », peut être exécutée20.

Or, la première conception que certains commentateurs semblent viser par l'expression lex mercatoria contraste singulièrement avec la répartition des rôles nationaux qu'on vient de décrire ; il est celui d'un ordre juridique autonome qui créerait des règles indépendantes de tout ordre juridique national, et qui gouvernerait les relations entre les parties impliquées dans le commerce international. Ainsi que le démontre Lord Justice Mustill, après avoir posé cette question simple : « de qui émane ce pouvoir normatif ? », les difficultés théoriques et pratiques de cette conception sont immenses. Il n'existe en effet aucun « Tribunal planétaire du commerce international » dont la compétence soit obligatoire. Les parties a un différend fondé sur un contrat international 63 peuvent ainsi être confrontées à un ou plusieurs juges nationaux ou arbitres, selon les termes du contrat et les règles pertinentes attributives de compétence. On peut certes concevoir qu'un arbitre puisse dans sa sentence se référer à un ordre juridique autonome (ou à des règles non étatiques) sans encourir la sanction du juge étatique du contrôle ; comme nous venons de le relever, c'est déjà chose faite en France, où le droit d'arbitrage est particulièrement progressiste en cette matière. Mais une telle acceptation ou tolérance ne fait nécessairement que refléter une règle matérielle de l'ordre juridique national concerné. Prétendre qu'une telle sentence relèverait d'un nouvel ordre juridique risque d'être taxé par les critiques de l'arbitrage soit de fanfaronnade, soit d'obscurantisme.

A quel stade une relation contractuelle échapperait-elle à la domination d'un système national pour tomber dans le ressort d'un autre système national ou d'un système transnational ? Un ébéniste lyonnais qui n'a jamais mis les pieds hors de France peut, un jour, de manière tout à fait inconsciente, entrer dans le domaine du commerce international en acceptant une commande pour une table destinée à Londres. Cela signifie-t-il sérieusement qu'il doive en conséquence être soudainement soumis, non seulement au système juridique français (parce qu'il pourrait être poursuivi en justice à Lyon s'il n'exécutait pas son contrat) et éventuellement au système juridique anglais (s'il devenait nécessaire de recouvrer un paiement en Angleterre), mais à un certain ordre juridique indépendant dont les règles ne peuvent être comprises que si l'on maîtrise les principes dominants d'une foule de systèmes juridiques nationaux, ainsi que des conventions et des contrats-modèles conseillés par diverses organisations ?

L'ordre juridique autonome n'entre-t-il en jeu que lorsqu'il existe une clause compromissoire ? Ou seulement si les relations contractuelles sont complexes ou de longue durée ? Dans ce cas, où est la frontière ? Est-ce que cet ordre juridique est l'objet d'un choix ouvert aux parties qui s'y sont référées, ou est-il obligatoire chaque fois que la relation tombe, de quelque manière que ce soit, dans son orbite ? Voici les premières incertitudes ; elles ne sont pas les seules.

Lorsqu'il opère à l'intérieur de cet ordre juridique, un arbitre doit-il appliquer la loi existante, ou doit-il la créer en rendant une sentence ayant valeur de précédent ? Cette question n'est peut-être pas de nature à troubler quiconque sauf 64 un common lawyer, mais il faut la prendre au sérieux ; ne serait pas universel un ordre juridique du commerce international qui exclurait non seulement l'Angleterre et les États-Unis, mais aussi l'Australie, le Canada, l'Inde, le Kenya, Singapour... M. Mustill évoque à cet égard l'hypothèse d'un arbitre international confronté à une précédente sentence qui aurait tranché précisément la question juridique en cause :

« Si la fonction des arbitres est simplement d'exposer les motifs de sa décision, alors le second arbitre n'a pas besoin de faire plus que d'accorder le respect qui se doit aux motivations de son collègue, sans être obligé de parvenir à la même décision. Selon sa propre conception, il a la liberté de décider que son prédécesseur a mal compris la lex mercatoria. De même, à l'autre extrême, si le premier arbitre a accompli une fonction créatrice en tant qu'ingénieur social, son successeur peut normalement le considérer comme rien de plus qu'un mécanisme d'autorégulation du contrat en vertu duquel il a agi, et il peut ainsi se sentir libre d'exercer la même fonction dans un sens différent, dans le cadre de son propre contrat. Mais si la théorie intermédiaire est correcte, une sentence qui énonce une nouvelle règle ajoute par là à ce corps normatif, et puisque la lex mercatoria est conçue comme étant une loi obligatoire, l'arbitre subséquent doit l'appliquer, qu'il adhère ou non à ses conclusions »21.

Une dernière objection opposée à la conception de la lex mercatoria en tant qu'ordre juridique est son inaptitude intrinsèque à fournir les solutions pour l'ensemble des aspects d'un différend commercial international.

Pour illustrer cette carence, on peut songer au problème de la détermination de la régularité d'un acte souscrit au nom d'une société. La lex mercatoria, comprise comme l'ensemble des principes dérivés d'un consensus de la communauté internationale, peut décider que la capacité d'une entité est déterminée par la loi en vertu de laquelle elle a été constituée, mais cela n'est point une règle matérielle ; le fait est qu'il n'existe pas de sociétés créées sous la lex mercatoria. Dans le même sens, M. Mustill écrit :

« Il doit être noté que la lex mercatoria n'a pas, à ce jour, étendu son emprise sur l'ensemble du domaine d'éventuels différends nés du commerce international. Ainsi (i) il semble n'exister aucun cas où la lex mercatoria a été invoquée pour une espèce purement délictuelle ; (ii) la lex a rarement 65 été appliquée aux questions relatives au consentement, à la fraude dans la formation du contrat, etc... ; (iii) la lex n'a, à la connaissance de l'auteur, jamais été créditée dans la littérature d'un pouvoir de création de droits in rem, valables à l'encontre de tiers - par exemple, par le biais d'un transfert de propriété de biens tangibles, de sûretés, ou de création d'un monopole tel qu'un brevet d'invention ou des droits d'auteur... Une fois admis que la lex peut, dans certaines occasions, devoir être appliquée à certains aspects du différend, alors que le droit national est applicable à d'autres, son intérêt pratique semble douteux »22.

En vérité, il paraît inéluctable que la lex mercatoria, quel que soit son devenir, sera toujours incomplète. Il est, en effet, inconcevable que certaines règles étatiques puissent être écartées, non seulement en matière de fiscalité et protection sociale, mais aussi en ce qui concerne la création de droits réels. Par ailleurs, force est de constater que la lex mercatoria est capable de créer des droits ou d'imposer des obligations seulement si, comme nous l'avons vu, les ordres juridiques nationaux veulent bien l'admettre, soit en appliquant la lex mercatoria directement, soit en entérinant les sentences arbitrales qui l'appliquent. Ainsi, quand bien même elle en revêtirait une des caractéristiques, à savoir son aptitude à générer ou constater des normes, la lex mercatoria fait figure d'un ordre juridique si embryonnaire que le respect du sens des mots s'oppose à ce qu'on lui attribue cette qualification.

B. Deuxième conception : la lex mercatoria, corps de règles suffisantes pour régir un contrat

Les règles de la lex mercatoria trouvent leurs premières sources dans « les principes de droit communs aux nations commerçantes et dans les usages du commerce international »23. Des centaines de sentences arbitrales24 ont 66 maintenant été publiées, dans leur intégralité ou en partie. Comme il l'a déjà été noté, c'est un phénomène quotidien dans l'arbitrage C.C.I. que des mémoires écrits et des plaidoiries se réfèrent à des sentences en tant que précédents. Notre ouvrage consacré à l'arbitrage C.C.I. se réfère abondamment à des sentences publiées. Est-ce la confirmation de l'existence de la lex mercatoria considérée comme un Corps de règles suffisantes pour servir de loi à un contrat international ?

Pour notre part, nous croyons en l'importance des précédents arbitraux, mais, comme on le verra, dans un sens plus restreint (troisième conception). Compte tenu de la situation actuelle, il est difficile de maintenir que la lex mercatoria peut régir un contrat.

Ainsi que l'écrit M. Mustill :

« Les défenseurs de la lex mercatoria prétendent qu'il s'agit de la loi de la communauté internationale des affaires, ce qui doit signifier la loi unanimement adoptée par tous les pays concernés par le commerce international. Une telle prétention aurait été soutenable il y a deux siècles. Mais la communauté d'affaires internationale s'est maintenant considérablement élargie. Quels principes de droit commercial, exceptés ceux qui sont si généraux qu'ils sont inutiles, sont communs aux systèmes juridiques des membres de cette communauté ? Comment les arbitres, ou les avocats qui plaident devant eux, pourraient réunir les supports nécessaires sur les droits, Bisons, brésilien, chinois, soviétique, australien, nigérien et irakien ? Comment un tribunal, même cosmopolite et polyglotte, pourrait espérer comprendre les nuances des multiples systèmes juridiques ? Dans les sentences publiées, les arbitres accordent une large place à l'universalité des principes, mais ceux-ci sont rarement, sinon jamais, démontrés par la citation de sources. De la même façon, et peut-être de manière plus importante, comment un conseil pourrait-il espérer prévoir la manière dont un tribunal non encore constitué pourra aborder une telle tâche dans le futur »25 ?

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M. Mustill n'est pas non plus convaincu que la pratique contractuelle puisse être retenue comme source des règles n'émanant pas d'un droit national :

« La simple répétition des contrats dans les mêmes termes est tout aussi compatible avec l'exercice de la liberté contractuelle qu'avec la subordination à un système de normes contraignantes ; en réalité, bien au-delà, puisque si les parties, pour une transaction plus commode, ne désirent pas se lier, disons, par le contrat-type G.A.F.T.A. nº 100, il n'existe aucune Institution légale ou autre qui peut les forcer à le faire. D'ailleurs, la répétition des transactions sous une forme identique pourrait, au plus, créer un groupe de normes particulières au commerce individuel, c'est-à-dire créer un réseau de systèmes para-légaux. Ceci est plutôt incompatible avec les présupposés théoriques de la lex mercatoria, à savoir que celle-ci résulte spontanément des structures du commerce international - ce qui est clairement appréhendé comme un tout indivisible »26.

Quelles que soient pour le lecteur ses propres conceptions de lege ferenda, il semble impossible de nier que les objections de M. Mustill correspondent bien à la réalité actuelle. Nous aimerions simplement ajouter ces observations :

- A l'époque de la préparation de la loi-modèle de la C.N.U.D.C.I. sur l'arbitrage commercial international27, il y eut un large débat sur ce que devait être l'article 28(2) définissant la loi à laquelle devraient se référer les arbitres lorsque les parties n'auraient pas stipulé le droit applicable. 68 Les tenants de la lex mercatoria (au sens de la deuxième conception) espéraient une rédaction (suivant l'exemple des récentes lois française et néerlandaise sur l'arbitrage)28, visant des « règles de droit » librement établies par les arbitres, plutôt que « la loi » déclarée applicable par des règles de conflit de lois. Le but était d'autoriser les sentences à trancher sur la base de la lex mercatoria. Cette proposition fut repoussée29.

- Les sentences prononcées sur le fondement de la lex mercatoria peuvent sans doute être de belles choses, si elles sont rendues par des théoriciens du droit comparé profondément compétents. Mais si une application correcte de la lex mercatoria requiert des arbitres de cette dimension, il y aura simplement un manque d'arbitres qualifiés. De surcroît, il paraît raisonnable de supposer que, du point de vue des parties, les meilleures sentences sont celles prononcées par des personnes expérimentées dans le domaine spécifique du litige (contrat de construction, accords d'approvisionnement à long terme, chartes-parties, ou Police d'assurance) ; et ne serait-il pas regrettable que celles-ci soient disqualifiées ou peu disposées à accepter une mission parce qu'elles n'appartiennent pas aux cogniscenti de la lex mercatoria ?

- A ceux qui répondraient à ce dernier point en observant que l'on n'a pas besoin en réalité de craindre une pénurie de personnes désirant intervenir comme arbitres internationaux, il doit être opposé que ceci alimente plus qu'il n'apaise nos appréhensions. Le pouvoir d'appliquer la lex mercatoria peut être une recette d'amateurisme et d'arbitraire. Rien n'est plus aisé que de proclamer des principes communs sur la base de connaissances personnelles limitées et superficielles30. Si 69 trop de sentences sont rendues par des amateurs mercatoristes, nous pourrions avoir à déplorer une pression afin de renverser la tendance internationale favorable à la « nonrévisibilité » des sentences arbitrales quant à leurs conclusions en droit.

C. Troisième conception : la lex mercatoria, reflet d'un corpus d'usages ou de principes généraux du commerce international

L'expression lex mercatoria peut englober des normes du commerce international qui, tout en ne constituant pas un système de droit complet, n'en sont pas moins suffisamment établies pour qu'on puisse considérer que tout signataire d'un contrat international - de manière générale, ou selon les catégories de contrats - soit lié par elles. Ces normes ne seront sans doute pas souvent proclamées comme formant à elles seules « la loi » applicable à un contrat, mais joueront un rôle tantôt complémentaire, tantôt modérateur par rapport à celle-ci. Dans ce contexte, il ne semble guère nécessaire d'opérer la distinction entre principe général du droit et usage commercial. Les juges, les arbitres et les commentateurs semblent les confondre31, et c'est compréhensible ; la disparité de leurs sources n'empêche nullement l'unicité de leur fonction normative dans le rôle limité que nous venons de décrire L'arbitre (voire le juge) qui doit appliquer un droit national pourra ainsi fonder sa décision sur la lex mercatoria, pourvu qu'il soit saisi d'un litige issu des relations commerciales Internationales. Ce faisant, sa démarche n'est pas plus hardie que celle d'un juge qui applique des usages à un contentieux 70 commercial purement interne. Voici la conception que nous estimons être en pratique significative aujourd'hui. Nous considérons que le rôle ainsi attribué à la lex mercatoria est important et utile, tout en reconnaissant que cette conception est peut-être si banale que des commentateurs érudits l'auraient sans aucun doute trouvée indigne de nouvelles écoles de pensée. Apparemment, même un sceptique comme M. Mustill n'y trouverait pas l'occasion de mettre à l'épreuve sa faculté critique, acceptant ceci comme la chose la plus naturelle du monde. Dans la « New lex mercatoria », il n'accorde à cette conception qu'un regard passager :

« Personne ne peut nier que l'usage... peut être un élément important dans l'appréciation par le tribunal des droits et devoirs créés par le contrat, que ce soit parce que sous une forme codifiée ou inexplicite, ils ont été tacitement incorporés au contrat, ou parce qu'ils ont été reçus par la loi nationale compétente. Mais, ni le commerce international, ni l'arbitrage, ne présente un quelconque particularisme à cet égard »32.

M. Mustill souligne que l'« article 7(1) de la Convention de Genève de 1961, l'article 33(3) du Règlement d'arbitrage C.N.U.D.C.I., et l'article 13(5) du Règlement C.C.I. exigent que les usages du commerce soient pris en compte, puis il ajoute : « Mais la situation serait certainement la même sans ces articles »33.

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Le fondement de cette affirmation se trouve, bien sûr, dans les droits nationaux. Le lecteur se reportant à son propre droit national trouvera sans doute un texte visant l'applicabilité des usages34. En réalité, la loi-modèle de la C.N.U.D.C.I. sur l'arbitrage commercial international, qui est une recommandation pour l'harmonisation des droits nationaux (et dont les rédacteurs, comme on l'a vu, ont spécifiquement refusé de mentionner l'applicabilité des « règles du droit » autres que « la loi », en l'absence d'accord des parties sur ce point) dispose fermement en son article 28(4) que :

« Dans tous les cas, le tribunal arbitral décide conformément aux stipulations du contrat et tient compte des usages du commerce applicables à la transaction ».

La lex mercatoria, dans ce sens modeste, serait perçue comme un affinement de la notion d'usages, de façon à viser spécifiquement les contrats revêtant un caractère international. Dans cette optique, l'interprétation des contrats internationaux exige la reconnaissance du contexte transnational sous-tendant ces transactions. La justification pratique n'est pas difficile à saisir. Si le commerce international doit être facilité, le régime des contrats internationaux ne devrait pas être un champ de mines des dispositions cachées des droits nationaux. Il est facile d'affirmer que personne ne devrait souscrire un contrat régi, disons, par le droit finlandais ou 72 coréen, sans s'entourer de conseils juridiques, mais adopter une Position d'une rigidité absolue à cet égard, défend davantage la cause des consultants que celle du commerce. Une telle rigueur aboutirait à une situation où les parties considéreraient toute incursion dans le domaine international comme une grande aventure.

Pour ce qui concerne les parties opérant dans un grand nombre de pays, ne serait-il pas sain de postuler a priori que des contrats-standards détaillés devraient, autant que possible, être interprétés de manière uniforme, alors que les juges des pays X, Y ou Z auraient pu appréhender ces contrats différemment s'ils avaient été conclus séparément en vase clos dans le cadre de relations commerciales purement internes entre concitoyens ?

Il semblerait tout spécialement approprié d'éviter les particularités inattendues d'un droit national dans l'hypothèse où les parties n'ont pas choisi la loi applicable. Dans une telle situation, il peut être raisonnable de conclure que les parties ont fait un « choix négatif ». Chaque partie a proposé sa propre loi, mais chaque proposition a été rejetée ; et finalement aucune loi n'a été stipulée. L'arbitre qui donne alors primauté à une des deux lois réalise en fait exactement ce que les parties ont résolu de ne pas faire. L'on pourra également relever une autre situation dans laquelle la prédominance d'une quelconque loi nationale semble injustifiée, à savoir celle d'un contrat exécuté dans plusieurs pays35.

Un exemple de l'approche s'inspirant des considérations ci-dessus peut être utile. Dans l'espèce C.C.I. nº 209036, une partie pakistanaise engagea un arbitrage à l'encontre d'un fournisseur français lié par un contrat de vente C & F. Une sentence fut rendue en faveur de l'acheteur pakistanais par trois arbitres français, siégeant à Paris. Le tribunal prit clairement en compte les difficultés pratiques que peut rencontrer une partie du Tiers Monde en participant de loin à un arbitrage soumis à des règles qui lui sont peu familières, ainsi que le montre nettement l'aspect suivant de l'espèce.

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La partie française soutenait que, conformément à la loi française applicable en matière contractuelle, l'acheteur ne l'avait pas mis en demeure, ainsi que l'exige l'article 1139 du Code civil français. Notant que l'article 1139 prévoit « une sommation ou un autre acte équivalent », les arbitres rejetèrent cet argument technique. Ils estimèrent qu'il était opportun de prendre en compte le degré de familiarité qui pouvait être celui d'une partie pakistanaise à l'égard d'une loi étrangère qu'il avait acceptée pour régir le contrat :

« Considérant qu'il est nécessaire de prendre en compte le fait que le plaignant, s'il a accepté de soumettre la solution de son litige à la loi française, est cependant une société pakistanaise ayant une agence à Karachi, et de ce fait peu familiarisée avec les particularités techniques de la procédure civile légale française ;

Considérant que le demandeur peut avoir cru qu'il avait agi de bonne foi en contactant le Conseiller commercial français de Karachi, le 21 octobre 1970, afin qu'il intercède auprès du défendeur pour que celui-ci exécute le contrat de vente, et donc en accomplissant un acte ou un document pouvant être considéré comme une mise en demeure.

Considérant qu'en toute hypothèse, il est nécessaire de considérer comme un document équivalent à une mise en demeure la lettre du demandeur, datée du 19 mai 1971, par laquelle il a informé le défendeur de son intention de saisir la Cour d'arbitrage du " différend, issu de l'inexécution du contrat par le défendeur ". Une copie de cette lettre a été envoyée à la Chambre de commerce internationale »37.

Les arbitres ont donc tenu compte du caractère international du contrat, en retenant que l'approche d'une partie pakistanaise, habituée à certaines pratiques en matière de relations contractuelles, pourrait être tout à fait différente de celle d'une partie française. En effet, le fait que le contractant pakistanais ait su qu'un contrat spécifique est régi par le droit français (ou japonais ou brésilien) ne changera pas nécessairement les réactions instinctives de son personnel face aux événements surgis pendant la durée de ce contrat.

L'arbitre international ne devrait pas nécessairement tirer des actes ou omissions d'une telle partie des conséquences identiques à celles qu'un juge français déduirait de la même conduite d'un contractant français. Ceci peut difficilement être 74 contesté ; un bon juge français pourrait bien avoir les mêmes égards s'il avait affaire à un contrat international soumis au droit français, mais exécuté par des étrangers. L'arbitre C.C.I. est cependant plus souvent appelé à raisonner dans un contexte transnational - et y est plus apte s'il bénéficie, comme c'est souvent le cas, d'une expérience personnelle en matière internationale.

Insister sur le fait que l'arbitre international devrait essayer de comprendre comment réagirait un juge dont la loi est applicable, et ensuite s'y conformer à la lettre, semble finalement conduire à davantage de controverses. Afin d'éviter de faire violence à son propre sens de la justice, l'arbitre serait tenté de se faire violence intellectuellement afin d'opter pour l'applicabilité d'une autre loi. Dans la plupart des cas, son « erreur » dans la détermination du droit compétent ne serait pas sujet à la sanction du juge. Or recourir à ce type d'artifice est certainement moins attrayant que d'admettre franchement qu'un contrat international gouverné par la loi française peut être appréhendé sous un éclairage différent de celui réservé à un contrat strictement interne38.

Comprise comme l'ensemble des usages et principes devant être considérés comme reflétant l'entendement des parties aux contrats internationaux, la lex mercatoria aurait des effets à la fois positifs et négatifs.

L'effet négatif vient d'être illustré par l'espèce C.C.I. 2090 : l'éviction de spécificités contraires à l'attente raisonnable des parties.

L'effet positif est de reconnaître que certaines des règles applicables aux relations commerciales internationales sont si répandues qu'aucune référence spécifique aux sources de droit 75 national n'est nécessaire pour en justifier l'application39. Cette approche est particulièrement utile dans les cas où la loi compétente est inconnue du tribunal et où le montant du différend est si modeste qu'il ne serait pas économiquement justifié pour les parties d'engager des recherches et de fournir des preuves détaillées. Cela est même plus utile lorsque la loi compétente est celle d'un pays dont les sources de droit sont rudimentaires. Dans une telle situation, cette approche a également l'effet salutaire de permettre à l'arbitre d'accepter plus facilement le principe de l'applicabilité du droit de ce pays - augmentant ainsi la légitimité du processus arbitral international aux yeux des parties ressortissantes de ce dernier, et peut-être par la même occasion évitant des références contestées aux lois issues de précédents pouvoirs coloniaux, en tant qu'« ultimes » sources des droits des pays en voie de développement.

C'est donc dans le contexte de l'évolution des standards, auxquels il peut être directement fait référence sans invoquer davantage des sources particulières de droit national, que les précédents arbitraux interviennent.

Remarquer la banalité de cette troisième conception de la lex mercatoria ne devrait pas occulter le fait que l'application de ces normes relatives aux contrats internationaux correspond à un défi digne des plus talentueux juristes. L'importance accordée à la lex mercatoria, appliquée dans ce sens, ne serait pas la même dans tous les cas - ni ne le devrait, à la lumière de son ultime justification en tant qu'élément de l'attente raisonnable et légitime des parties. Ainsi, une société étrangère longtemps établie en France peut opportunément 76 être soumise aux normes françaises spécifiques, plutôt qu'aux usages internationaux. Et, sans doute, les usages pertinents concernant certains types de commerce seront souvent spécifiques à ce domaine d'activité, différents des usages internationaux généraux, et peut-être même occasionnellement divergents par rapport à ces derniers.

L'une des difficultés liées à l'emploi du mot « usages » vient de ce que sa première signification renvoie aux comportements des parties constatés dans la conduite des affaires courantes. Or l'arbitre international recherche les règles applicables à une situation pathologique : un litige. Il y a relativement peu de difficultés à appliquer les usages dans leur sens ordinaire pour éclairer la signification du langage contractuel (ainsi, par exemple, les usages pertinents peuvent indiquer si le « paiement » a été « effectué » à une date particulière). Mais il est difficile de désigner un « usage » déterminant lorsqu'une partie veut donner une qualification juridique à une situation complexe (telle que la neutralisation des obligations contractuelles imposées par un événement de force majeure) lorsque cette qualification est récusée par l'autre partie.

C'est là que les sentences arbitrales internationales peuvent être considérées comme générant des règles ; font partie des « usages » s'appliquant aux contrats internationaux, ceux engendrés par l'existence d'une jurisprudence arbitrale dont on peut dire qu'elle correspond désormais à l'attente des parties aux contrats internationaux. Dans ce sens, les « usages » peuvent tendre vers une catégorie de règles coutumières des contrats internationaux, et apparaître comme la source de normes utiles et légitimes en l'absence d'indications contraires des droits nationaux en principe applicables. D'aucuns objecteraient qu'il vaudrait mieux parler de « principes généraux » plutôt que d'usages ; l'observation est pertinente car la confusion est possible, mais pour notre part la terminologie importe peu dans ce contexte particulier, puisque, comme nous l'avons vu, il s'agit de la même fonction normative. D'accord pour « principes généraux » ; selon le contexte, ce terme peut en effet être plus adéquat. Nous exprimons toutefois de larges réserves quant aux affirmations soutenant que les normes, quelles que soient leurs appellations, constatées ou créées par les précédents arbitraux peuvent prévaloir sur les dispositions explicites du droit national compétent. Nous sommes également conscients des problèmes qui surgiraient 77 si les arbitres veillaient trop aux implications jurisprudentielles de leur sentence au-delà du litige qu'ils sont chargés de trancher.

Une dernière réflexion. Les droits nationaux donnent souvent au juge (et par extension, à l'arbitre qui peut avoir à les appliquer) un large pouvoir pour interpréter les stipulations contractuelles et les appliquer aux faits en cause. Lorsqu'un arbitre international exerce ce pouvoir, par exemple pour déterminer l'effet d'un amendement sur un contrat antérieur ou pour déterminer si l'événement de force majeure allégué 'était réellement insurmontable, il le fait (en conformité avec telle loi nationale compétente) à la lumière de toutes les circonstances de la cause. Quand ces circonstances relèvent d'une transaction internationale, impliquant des États étrangers, des droits étrangers, des langues étrangères et des monnaies étrangères - pour ne pas ajouter des étrangers - une certaine jurisprudence est générée par la répétition des décisions concernant des espèces transnationales similaires, qui, par définition, ne peuvent découler d'un contexte strictement national. Ceci est, dans notre esprit, un élément convaincant en faveur de la référence aux précédents arbitraux dans les sentences C.C.I.

Ainsi que le tribunal C.C.I. , présidé par le professeur néerlandais Pieter Sanders, l'a unanimement affirmé dans l'affaire nº 4131 jugée en 1982, après avoir cité deux sentences C.C.I. antérieures (relatives à la possibilité de déduire l'acceptation de la compétence arbitrale par les parties de leur attitude au cours d'exécution de leurs contrats internationaux) :

« Les décisions des tribunaux [C.C.I.] créent progressivement une jurisprudence qui devrait être prise en compte, car elle tire des conclusions de réalités économiques et se conforme aux besoins du commerce interne auxquels des règles spécifiques à l'arbitrage international, elles-mêmes élaborées successivement, devraient répondre »40.

78

II. - LE CONTENU MATÉRIEL DE LA LEX MERCATORIA À LA LUMIÈRE DES PRÉCÉDENTS C.C.I.

Le développement d'un corpus élaboré de règles faisant autorité suppose qu'hommes d'affaires et arbitres considèrent les décisions arbitrales comme une confirmation des usages du commerce international. En publiant les sentences rendues sous ses auspices, notamment en sélectionnant celles de ces décisions qui semblent particulièrement indépendantes du droit national41, la C.C.I. a contribué au développement de la lex mercatoria. L'on peut aujourd'hui discerner un nombre de principes applicables plus en raison de leur conformité à l'attente des parties que parce qu'ils sont imposés par des droits nationaux spécifiques.

C'est à ce point de sa lecture de la première édition de notre ouvrage sur l'arbitrage C.C.I. que M. Wetter, convaincu, comme nous l'avons vu, du potentiel significatif de ce qu'il préfère appeler « droit international de l'arbitrage », a écrit que nos efforts pour identifier des principes spécifiques avaient involontairement provoqué l'éclatement de la bulle. La démonstration tentée révélait, concluait-il :

« Un reste malheureusement desséché et insignifiant de ce qui était apparu comme un schéma juridico-technique de haute-voltige et merveilleusement brillant, qu'une analyse scientifique réduit à une douzaine d'axiomes juridiques, soit évidents, soit excessivement flous, de valeur juridique limitée »42.

A la lumière de cette appréciation et de plusieurs commentaires similaires, il convient de souligner les limites de nos prétentions concernant ces normes évolutives de la lex mercatoria. Certes, « les structures brillantes » de la lex mercatoria (première conception) ne sont pas matérialisées ici. Et ceux qui critiquent la lex mercatoria (deuxième conception), considérant qu'elle est loin de permettre de traiter l'ensemble des questions qui surgissent dans les différends relatifs aux affaires 79 internationales, peuvent affirmer avec quelque force qu'il est, par rapport au corpus complet d'un droit national, « desséché et insignifiant ». Ceci laisse « l'évident » et le « flou ». Or, dans notre conception, la signification de règles évidentes, voire floues, ne devrait pas être sous-estimée compte tenu des buts de la lex mercatoria (troisième conception).

La question est de savoir si la lex mercatoria est devenue si évidente concernant une norme donnée qu'elle peut s'appliquer sans référence nécessaire à une loi nationale. Si c'est le cas, le progrès est déjà significatif. Eu égard à l'hétérogénéité culturelle des participants au commerce international contemporain, il serait sans doute vain de s'attendre à ce que plus qu'une poignée de normes atteigne ce niveau d'universalité.

Quant aux normes qui apparaissent floues, elles ne peuvent manifestement pas être appliquées tant que cet adjectif leur est approprié. Mais les tentatives pour les appliquer indépendamment de tout droit national suggèrent qu'elles correspondent à de réels desiderata dans la pratique, et nous commande d'être attentif à toute évolution possible vers des normes plus claires et plus généralement acceptées43.

Les principes suivants ont été appliqués dans des arbitrages C.C.I. sans référence au droit national, constituant dès lors autant de règles matérielles de la lex mercatoria.

A. Normes de la lex mercatoria relatives au processus arbitral

Le pouvoir institutionnel de contrôler la conduite des arbitres. L'article 2 du Règlement d'arbitrage de la C.C.I. établit, en des termes très généraux, des modèles concernant la conduite des arbitres ; un arbitre C.C.I. peut être contesté s'il n'est pas « indépendant » des parties, s'il est « empêché » de jure ou de facto d'accomplir ses fonctions, ou s'il" « ne remplit 80 pas ses fonctions conformément au règlement ou dans les délais impartis »44. L'élément important pour notre propos est que les décisions de la Cour d'arbitrage de la C.C.I. relatives à la récusation des arbitres sont dans la plupart des cas définitives45 et se caractérisent comme un ensemble de règles uniformes propres à l'arbitrage C.C.I., plutôt que comme des règles relevant, suivant l'espèce, de différents droits nationaux. Ainsi, les critères de récusation retenus dans l'arbitrage C.C.I. peuvent être considérés comme constituant des normes appropriées à l'arbitrage international.

La liberté d'établir des règles de procédure. L'article 11 du règlement d'arbitrage de la C.C.I. donne aux arbitres la liberté (dans le silence des règles C.C.I. elles-mêmes, et en l'absence d'accord des parties) d'appliquer la règle de procédure qu'ils estiment adaptée, « en se référant ou non à une loi interne de procédure applicable à l'arbitrage ». L'abondante littérature décrivant les règles procédurales telles qu'appliquées dans la pratique reflète des principes communément acceptés, indépendants des droits nationaux, traitant de la manière dont un arbitrage commercial international devrait être conduit. (Ainsi, on peut considérer comme relevant de la lex mercatoria gouvernant le processus arbitral que les arbitres devront en premier lieu chercher à obtenir un accord des parties avant de donner des directives procédurales). Le fait que la transgression des règles nationales de procédure désignées puisse mettre en péril la sentence doit bien sûr contraindre les arbitres à la prudence, mais il est rare qu'un arbitre relève un conflit entre de telles règles et son sens de ce qui est approprié. Quoi qu'il en soit, l'observation qui nous intéresse ici est qu'il peut édicter des ordonnances de procédure sans être tenu de leur chercher un fondement précis dans une loi nationale de procédure.

81

La liberté de déterminer la loi applicable. Lorsque les parties n'ont pas choisi le droit applicable, l'article 13 du Règlement d'arbitrage de la C.C.I. prévoit que l'arbitre « appliquera la loi désignée par la règle de conflit qu'il jugera appropriée en l'espèce ». C'est certainement ici que la jurisprudence arbitrale C.C.I. a été la plus abondante, et que l'on trouve le plus fréquemment des arbitres C.C.I. citant des sentences précédemment publiées46.

Le pouvoir des arbitres de statuer sur leur propre compétence. Ce principe, consacré dans l'arbitrage C.C.I.47, est une règle largement reconnue. L'article 8 (3) des règles C.C.I. confie aux arbitres le soin de trancher les questions relatives à leur propre compétence. Les arbitres internationaux ont recouru très souvent au principe de la compétence48.

Un État ne peut invoquer sa loi interne pour invalider une convention d'arbitrage à laquelle il est partie. Ainsi que M. Keba M'baye, juge de la Cour internationale de justice (ancien Premier Président de la Cour suprême du Sénégal) l'a exprimé : « Un État ne doit pas pouvoir invoquer des dispositions de sa loi pour se dérober à un arbitrage qu'il a préalablement accepté »49. Ce principe de bonne foi a été appliqué par les arbitres C.C.I. en tant que norme impérative, perçue comme telle sans aucune référence à un quelconque droit national50. On peut noter qu'en vertu de la nouvelle 82 loi fédérale suisse sur le droit international privé, ce principe a été incorporé dans le droit national de l'un des principaux sièges de l'arbitrage international51. (C'est là un exemple unique - mais peut-être le signe d'une évolution future - d'une règle matérielle de droit national dérivée de la lex mercatoria, plutôt que le contraire !)

B. Normes de la lex mercatoria relatives à la force obligatoire du contrat

Le postulat classique de base, pacta sunt servanda, trouve un écho particulier dans le Règlement d'arbitrage de la C.C.I. dont l'article 13 (5) commande aux arbitres de tenir compte, Jans toutes les espèces, des termes du contrat52. Les arbitres présument ainsi, à titre d'exemple, que ceux qui négocient des contrats internationaux sont conscients de l'impact potentiel des fluctuations de prix et des réglementations des changes étrangères. A moins que les parties n'aient expressément prévu une autre répartition de ces risques, les arbitres hésitent à ajouter au contrat de leur propre chef des termes qui allègent l'obligation d'exécution de l'une des parties.

Les fluctuations des monnaies dans lesquelles le prix du contrat est stipulé modifient la valeur réelle des obligations contractuelles. Les parties peuvent éviter ce risque en insérant des clauses de stabilisation monétaire, par exemple en indexant la monnaie sur sa valeur or au jour de la conclusion du contrat53. Les arbitres C.C.I. ont avec constance 83 accepté l'effet des clauses expresses de stabilisation monétaire. Dans une espèce, par exemple, un acheteur iranien se vit attribuer par une sentence des dommages et intérêts en raison de la rupture du contrat par le vendeur yougoslave, conformément à la clause contractuelle de stabilisation monétaire, sans référence au contenu de la loi gouvernant le contrat54. En l'absence d'une telle clause, les parties aux contrats internationaux doivent généralement effectuer paiement dans la monnaie stipulée, même si sa valeur a changé. Dans une sentence rendue en 197455, une clause dans un contrat de vente obligeait les parties à négocier un nouveau prix de vente si les fluctuations monétaires devaient entraîner un déséquilibre dans les obligations des parties. Une dévaluation du dollar U.S. ayant provoqué des négociations infructueuses, le vendeur ne s'estimait plus lié. L'arbitre conclut que la clause litigieuse avait pour seul effet que les parties devaient négocier de bonne foi, l'échec des négociations ayant pour conséquence que le contrat demeurait en vigueur selon ses termes initiaux, y compris le prix. Parce que les parties avaient omis de prévoir un indice de stabilisation du prix, le vendeur ne pouvait soumettre à l'arbitrage que la question de la bonne foi de l'acheteur56. Les parties avaient sans doute envisagé les fluctuations monétaires, mais elles n'avaient pas en fait stipulé une clause de stabilisation monétaire. En réalité, elles avaient élaboré une sorte de clause de hardship, inadaptée à une stabilisation monétaire.

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Le principe pacta sunt servanda ne permet pas aux parties d'être totalement indifférentes aux problèmes de leurs cocontractants lorsque des circonstances manifestes ont rendu l'exécution difficile. Peu d'arbitres C.C.I. sont enclins à accorder la « livre de chair » du Marchand de Venise. Ils considèrent que le principe pacta sunt servanda doit être tempéré par une autre règle ; celle de la bonne foi.

La plupart des systèmes juridiques nationaux contiennent des textes juridiques qui prévoient, comme le Code civil égyptien dans son article 148, que57 :

« Un contrat doit être exécuté conformément à son contenu et dans le respect des exigences de bonne foi. Un contrat lie les parties contractantes non seulement par les conditions exprimées, mais aussi à l'égard de tout ce qui, en accord avec la loi, les usages et l'équité, doit être considéré comme nécessaire à la suite du contrat, compte tenu de la nature de l'obligation ».

Affirmer que le principe de la bonne foi est aussi devenu une norme de la lex mercatoria applicable « indépendamment » des droits nationaux peut sembler quelque peu futile, étant donné que la plupart des systèmes juridiques nationaux l'ont depuis longtemps érigé en pierre angulaire de leurs droits des obligations. Mais au-delà, les précédents arbitraux offrent des illustrations des « suites nécessaires » que l'exigence de bonne foi attache aux contrats internationaux. Ainsi, le principe de bonne foi a été appliqué pour opposer à une personne morale existante des documents signés au nom d'une société à créer58 ; pour décider que l'obligation de montage, acceptée par le fournisseur d'équipements de télécommunications destinés à être utilisés dans l'Afrique de l'Ouest, impliquait que ces équipements « aient été fabriqués avec toutes les spécificités requises pour être compatibles avec les conditions déterminantes sur le site »59 ; et pour décider que dans les circonstances d'une espèce mettant en cause un accord de distribution international entre clés parties américaine et argentine, d'une durée initiale de deux ans, ayant 85 été reconduit sur plusieurs périodes plus courtes, un préavis de résiliation de 2 mois constituait une rupture fautive60.

Dans plusieurs espèces, la question de la bonne foi a aussi été analysée en termes d'estoppel (voir (C) infra), comme dans l'affaire de la personne morale ayant signé au nom d'une société en formation ; ayant déterminé l'engagement contractuel de l'autre partie, elle ne pouvait écarter sa responsabilité simplement en n'achevant pas la constitution de la société au nom de laquelle le contrat a été formellement signé.

Si une partie peut, en dernière analyse, insister sur ses droits contractuels, il serait déconseillé de refuser même de discuter avec un cocontractant victime d'un changement substantiel des circonstances. Le refus de négocier de bonne foi a été sanctionné par les arbitres C.C.I.61.

L'exception de force majeure est assez souvent plaidée dans les arbitrages C.C.I. pour ne pas permettre d'en faire abstraction dans le cadre d'une discussion générale sur la force obligatoire des contrats. L'exception se subdivise en plusieurs questions portant sur les éléments de l'exception, tels que la signification et la portée des exigences « d'insurmontabilité » , « d'imprévisibilité » et « d'extériorité »62.

Les arbitres C.C.I. ont distingué l'impossibilité d'une simple impraticabilité ou d'un caractère onéreux. L'incapacité pour une partie de s'exécuter ne constituera pas une impossibilité si, objectivement, quelqu'un d'autre pouvait réaliser l'exécution 86 à sa place63. L'événement allégué à fin libératoire doit également être extérieur à la partie qui l'invoque. Une partie serait de mauvaise foi si elle créait d'abord l'impossibilité, et tentait ensuite de s'en servir pour sa défense. Le concept pose un problème particulier - et particulièrement difficile - dans les litiges impliquant des entités publiques, lorsque les demandeurs prétendent que l'intervention du gouvernement ne doit pas être reconnue comme un événement intervenant hors du contrôle des parties. La question est au cœur des difficultés liées à la caractérisation des relations existant entre des organismes publics étrangers et le gouvernement qui les a créés et les contrôle. Quoique les arbitres internationaux semblent présumer la régularité des actes accomplis par des Etats non soumis à leur juridiction, ils ont pu être amenés à rejeter la possibilité d'invoquer de tels actes en tant qu'événement de force majeure lorsqu'ils ont été convaincus qu'il y avait collusion64, voire simplement que les liens entre l'entité publique et l'Etat sont trop étroits65.

87

Les parties aux contrats internationaux sont présumées avoir une certaine capacité à tenir compte des aléas des transactions internationales. Ainsi, la survenance d'un événement prévisible ignoré par le contrat ne relève pas une partie de ses obligations. Les contrats internationaux sont réputés particulièrement sensibles aux fluctuations des prix et aux régulations gouvernementales du commerce extérieur. Le risque du marché est un facteur élémentaire du commerce international. Ainsi, même la modification drastique d'un prix 88 ne sera généralement pas acceptée comme étant un événement imprévisible66.

Les arbitres peuvent estimer que la réglementation gouvernementale du marché était prévisible et de ce fait ne constitue pas une exception valable. Le fait que la législation de droit commun est potentiellement applicable à une partie oblige celle-ci à anticiper ses applications sur le contrat67. Par ailleurs, des gels monétaires peuvent être prévisibles même en l'absence d'une législation générale68.

Les critères de la force majeure doivent impliquer un examen minutieux de la transaction particulière en cause, à la lumière des usages propres à un commerce spécifique. Par exemple, un contrat de vente de courte durée portant sur des biens fongibles peut justifier une présomption plus forte d'intention spéculative, et ainsi requérir des conditions plus strictes pour l'exception de la force majeure qu'un contrat impliquant l'engagement à long terme de fournir des biens et services non substituables.

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Une partie estimant que sa capacité d'exécution est menacée par un événement de force majeure a normalement le devoir d'en avertir son co-contractant. Cette obligation va de pair avec l'exigence de loyauté, de bonne foi, et de coopération dans la réalisation des obligations contractuelles. Comme l'a affirmé une sentence C.C.I. : « en vertu d'un principe général du droit... il est du devoir de la partie ayant subi le préjudice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter un accroissement des dommages »69. La justification de l'exigence d'une prompte notification repose donc en ce qu'elle permet à la partie victime de limiter ses pertes en trouvant un substitut adéquat le plus tôt possible.

Cette discussion de la norme de pacta sunt servanda serait incomplète si on omettait une deuxième grande exception : les contrats ne sont pas obligatoires si leur but est contraire à d'ordre public international. En effet, les arbitres internationaux peuvent considérer un contrat comme contraire à une norme impérative de moralité internationale (contra bonos mores)70. Il faut noter à cet égard que le Conseil de la C.C.I. a adopté un Règlement de conduite pour lutter contre les extorsions et la corruption71, dont l'article 1 prévoit simplement que « personne ne doit réclamer ou accepter un pot-de-vin ».

C. Normes de la lex mercatoria relatives à l'appréciation du comportement des parties

Les actions d'une partie peuvent être analysées comme une acceptation tacite des modifications du contrat. Le premier 90 secrétaire général de la Cour d'arbitrage C.C.I. s'est en effet référé à :

« ... une attitude constante logique des arbitres du commerce international, pour lesquels toute action ou omission d'un co-contractant qui constitue un fait nouveau par rapport à une stricte application des stipulations contractuelles appelle une réaction immédiate de l'autre co-contractant, sans quoi ce dernier est supposé avoir renoncé à agir »72.

L'idée que le défaut de réaction prompte peut entraîner une renonciation est fréquemment objectée ; aux parties qui allèguent le défaut d'exécution contractuelle mais qui n'ont pas, en temps voulu, promptement et clairement exprimé leur intention de considérer le contrat résilié du fait de ce manquement. Leur silence en effet créait une situation ambiguë, qui leur permettrait de jouer sur deux tableaux. Dans de telles circonstances, les tribunaux C.C.I. ont réduit les dommages et intérêts73. Dans d'autres situations, le défaut de réaction du demandeur, selon le mode approprié (par exemple, lors de l'inspection des biens), prive le défendeur de la possibilité de corriger rapidement une exécution défectueuse. Réduire la condamnation au titre de tels manquements semble compatible avec le devoir, bien établi, de minimiser le préjudice.

La citation ci-dessus ne devrait cependant pas être interprétée comme signifiant que « silence vaut acquiescement »74. Les notions ci-dessus semblent plus utiles en tant que guides à la réflexion de l'arbitre lorsqu'il évalue les éléments de fait - où tout est question de degré - qu'en tant qu'éléments générateurs d'un principe qui ne saurait être articulé en termes généraux sans susciter des controverses.

Il convient, dans ce contexte, de relever que le principe actori incumbit probatio a été appliqué par les arbitres C.C.I. comme concept fondamental de la communauté juridique internationale. Ainsi que les arbitres l'ont déclaré dans une 91 sentence rendue à Genève en 1981, la règle « selon laquelle chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit » ne pouvait être négligée quand bien même les arbitres statuent en amiables compositeurs, car elle « s'impose aux juges arbitres, sous peine d'arbitraire »75.

Il arrive souvent qu'un acheteur, refusant de prendre livraison conformément aux procédures contractuelles, utilise néanmoins les équipements ou les biens, et réclame plus tard de se voir réserver le droit de contester leur qualité. En l'absence d'autres facteurs justifiant le refus d'une acceptation formelle, les arbitres C.C.I. ont estimé que l'utilisation équivalait à l'acceptation76.

Ce raisonnement s'accorde bien avec la doctrine moderne de l'estoppel, une création du droit anglo-américain qui ne figure pas traditionnellement parmi les principes admis de la lex mercatoria. Reconnaissant explicitement ce fait, Emmanuel Gaillard a néanmoins conclu qu'une règle dont l'effet est qu'aucune partie ne peut se contredire au détriment d'une autre peut maintenant être estimée élevée au rang de « principe général applicable à l'arbitrage commercial international »77. Bien que ses principales références soient des sentences arbitrales impliquant des Etats78, M. Gaillard est convaincu que rien dans les sources ou dans le domaine de ce « nouveau principe » ne le limite à des hypothèses de contrats d'Etat79.

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D. Normes de la lex mercatoria relatives à l'interprétation du contrat

En application du principe ut res magis valeat quam pereat (celui de « l'effet utile » ), on doit, lorsqu'on est confronté à des dispositions contractuelles qui peuvent avoir plus d'une interprétation, ou qui en contredisent une autre, favoriser l'interprétation qui préserve l'effectivité de chaque stipulation. En d'autres termes, les interprétations qui ont pour effet l'annulation des termes du contrat, ou qui les rendent redondantes, doivent être évitées. Les arbitres C.C.I. ont retenu l'effet utile comme un « principe d'interprétation universellement reconnu »80.

Une autre règle d'interprétation est négative81 ; selon cette règle, les qualifications utilisées par les parties ne sont pas déterminantes. Les arbitres C.C.I. ont ainsi refuse de s'estimer liés par ce que les parties avaient jugé bon d'appeler leurs actes ou leurs contrats82, dès lors que ces expressions prétendaient créer des classifications juridiques erronées.

E. Normes de la lex mercatoria relatives à la responsabilité contractuelle

Le principe de l'obligation de minimiser les dommages, réaffirmé en 1987 dans une sentence qui, selon l'accord des parties, appliquait expressément la lex mercatoria83, est devenu une norme régulièrement appliquée dans les sentences C.C.I. M. Loquin a sans doute raison lorsqu'il écrit qu'il 93 s'agit de « l'un des usages les moins contestés du commerce international »84.

Pour évaluer les dommages, les tribunaux C.C.I. ont apprécié ce qui était prévisible selon le cours ordinaire des événements85. Un commentateur, remarquant que les arbitres C.C.I. considèrent que le principe a un « champ d'application international », concluait que le raisonnement des arbitres était en accord avec, à la fois, une espèce célèbre anglaise du 19e siècle (Hadley v. Baxendale) et l'article 1150 du Code civil français86.

Le droit pour une partie défenderesse d'invoquer les effets de la compensation - ce que les common lawyers appellent setoff - revêt souvent une importance pratique primordiale dans l'arbitrage. L'acheteur doit-il immédiatement régler le prix d'achat lorsqu'il prend livraison d'une expédition parmi plusieurs prévues au titre d'un même contrat, en dépit de sa propre demande reconventionnelle concernant d'autres livraisons défectueuses, ou son paiement peut-il être suspendu pendant que le fond de la demande reconventionnelle est examiné par le Tribunal arbitral ? Est-ce qu'un concessionnaire nationalisé peut refuser de payer des taxes ou des redevances liées aux minerais extraits, parce qu'il existe une créance non liquidée (au titre de la nationalisation) en compensation ?

La réponse à ces questions n'aura peut-être aucune signification théorique concernant le fond du différend, mais en pratique elle sera peut-être la seule chose qui compte : si la compensation ne joue pas, le demandeur reconventionnel pourrait être anéanti économiquement, ou devoir faire face à de telles dépenses, délais, ou autres difficultés de recouvrement, qu'il doive accepter une transaction pour une fraction de ce qu'il est, en principe, en droit d'attendre.

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Il paraît aujourd'hui soutenable que la compensation de créances nées d'un même contrat est un principe arrêté des usages du commerce international nonobstant le droit national applicable au contrat, du moins aussi longtemps que les demandes concurrentes doivent être entendues par le même tribunal87. L'utilité d'une règle en la matière est particulièrement importante, puisqu'à défaut les créances concurrentes pourraient être régies distinctement par des droits nationaux différents retenant des critères différents de la compensation. Conclure que la validité de la compensation devrait nécessairement être jugée suivant le droit régissant la créance dont on recherche l'extinction, comme semble le faire le droit suisse, a un attrait intuitif, mais n'est pas concluant. Si « la loi de la demande reconventionnelle » , par opposition à « la loi de la demande » , définit des conditions différentes pour l'utilisation des créances pour éteindre des dettes, il y aura de toute façon un débat.

Liée à la question de la compensation, la doctrine de l'exceptio non adimpleti contractus tient l'inexécution contractuelle pour excusable en tant que réaction au manquement d'exécution de l'autre partie contractante. Cette doctrine a une légitimité particulière en matière de demandes concurrentes pouvant être utilisées, en dernier recours, pour se compenser et produire une seule dette « nette ». Il y a des indications selon lesquelles l'exceptio pourra être considérée comme une règle autonome de l'arbitrage international88. On peut relever que l'exceptio a été inscrite à l'article 60 de la Convention de Vienne sur la loi des traités précisément parce qu'on a pensé que dans les conflits internationaux il serait injuste de tenir la partie ayant subi un préjudice dans 95 l'obligation de continuer à se conformer à un traité que l'autre partie viole, et ce pendant toute la durée de la procédure, aussi longue soit-elle89 ; un raisonnement identique peut être soutenu dans le contexte des relations contractuelles internationales non régies par le droit public international.

F. Les règles douteuses

Dans son importante étude, Lord Justice Mustill a répertorié vingt règles « représentant un inventaire assez complet des règles que l'on dit constituer la lex mercatoria dans sa forme actuelle »90. La plupart d'entre elles ont été discutées ci-dessus sous une forme plus synthétique. Les règles tombant dans les catégories suivantes, bien que relevées par M. Mustill, sont plus discutables, soit parce qu'elles sont floues (pour employer le mot de M. Wetter), soit parce qu'elles risquent vraisemblablement d'être neutralisées par d'autres normes contradictoires, et donc en dernière analyse ne paraissent pas pouvoir échapper à l'emprise d'un droit national.

L'imprévision. L'idée que les obligations contractuelles puissent être atténués ou neutralisées par un changement de circonstances, ou par la découverte que le demandeur a commis un abus de droit, ou que les termes du contrat sont injustes, pose déjà de grands problèmes lorsqu'elle se rencontre dans le cadre d'un droit national donné. Toute tentative 96 destinée à l'introduire comme principe général applicable par l'arbitre C.C.I. (quelle que soit sa validité dans les cas où certains droits nationaux, tels ceux de l'Algérie ou la Norvège, doivent s'appliquer) semblerait ouvrir la porte au subjectivisme et à l'imprévisibilité, et doit donc être envisagée avec une encore plus grande réserve91.

Culpa in contrahendo (faute dans la négociation). Si M. Mustill cite un commentateur pour avoir conclu que l'espèce C.C.I. nº 2540 a reconnu la culpa in contrahendo en tant que principe général, il remarque aussi que cette espèce particulière semble avoir été tranchée en application d'un droit national92. De plus, les divers droits nationaux, en érigeant des règles et des sanctions destinées à veiller au respect de ce qu'on pourrait commodément appeler la bonne foi dans la négociation contractuelle, ont élaboré des conditions assez complexes dont la mise en œuvre est loin d'être uniforme. Il suffit pour s'en convaincre de songer à la richesse de la jurisprudence dans ce contexte de tous les systèmes juridiques développés, qu'elle procède sous les rubriques de l'offre ferme, de l'erreur, du dol, de la négligence, de l'estoppel, ou du contrat par implication93. De tels outils nécessitent un maniement délicat dans le meilleur des cas, et ne conduit pas facilement à la conclusion qu'il existe des normes transnationales sur le comportement précontractuel. 97 Le fondement nécessairement contractuel de l'arbitrage est de nature à exacerber la difficulté94.

CONCLUSION : VERS UNE NOTION DE JUSTICE ARBITRALE

Les théoriciens proposent deux approches apparemment antagonistes du processus par lequel les membres d'une société se conforment aux règles. L'une de ces approches a mis l'accent sur la communication du droit aux gouvernés par une élite. Cette approche « de haut en bas » n'admet le rôle des gouvernés que comme un mécanisme secondaire de création du droit, par le mécanisme de rétroaction. D'un autre côté, une conception « vers le haut » a appréhendé les valeurs sociales et culturelles de la communauté comme la source essentielle du droit. Cette dernière théorie fournit l'explication la plus adéquate du développement d'une nouvelle lex mercatoria.

98

L'autonomie des parties, la liberté contractuelle, joue en effet un rôle primordial dans la création de ces normes. Lorsque des parties privées règlent leurs propres relations juridiques, l'État a essentiellement délégué aux individus le j pouvoir d'établir leur loi à l'intérieur de certaines limites. L'autonomie des parties autorise ainsi la communauté du commerce international à créer son propre environnement réglementaire par des interactions contractuelles, minimisant l'impact du droit national. De plus, par le biais de contrats, la communauté commerciale peut instaurer des organes juridictionnels à la fois pour interpréter et pour appliquer des normes distillées des pratiques commerciales anationales.

Les contrats standardisés, s'efforçant de cristalliser les habitudes et les pratiques existant dans un secteur du commerce particulier, ont un rôle important à jouer dans l'élévation de ces normes à un plus haut niveau d'autorité. Lorsqu'ils sont utilisés fréquemment à l'intérieur d'un secteur commercial donné, ces contrats standardisés autorégulateurs peuvent procurer une stabilité qui dépasse le cadre d'une transaction particulière et créer un corpus de normes coutumières95.

L'arbitrage C.C.I. semble particulièrement bien adapté à l'application de la lex mercatoria. Issus d'une multitude de pays, les arbitres sont moins lies par les préoccupations nationales que les juges, et on peut attendre d'eux des perspectives moins partisanes, mettant l'accent sur la bonne foi, les principes généraux du droit et les éléments d'équité particuliers de la situation.

Que peut-on dire finalement de la différence qualitative de la justice rendue par les arbitres internationaux comparée à celle rendue par les juges nationaux ? Il est certainement vrai que les arbitres sont moins contraints par les technicités juridiques ; dans les espèces C.C.I., comme dans la plupart des arbitrages internationaux, ils ne vivent pas dans la crainte des cours d'appel. De surcroît, le fait que souvent les deux parties ont chacune nommé un arbitre semble avoir pour effet pratique une dynamique psychologique du tribunal militant en faveur de sentences « équilibrées ». Ceci ne signifie pas que les arbitres doivent être confondus avec des médiateurs. Ils 99 doivent rendre une décision basée sur des principes et non sur une volonté de couper la poire en deux, ou d'accommoder les parties.

Sur la question de la responsabilité, il y aura en général clairement un vainqueur. Les arbitres trouvent souvent qu'une partie a entièrement raison sur le plan du droit et de l'interprétation du contrat. Leur décision quant aux dommages et intérêts est fréquemment moins catégorique. En effet, le quantum des dommages et intérêts laisse parfois insatisfaites les parties ayant opté pour l'arbitrage même lorsqu'elles ont gagné. Elles estiment que si elles avaient clairement raison, elles auraient dû obtenir l'entière mesure des dommages et intérêts requis. En cas de refus, elles perçoivent les arbitres comme trop conciliants, trop soucieux de rendre une sentence acceptable pour les deux parties au lieu de tirer les entières conséquences de leur décision sur le fond.

Il est peut-être vrai qu'à l'égard au moins du manque à gagner, les arbitres internationaux tendent à être conservateurs. Cependant, leur attitude pourrait être moins une conséquence de leur état d'arbitres que du fait que leur horizon est international. Les contrats internationaux sont souvent pourvus d'incertitudes plus importantes que les contrats internes. Ainsi, s'il est vrai que les arbitres ne se laissent pas toujours séduire par les démonstrations du lucrum cessans quand bien même elles seraient théoriquement parfaites, il se peut qu'ils ne fassent que de se conformer à une attente réaliste. (Évidemment, les paramètres qui déterminent ce à quoi l'on peut raisonnablement s'attendre varient selon le contexte de chaque espèce). Réciproquement, les arbitres peuvent être convaincus d'accorder des dommages et intérêts s'ils croient qu'il était prévisible, dans les circonstances, que certains profits allaient se réaliser même s'ils ne peuvent pas être prouvés avec une certitude mathématique ou par des preuves complètes.

Finalement, la qualité de l'arbitre international se révèle dans la réponse à la question suivante : sa sentence consacre-t-elle ce que les parties doivent raisonnablement être tenues d'avoir compris comme étant les conséquences de leurs engagements contractuels ? Si la justice arbitrale internationale se démarque de la justice des juridictions nationales, en ce sens que trois arbitres de nationalités différentes siégeant à Londres ou Bagdad sont peu susceptibles de suivre la même 100 procédure, et de produire exactement la même décision, que celles des juges anglais ou irakiens, n'est-ce pas conforme à l'attente des parties ? Voici sans doute l'ultime justification de l'application par l'arbitre international de normes générées par la pratique contractuelle et arbitrale.

*Cette étude a pour origine les travaux de l'auteur relatifs à la deuxième édition de l'ouvrage de MM. Craig, Park et Paulsson, International Chamber of Commerce Arbitration. (I.C.C. Publishing S.A., 1990). MM. Philippe Fouchard, Charles Jarrosson, Pierre Mayer, et Philippe Ouakrat ont bien voulu lire l'article en forme de projet ; sans prétendre qu'ils partagent nécessairement ses opinions, l'auteur tient à les remercier de leurs suggestions.
1R. Thompson et Y. Derains, Introduction, Clunet, 1974.878.
2Y. Derains, Observations, Clunet, 1981.914. Voir aussi du même auteur « Les normes d'application immédiate dans la jurisprudence arbitrale internationale », in Le droit des relations économiques internationales, 29, 30. (Liber amicorum B. Goldman, 1982).
3Voir affaires C.C.I. 3627/1979, VII Yearbook, 96 (1982) ; 5103/1988, Clunet, 1988. 1206.
4Voir affaire C.C.I. 3380/1989, VII Yearbook, 116, 119 (1982).
5Voir affaires C.C.I. 3493/1983, IX Yearbook, 111 (1984) ; 5073/1986, XIII Yearbook, 53. 60 (1988) ; 2404/ 1975, Clunet, 1976.995.
6Voir affaires C.C.I. 2930/1982, IX Yearbook, 105, 106 (1984) ; 4131/ 1982, IX Yearbook,131. 136-7 (1984) ; 4381 / 1986, Clunet, 1986. 1102 ; 4237/ 1984, X Yearbook, 52, 55 (1985) ; 4695/1984, XI Yearbook, 149, 152. (1986). Voir aussi Affaires du Tribunal du différend Iran-U.S.A. 74 el al., XIII Yearbook, 288, 292 (1988).
7Y. Derains, Observations, Clunet, 1981.914. Voir aussi T. Carbonneau, « Rendering awards with Reasons : The Elaboration of a Common Law of International Transactions », 23 Columbia Journal of Transnational Law 579 (1985), ainsi que les contributions au séminaire tenu sous l'égide de l'Institut du droit et des pratiques des affaires internationales de la C.C.I. les 7 et 8 avril 1986, publiées dans un dossier de cet Institut intitulé «L'apport de la jurisprudence arbitrale ».
8A. Kassis, Théorie générale des usages du commerce, p. 501 (1984).
9W. L. Craig, W. W. Park, J. Paulsson, International Chamber of Commercial Arbitration, Oceana Publications, Inc./I.C.C. Publishing S.A., 1' édition 1984, 2º édition 1990.
10J.G. Wetter, 1984 Svensk juristtidning 156, 161.
11Le nom le plus fréquemment associé à la doctrine de la lex mercatoria est celui de M. Berthold Goldman, et ses deux essais majeurs publiés à 15 ans d'intervalle : « Frontières du droit et lex mercatoria » in Archives de philosophie du droit, p. 177 (1964), et « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux : réalités et perspectives », Clunet, 1979.475. Pour une vue complète de la littérature sur ce sujet, voir Le droit des relations économiques internationales (1982), un recueil d'essais liber amicorum en l'honneur du Professeur Goldman qui montre que la lex mercatoria ne fait pas l'unanimité. Voir en particulier P. Lagarde, « Approche critique de la lex mercatoria », p. 125. Tout récemment, voir G. Delaume, « The Proper Law of State Contracts and the Lex Mercatoria : A Reappraisal », I.C.S.I.D. Review-FILJ 1988.79 ; Ph. Kahn, « Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce international », Clunet, 1989.303 ; E. Loquin, « La réalité des usages du commerce international », Revue internationale de droit économique 1989. 163 ; ainsi que K. Highet, « The Enigma of the Lex Mercatoria », 63 Tulane Law Review 613 (1989).
12En 1986, le Conseil Général de la Cour d'arbitrage C.C.I. notait que la lex mercatoria « apparaît rarement » dans les arbitrages C.C.I., S.Jarvin, Clunet 1986.1138.
13La profonde admiration que nous portons à M. Goldman ne nous empêche pas de penser qu'il s'est laissé pour une fois entraîner par une sorte de « péché mignon » de l'esprit en voyant dans l'arrêt de la Cour de cassation d'Italie du 8 février 1982, Riv. dir. int. pubb. priv. 1982-829, l'expression, « en des termes particulièrement catégoriques », d'une doctrine selon laquelle la lex mercatoria revêt « la dignité d'une source du droit du commerce international », in « Une bataille judiciaire autour de la lex mercatoria » Rev. arb., 1983.379, 401. Il s'agissait en réalité du rejet d'une sentence rendue à Londres contre une entreprise italienne. La sentence n'était pas motivée. Ni le droit anglais, ni le règlement auquel les parties s'étaient référées (celui du Refined Sugar Association) n'exige que les sentences soient motivées. Alors que la Cour d'appel de Messine a déclaré la sentence exécutoire, la Corte di cassazione a fait droit à une objection puisée dans la Convention de Genève de 1961, les parties en cause étant italienne et allemande, donc ressortissantes de deux pays signataires de cette Convention. Celle-ci prévoit, en son article 8, que « les parties sont présumées avoir entendu que la sentence arbitrale soit motivée. » Or, le règlement d'arbitrage auquel les parties se sont référées n'exigeait pas que la sentence soit motivée ! Pour justifier le résultat pour le moins curieux qu'une présomption l'emporte sur une certitude contraire, la Corte di cassazione s'est aventurée dans une discussion abstraite et à vrai dire consternante sur « l'opinio necessitatis » des opérateurs du commerce international, au cours de laquelle apparaît un membre de phrase magique : « il existe une lex mercatoria », Rev. arb., 1983.401. Bien des opérateurs économiques comprendraient simplement, à tort ou à raison, que la Cour a trouvé une astuce pour sauver une partie italienne d'une sentence étrangère qui lui déplaisait. On sait que lorsque la Cour de cassation française a accepté une sentence anglaise non motivée en la déclarant non contraire à l'ordre public international français (C. Cass. 18 mars 1980, Bull. Civ. Nº 87, p. 71), ceci fut considéré comme la marque d'une ouverture à l'égard de l'arbitrage international. Il est assez paradoxal de voir M. Goldman, ardent défenseur de la libre circulation des sentences arbitrales, applaudir quand la justice italienne produit le résultat contraire. S'il s'agissait d'établir la preuve d'une reconnaissance de la lex mercatoria, on demanderait plutôt à voir une décision approuvant une sentence arbitrale rendue en application de la seule lex mercatoria à l'exclusion de tout droit national ; en d'autres termes, un arrêt Norsolor à l'italienne...
14In Bos & Brownlie, eds., Liber Amicorum for Lord Wilberforce 149 (1987), republié in 4 Arbitration International 86 (1988).
15Il existe aussi des circonstances, sans intérêt pour notre discussion, où les arbitres s'attachent à l'effet de droits nationaux autres que celui qu'ils ont déclaré applicable au contrat, par exemple pour déterminer la capacité légale d‘une partie, ou l'effet des règles impératives du pays où le contrat doit être exécuté. Cet aspect apparaît aujourd'hui encore plus important, compte tenu du développement constant des règles impératives étatiques d'application indépendante de la loi d'autonomie. Si l'on examine, à titre d'exemple, le système juridique des États-Unis, il s'est indubitablement opéré une extension de la loi extra-contractuelle que les arbitres sont tenus d'appliquer, de la validité des brevets d'invention à l'effet des lois anti-trust. Voir Craig, Park et Paulsson, supra note 9, Section 33.02.
16Dans une rigoureuse analyse des écrits théoriques, M. Pierre Mayer balaye un grand nombre d'abstractions inutiles pour parvenir à la conclusion que : « La source ultime de la juridicité d'une relation internationale se trouve simultanément dans tous les États dont les tribunaux peuvent être appelés à émettre une décision à son égard, soit directement, soit à l'occasion de l'exequatur d'une sentence arbitrale : aucun ordre juridique n'est fondamental pour la relation ; la Grundlegung est inexistante » : « Le mythe de l'ordre juridique de base (ou Grundlegung) », in Le droit des relations économiques internationales, 199, 216 (Mélanges B. Goldman, 1982).
17Voir Mustill, 4 Arbitration International 86, p. 108-109 ; M. Mustill & S. Boyd, Commercial Arbitration 594-96 (1982) ; J. M. H. Hunter, « Publication of Awards and Lex Mercatoria » , 54 Arbitration 55, pp. 57-58 et 67 (1988).
18Cour suprême d'Autriche, 18 novembre 1982, Norsolor S.A. cl Pabalk Ticaret in 1983 Recht der Internationalen Wirtschaft 29, 868 ; Clunet, 1983.645, note Seidl-Hohenveldern ; Cour d'appel de Paris, 15 juillet 1989, (Compania Valenciana de Cementos Portland S.A. cl Primary Oil Co.) à paraître, in Rev. arb. 1990, note Lagarde.
19Voir H. Van Houtte, « La loi belge du 27 mars 1985 sur l'arbitrage international », Rev. arb., 1986. 29 ; J. Paulsson, « Arbitration Unbound in Belgium », 2 Arbitration International 68 (1986).
20In Deutsche Schachtbau- und Tiefbohrgesellschaft mbH v. Ras Al Khaimah National Oil Co. et Shell International Petroleum Co. Ltd., 2 Lloyds's L. Rep. 246 (1987), 2 All L. Rep., 769 (1987) ; extraits in XII Yearbook, 522 (1988) ; infirmé pour d'autres motifs par la Chambre des Lords, 2 Lloyds L. Rep., 293 (1988), 2 All E. L. Rep., 833 (1988). Les juridictions françaises ont également donné force exécutoire à des sentences C.C.I. appliquant la lex mercatoria, rendues en Autriche et en Suisse respectivement, arrêts Norsolor, Rev. arb., 1985.431, note Goldman, et Fougerolle, Rev. arb., 1982.183, note Couchez.
214 Arbitration International 86, p. 98 (1988).
22Id. p. 102. M. Goldman admet que nombre des lacunes de la lex mercatoria (en particulier sur la validité du consentement), sont structurelles et non temporelles, in « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux », Clunet, 1979.475, p. 479-480. Commentant cette admission, M. Lagarde en déduit que M. Goldman considère ainsi ces questions comme « étant naturellement du ressort des ordres juridiques nationaux » , in « Approche critique de la lex mercatoria », supra note 11, p. 141.
234 Arbitration International 86, p. 92 (1988).
24Les premières sources sont le Yearbook, le Clunet, et depuis 1986, International Arbitration Report ; voir aussi Craig, Park et Paulsson, supra note 9, appendice IV.
254 Arbitration International 89, p. 92-3 (1988). Nous adhérons entièrement à l'observation suivante de Lord Justice Mustill : « Dans la doctrine, l'utilisation d'encyclopédies juridiques est parfois préconisée. J'estime que celles-ci sont généralement plus qu'inutiles dans cette matière particulière, à moins que le lecteur ne soit guidé par quelqu'un qui a une connaissance directe : un mince savoir est en effet chose dangereuse. Quiconque a une expérience pratique des différends internationaux doit connaître la difficulté d'effectuer une évaluation précise du droit d'un seul système juridique peu familier, à défaut d'une assistance d'experts si onéreuse et prolongée qu'elle serait hors de question si une douzaine de droits différents devaient être comparés ». Id. p. 92, n. 24. Ce type de considération est sans aucun doute à la base de la réticence de nombreux arbitres à retenir la lex mercatoria (deuxième conception). Ainsi, dans une espèce où la preuve semblait claire que les parties n'avaient pas, en contractant, examiné la question de la loi applicable au fond, le tribunal C.C.I. a déclaré son refus d'appliquer la lex mercatoria : « ... le choix d'une telle loi exige un accord entre les parties, qui, en l'espèce, n'a pas été atteint » ; affaire C.C.I. 4650, XII Yearbook, III, p. 112 (1987).
264 Arbitration International 86, p. 95-6 (1988).
27Voir G. Hermann, « The UNCITRAL Model Law : its Background Salient Features and Purposes », 1 Arbitration International 6 (1985) ; du même auteur, « UNCITRAL Adopts Model Law on International Commercial Arbitration » , 2 Arbitration International 2 (1986) ; S. Jarvin, « La loi-type de la C.N.U.D.C.I. sur l'arbitrage commercial international », Rev. arb. 1986.509 ; J. Paulsson, « Report on the UNCITRAL Model Law as Adopted in Vienna on 21 June 1985 », 52 Arbitration 98 (1986).
28Voir Craig, Park et Paulsson, supra note 9, section 17.04.
29D'un autre côté, l'article 28 (1) traitant du choix de la loi par les parties se réfère aux « règles de droit », ce qui autorise, conclut le Professeur C. Schmitthoff, les arbitres à appliquer la lex mercatoria si les parties l'ont stipulé ainsi, International Trade Usages p. 48 (Publication C.C.I. Nº 44014, 1987).
30M. Mustill, 4 Arbitration International 86, p. 113, note 95, décrit l'affaire C.C.I. 2291 / 1975, Clunet, 1976.989, comme suit « ... un exemple instructif des dangers de faire des généralisations sans support. Dans la sentence et le commentaire, on lit que le droit anglo-saxon est "plus accessible à la révision des contrats en cas de déséquilibre même pour cause économique (clause de hardship)", comme la mention de la « présence presque automatique de clauses de ce type dans les contrats internationaux ». Ceci n'est pas un exposé correct de la common law ; et l'insertion de clauses de hardship et de clauses similaires dans les contrats de transport du type courant dont les arbitres étaient saisis est presque, sinon absolument inconnue ».
31Décrivant les mêmes règles distillées dans la jurisprudence arbitrale, M. Mustill, à l'instar de M. Kahn, supra note 11, parlent de « principes » , alors que M. Loquin a intitulé son étude récente, id. : « Les réalités des usages du commerce international ». Comme M. Loquin, M. Schmitthoff, qui a mené un projet de recherche, commencé en 1980 et terminé en 1987 par la publication d'un rapport « International Trade Usages » (Publication C.C.I., nº 440/4), se réfère à la lex mercatoria en tant qu'« usage commercial universel ». Dans son arrêt du 13 juillet 1989 dans l'affaire Valenciana, note 18 supra, la Cour d'appel de Paris fait l'amalgame (à notre sens approprié) en visant « l'ensemble des principes et usages du commerce dénommé lex mercatoria ». (Dans cette dernière espèce, la sentence attaquée avait déclaré que seraient applicables « les seuls usages du commerce international, autrement dénommé "lex mercatoria" ».)
324 Arbitration International 86, p. 94 (1988). Pour M. Highet, supra note 11, p. 616, « le fait que la lex mercatoria peut théoriquement servir en tant que source pour l'interprétation ou l'amplification de clauses contractuelles ne veut pas dire qu'elle constitue une loi... principia mercatoria serait de loin une meilleure appellation ».
33Id., note 31. Ici, il se peut que M. Mustill sous-estime l'effet de l'article 13(5) du Règlement de la C.C.I. Pour un exemple où les arbitres se sont appuyés sur cet article pour établir le taux d'une commission en remplacement d'une méthode de calcul de la rémunération qui, en raison de changements de circonstances, était devenue « excessive », Voir affaire C.C.I. 4145/1986, XII Yearbook 97, p. 110 (1987). M. Kahn, dans son article précité, note 11 supra, semble partager avec M. Mustill une vision très étroite des usages, écrivant à la page 319 qu'un « principe général de droit doit présenter un degré suffisant d'abstraction et de généralisation pour pouvoir être énoncé et entrer dans le syllogisme juridique. Ce qui permettrait de distinguer le principe général des usages professionnels qu'une doctrine trop réductrice a tendance à confondre ». Notre conception ne se veut nullement réductrice, et nous espérons dans nos développements ici démontrer que la jurisprudence de l'arbitrage international a pu dégager des règles abstraites et générales qui reflètent des usages normatifs en matière de contrats internationaux.
34L'article 1135 du Code civil français (qui dispose que : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ») trouve de nombreux échos non seulement dans les systèmes juridiques qui ont codifié le droit des obligations, mais aussi dans ceux de common law. En Angleterre, les usages tombent dans la catégorie des « termes implicites », et leur applicabilité a été exprimée il y a un siècle et demi, dans l'espèce Hutton v. Warren (1836), 1 M. & W. 466 : « II est établi depuis longtemps que dans les transactions commerciales, la preuve extrinsèque des coutumes et des usages est admise pour suppléer des éléments aux contrats écrits dans les matières sur lesquelles ils sont silencieux .... Ceci a été effectué sur la base d'une présomption selon laquelle dans de telles transactions les parties n'ont pas entendu exprimer par écrit l'intégralité du contrat par lequel elles avaient l'intention de se lier, mais s'engager de manière à se référer aux usages connus ». Pour ce qui est du droit codifié contemporain de l'Angleterre, v. la section 55 (1) du Sale of Goods Act de 1979 ; pour les États Unis, l'article 1-205 de l'Uniform Commercial Code. Pour une étude de l'incorporation des usages dans différents droits nationaux, basée sur un projet de recherche C.C.I., voir Schmitthoff, supra note 31. Voir également l'article 9 de la Convention de Vienne de 1980 sur le contrat de vente internationale de marchandises.
35V. affaire C.C.I. 1859/ 1973, où l'arbitre a décidé que « le contrat devait être exécuté dans trois pays différents... Il était clair que les parties avaient l'intention de se référer aux principes généraux et aux pratiques du commerce international ».
36Sentence dans l'affaire C.C.I. 2090/1976, VI Yearbook 131 (1981).
37Id. p. 132.
38Depuis 1911, l'article 1496 du nouveau Code de procédure civile français Bonne la directive suivante aux arbitres internationaux : « L'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies ; à défaut d'un tel choix, conformément à celles qu'il estime appropriées. Il tient compte dans tous les cas des usages du commerce ». On doit noter que l'effet impératif des usages ("dans tous les cas") existe indépendamment des « règles de droit » appliquées en vertu du premier paragraphe. Ph. Fouchard estime que l'article 1496 constitue la preuve que l'application des usages n'est pas limité aux sentences rendues en équité, mais qu'ils sont de « véritables normes » , destinées à être appliquées par les arbitres rendant une décision en droit ; « Les usages, l'arbitre et le juge » in Le droit des relations économiques internationales 67, p. 77 (1982).
39V. affaire C.C.I. 4338/1984, Clunet,1985.982. Un tribunal français a rejeté l'argument suivant lequel les Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires de la C.C.I. n'étaient « que des recommandations » : « Les Règles et usances ne sauraient avoir le même caractère obligatoire que la loi ; mais elles constatent des usages dont il est bien établi que, en matière commerciale surtout, ils constituent une source du droit à tel point qu'ils s'appliquent en l'absence de toute référence expresse des parties, dès lors au moins qu'elles n'ont pas expressément écarté leur application sur tel ou tel point ». (Trib. com. Paris, 8 mars 1976, Rev. jur. com., 1977.72). Puisque dans leur convention, les parties s'étaient en fait référées aux règles uniformes, ce jugement doit être considéré comme un obiter dictum. V. en général, J. Stoufflet, « L'œuvre normative de la Chambre de commerce internationale dans le domaine bancaire », in Le droit des relations économiques internationales, 361.
40Rev. arb, 1984.137, note Chapelle.
41Le Secrétaire Général de la Cour d'arbitrage de la C.C.I. de l'époque écrivait dans son introduction aux premières sentences publiées dans la chronique des sentences C.C.I., paraissant annuellement dans le Clunet : « notre attention s'est essentiellement portée sur les matières où les arbitres se dégagent le plus difficilement des règles des droits nationaux », Clunet, 1974.876. L'introduction à la chronique de 1983 a confirmé ce principe directeur, Clunet, 1983.889.
42Supra note 10, p. 160.
43Un auteur indien a manifesté un appui solide au développement de la lex mercatoria, dans la mesure où elle permettrait de mieux faire accepter l'arbitrage international dans les pays non industrialisés : « Dans les affaires et le commerce internationaux, les usages commerciaux et les habitudes familières aux parties et acceptées par elles doivent jouir d'une primauté... Ce qui est nécessaire en matière de commerce international n'est pas un nombre de droits liés à des systèmes de droit nationaux différents, mais un système juridique fondé sur les lois du commerce international et les usages, coutumes et pratiques favorables au développement d'une lex mercatoria acceptée et mise en oeuvre universellement ». N. Krishnamurthi, « Some Thoughts on a New Convention on International  Arbitration », in The art of Arbitration (Liber amicorum Pieter Sanders) 207, p. 210 (1982).
44Les causes de récusation des arbitres sont traitées au chapitre 13 de Craig, Park et Paulsson, supra note 9.
45V. J. Art, « Challenge of Arbitrators : Is an Institutional Decision final? » 2 Arbitration International 261 (1986). Nous ne sommes pas ébranlés par l'iconoclasme de M. A. Kassis, Réflexions sur le Règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale : Les déviations de l'arbitrage institutionnel, p. 193 ss. Il s'agit d'une prise de position extrême ; pour une réfutation, nous renvoyons simplement à l'étude de P. Level, « Observations introductives au règlement des litiges commerciaux internationaux » , D.P.C.I., 1988.189, ainsi qu'à la note de Ph. Fouchard sous plusieurs arrêts dans un litige opposant la République de Guinée à la Chambre arbitrale de Paris, Rev. arb., 1988. 671, spéc. 680-681.
46Voir affaire C.C.I. 4237/ 1984, X Yearbook, 52, p. 55 (1985). V. aussi Craig, Park et Paulsson, supra note 9, chapitre 1.7.
47V. affaires C.C.I. 3987/ 1983, Clunet, 1984.943 ; 4367/ 1984, XI Yearbook, 134, p. 136 (1986) ; 4695/1984, XI Yearbook, 149 (1986) ; 5065/1986 Clunet, 1987.1039 ; 5103/1988, Clunet, 1988.1206. V. aussi Craig, Park et Paulsson, supra note 9, section 11.03.
48Les références sont trop nombreuses pour être citées. V. en général les différents rapports nationaux publiés dans le Yearbook. Pour une discussion récente et approfondie au plus haut niveau d'un système judiciaire national, cf. la décision de la Cour Suprême d'Inde du 16 août 1984 dans l'affaire Renusugar Power Co. v. General Electric et la Chambre de commerce internationale, non publiée, extraits au X Yearbook, 431 (1985).
49« Commentaire », in Arbitrage international : 60 ans après 307, p. 310 (Publication C.C.I. nº 412, 1984).
50V. J. Paulsson, « May a State Invoke its Internal Law to Repudiate Consent to International Commercial Arbitration ? » 2 Arbitration International 90 (1986). Mustill, 4 Arbitration International 86, p. 112, note 91 (1988), écrit : « Peut-être devrait-il être classé comme un principe international d'ordre public plutôt que comme élément de la lex mercatoria ». On peut répondre dans ce sens qu'un arbitre du commerce international qui estime qu'il est autorisé à appliquer l'ordre public international serait peut-être en voie de donner de la consistance à la lex mercatoria (première conception). V. aussi Craig, Park et Paulsson, supra note 9, section 5.02.
51V. Craig, Park et Paulsson, supra note 9, chapitre 32.
52Ainsi, une cour américaine a confirmé la validité d'une convention visant les Pays-Bas comme lieu d'arbitrage malgré la plainte d'un défendeur américain selon laquelle il n'aurait pas accepté une condition aussi « onéreuse » que celle que représente l'obligation d'arbitrage dans un pays étranger s'il avait su qu'une telle obligation faisait partie des « Conditions » mentionnées dans l'« offre » qu'il a acceptée. Selon la Cour : « les parties, en particulier les parties commerçantes, sont généralement tenues à leurs contrats qu'elles les aient lus ou non. Si cela n'était pas la loi, il n'y aurait aucune sécurité dans les contrats », J.M.A. Investments et al. v. C. Rijkaart B.V. et al., décision non publiée du 18 juin 1985, U.S.D.C., E.D. Wash, extraits au XI Yearbook, 578, p. 580 (1986).
53Pour une interprétation nuancée de l'article 13(5) du Règlement d'arbitrage de la C.C.I, cf. affaire C.C.I. 4972/1989, Clunet, 1989.1101. Sentences faisant application de « clauses or » stipulées, selon l'énumération de M. Mustill, 4 Arbitration International 86, p. 112, note 94 (1988) : affaires C.C.I. 1512/ 1971, I Yearbook, 128 (1976) ; 1990/ 1972, III Yearbook, 222 (1978) ; 2291 / 1975, Clunet, 1976.989. Une telle clause n'est que l'un des nombreux mécanismes qui adapte le contrat à des circonstances futures. La « clause de hardship », plus complexe, concerne les adaptations contractuelles aux changements de circonstances qui peuvent avoir rendu le contrat onéreux pour l'une des parties. Ce mécanisme d'adaptation nécessite généralement une négociation suivie éventuellement d'un arbitrage, et convient à des contrats de développement ou de fournitures à long terme plutôt qu'à des contrats de vente ponctuels. V. B. Oppetit, « L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de hardship », Clunet, 1974.794 ; S.A. Silard, « Clauses de maintien de la valeur dans les transactions internationales », Clunet, 1972.214.
54Affaire C.C.I. 1717/ 1792, Clunet, 1974.890. (Le droit iranien régissait le contrat).
55Affaire C.C.I. 2478/ 1974, Clunet, 1975.925, III Yearbook, 222 (1978).
56Cf. note 94 infra.
57Suivant la traduction de MM. Perrott, Fanner, et Sims Marshall.
58Affaire C.C.I. 5065/1986, Clunet, 1987.1039, p. 1043.
59Affaire C.C.I. 4567/ 1985, Yearbook, 143, p. 145 (1986). Dans le même sens, voir, la sentence C.C.I. rendue en 1976 par Lord Devlin dans l'affaire Fertilizer Corporation of India v. Industrial and Chemical Corp., non publiée, extraits in J. Paulsson, « Third World Participation in International Investment Arbitration », I.C.S.I.D. Review F.I.L.J. 1987.19, p. 28-29.
60Affaire C.C.I. 5073/ 1986, XIII Yearbook, 53, p. 65 1988. V. affaire C.C.I. 5904/ 1989, Clunet, 1989.1107.
61V. affaire C.C.I. 3131/1979, extraits in IX Yearbook, 109 (1984) mais passages importants publiés seulement in Rev. arb., 1983.525, p. 531. V. aussi Goldman, supra note 11, p. 492 ; Affaires C.C.I. 2478/1974, III Yearbook, 222 (1978) ; 2291/ 1975 Clunet, 1976.989 ; 5477/ 1988, Clunet, 1988.1204 ; et note 94 infra.
62V. W. Melis, « Force Majeure and Hardship Clauses in International Commercial Contracts in view of the Practice of the I.C.C. Court of Arbitration », 1 Journal of International Arbitration 214 (1984). De nombreuses espèces, sinon la plupart, concernent des contrats qui contiennent une clause de force majeure, et ne soutiennent donc pas nécessairement l'affirmation selon laquelle il existe un principe général de force majeure indépendant des stipulations contractuelles. Plus exactement, ces espèces suggèrent des règles d'interprétation des clauses de force majeure, qui souvent sont empruntées à des clauses-type et qui créent des difficultés d'application dans le cadre de situations concrètes.
63V. affaires C.C.I. 1782/1973, Clunet, 1975.923 ; C.C.I. 2139/1974, Clunet, 1975. 929 ; III Yearbook, 220 (1978) ; C.C.I. 2142/1974, Clunet, 1974.892 ; I Yearbook, 312 (1976) ; C.C.I. 2138/ 1974, Clunet, 1975.934. Pour les difficultés créées par une situation de guerre, V. affaire C.C.I. 1703 / 1971, Clunet, 1974.894 ; I Yearbook, 130 (1976) ; 508 F. 2d 969 (1974) (sentence exécutée aux États-Unis). Dans le même sens : affaire C.C.I. 2546, non publiée, décrite et citée in Melis, supra note 62, p. 217-218. V. aussi G. Delaume, « The Proper law of State Contracts and the Lex Mercatoria : A Reappraisal », 3 I.C.S.I.D. Review-F.I.L.J. 79 (1988) : « Dans le cas de contrats d'Etat à long terme, la conséquence normale d'événements de force majeure est la suspension, plutôt que la cessation de l'accord » , id. p. 93. Pour une autre sentence traitant de l'impossibilité d'exécution d'un contrat suite aux risques créés par un conflit armé, V. affaire C.C.I. 5195/1984, XIII Yearbook, 69 (188). Pour une déclaration typique, V. affaire C.C.I. 5195/1986, XIII Yearbook, 69, p. 75 (1988) : « Lorsque des événements échappant au contrôle des parties surviennent, rendant seulement l'exécution plus onéreuse financièrement pour l'une des parties au contrat, celle-ci, dans la plupart des systèmes de droit, n'est ni libérée de la poursuite de l'exécution (en l'absence de dispositions légales ou de stipulations contractuelles particulières - ce qui, de nos jours, n'est pas peu fréquent) ni en droit d'exiger une compensation supplémentaire ».
64Pour citer le célèbre dictum de Lord Wilberforce dans l'affaire Czarnikow cl Rolimpex : « je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir d'espèces pour lesquelles il est si clair que le gouvernement étranger agit purement dans le but d'extirper une entreprise d'État de sa responsabilité contractuelle qu'on pourra refuser à une telle action le caractère d'intervention gouvernementale... » 1978 All England Law Rep. (II) 1043, V. p. 1047-1048. Une espèce comparable à celle imaginée par Lord Wilberforce semble avoir été soumise à un tribunal composé de Messieurs Brunner (Pays-Bas), Mac Crindle (Grande-Bretagne) et Vischer (Suisse) dans l'espèce nº 723 de l'Institut d'arbitrage des Pays-Bas, Setenave c/ Settebello. Telle qu'elle est rapportée dans le Financial Times du 27 février 1986, la sentence non publiée a refusé à l'unanimité de reconnaître un décret portugais promulgué dans le but de procurer des avantages contractuels à un chantier naval de l'Etat portugais au mépris des droits de l'acheteur étranger d'un superpétrolier. Les arbitres ont déclaré qu'agir ainsi était contraire aux « concepts d'ordre public et à la moralité commune à toutes les nations commerçantes » ; et ce, en dépit du fait que le contrat était en principe régi par le droit portugais.
65V. la sentence intérimaire du 9 septembre 1983 rendue dans un arbitrage ad hoc, publiée au XII Yearbook, 63 (1987). Le tribunal fut saisi d'un litige opposant un fournisseur ouest-allemand de biens industriels à un acheteur polonais. Ce dernier, qui était une société d'export détenue par l'État, invoqua une interdiction décidée par le Conseil des Ministres polonais comme étant un cas de force majeure. Les deux arbitres suisses qui ont rendu la sentence à la majorité, l'arbitre polonais émettant une opinion dissidente, ont considéré qu'en acceptant une clause de force majeure visant parmi d'autres exemples le cas de « ordre gouvernemental », « le demandeur ne voulait pas renoncer à l'exception que constitue l'abus de droit ou la relation particulière qu'entretient le défendeur avec l'État à l'origine de l'interdiction », id. p. 67. Après de nombreuses références de droit comparé concernant la question de la transparence des entreprises d'État, y compris l'affaire Rolimpex, le tribunal a résumé comme suit, pour la rejeter, l'exception de force majeure, id. pp. 74-75 « Lorsque l'autorité d'un État a le pouvoir d'imposer des directives à une entreprise, et lorsque cette autorité impose d'autres instructions contradictoires, ou ne permet pas l'exécution de contrats signés, elle agit non seulement en vertu de ses fonctions en tant qu'organe étatique, mais aussi en tant qu'organe de l'entreprise d'État ayant le pouvoir de décision et de directive... Quand une entreprise est intégrée dans le plan économique d'un État et souscrit des contrats en application des objectifs du plan économique de l'État, les modifications de ce plan interférant ensuite avec les contrats souscrits ne peuvent pas être invoquées au titre de force majeure par l'entreprise. En revanche, lorsqu'un État socialiste pour des raisons extrinsèques prend une disposition générale qui affecterait une société privée de la même façon qu'une entreprise d'État, et que les conséquences de cette disposition ne sont pas liées à la nature spécifique de cette entreprise d'État en tant qu'entreprise dépendante, rien n'exclut l'invocation de la force majeure ».
66Dans une sentence de 1976, l'arbitre a ainsi estimé que la hausse de la valeur marchande d'un produit ne relevait pas un vendeur beige de ses obligations de livrer une firme japonaise ; affaire C.C.I. 2708/1976, Clunet, 1977.943. Se référant à la fluctuation des prix, l'arbitre a décidé que : « Dans le domaine commercial tout particulièrement, les circonstances fluctuantes constituent une incitation des plus grandes à la conclusion des contrats, chaque partie escomptant un bénéfice des changements de cours, tout en acceptant implicitement le risque qu'un tel changement lui soit défavorable ».
67Affaires C.C.I. 3093/3100/ 1979, Clunet, 1980.951 ; VII Yearbook, 87 (1982). Une sentence de 1984 rendue sous l'égide de la New York Society of Maritime offre l'illustration d'une situation typique. Un affréteur a indiqué un quai particulier aux États-Unis pour le chargement de charbon. A l'époque de cette désignation, le quai était en cours de modification pour rendre le chargement possible. La construction fut retardée par le Ministère de la protection de l'environnement, qui intervenait à la suite d'une réaction de la communauté, pour évaluer les aléas des opérations de charbonnage en question. Le navire dut attendre pendant un mois. En conséquence, le propriétaire du navire réclamait des surestaries compte tenu du délai. L'affréteur se fondait sur une clause contractuelle excluant les surestaries en raison de délai dû à « une cause quelconque échappant au contrôle de l'affréteur ». Cette exception a été rejetée par les arbitres, qui ont décidé que les effets des procédures établies par les autorités pour la conservation de l'environnement sont « ordinairement prévisibles pour tout homme d'affaires prudent », Sentence nº 2014, 13 septembre 1984, XI Yearbook, 202 (1986).
68Affaires C.C.I. 1512/1971, Clunet, 1974.904 ; I Yearbook, 128 (1976). V. aussi Craig, Park et Paulsson, supra note 9, section 5.01.
69Affaire C.C.I. 2478/ 1974, Clunet, 1975.925 ; III Yearbook, 222 (1978).
70V. Craig, Park et Paulsson, supra note 9, section 5.07. Dans une étude toute récente, M. Ph. Kahn parle d'un « ordre public des arbitres » fondé sur les principes généraux du droit, en invoquant trois exemples de son emprise : la corruption, le droit de la concurrence, et la protection du patrimoine culturel de l'humanité, note 11 supra, pp. 313-318. (M. Kahn reconnaît par ailleurs que « échantillon et champ sont limités actuellement » ; en effet, seule la corruption semble jusqu'ici avoir été sanctionnée par des arbitres internationaux au titre de l'ordre public international ; les deux autres catégories paraissent plutôt être suggérées de lege ferenda).
71Publication C.C.I, 1977. Les mêmes remarques que celles faites sous la note 50 supra peuvent être réitérées ici. V. A,. El Kosheri et Ph. Leboulanger, « L'arbitre face à la corruption et aux trafics d'influence » , Rev. arb., 1984.3.
72Y. Derains, Clunet, 1982.984 (commentant l'affaire C.C.I. 3344/1981, id. p. 978).
73Affaires C.C.I. 2291 / 1975, Clunet, 1976.989 ; 2520/ 1975, Clunet, 1976.992 ; 3243/ 1981, Clunet, 1982.968.
74Lord Justice Mustill écrit nettement que ceci « n'est pas en conformité avec la Common Law », 4 Arbitration International 86, p. 114, note 106 (1988). V. cependant affaire C.C.I. 5904/ 1989, Clunet, 1989.1107, et surtout la note de M. Aguilar Alvarez.
75Affaire 3344/ 1981, Clunet, 1982.978, p. 983. V. également affaire C.C.I. 1434/ 1975, Clunet, 1976.978.
76Affaire C.C.I. 3243/1981, Clunet, 1982.968.
77« L'interdiction de se contredire au détriment d'autrui comme principe général du droit du commerce international » , Rev. arb., 1985.241, p. 258.
78Sentence C.I.R.D.I. sur la compétence datée du 25 septembre 1983, (Amco Asia Corp. et autres v. Republic of Indonesia) 23 ILM 351 (1984) ; Tribunal du Contentieux Iran/Etats-Unis, sentence du 2 septembre 1983 (Woodward-Clyde Consultants v. Islamic Republic of Iran et the Atomic Energy Organization of Iran), 3 Iran-U.S. Claims Tribunal Reports 239 (1983II).
79Rev. arb., 1985.245. M. Gaillard analyse en particulier la similitude en droit comparé de la doctrine de l'estoppel et celles de l'apparence et de non concedit venire contra factum proprium. Dans l'affaire C.C.I. 4667/1984, citée in Y. Derains, Observations, Clunet, 1987.1043, p. 1047-8, le tribunal arbitral a décidé qu'en vertu des « usages » mentionnés à l'article 13(5) des règles C.C.I., lorsqu'un directeur exécutif est assisté dans les négociations par un autre représentant de la société, les négociateurs en face ont le droit de croire que lorsque le premier quitte la table après avoir vu tous les documents prêts à être signés, le second a le pouvoir de signer. Pour une espèce où une société autrichienne fut considérée comme liée par la signature d'une personne non autorisée, qui avait cependant l'apparence d'une autorisation, v. la sentence du 5 mars 1980 de la Cour arbitrale de la Chambre de commerce et d'industrie de Tchécoslovaquie, non publiée, extraits in XI Yearbook, 112 (1986). V. aussi la sentence dans l'espèce nº 255 du 26 avril, 1985 du Tribunal du différend Iran/Etats-Unis, XI Yearbook, 339, p. 439 (1986).
80Affaire C.C.I. 1434/ 1975, Clunet, 1976.978, p. 982. V. aussi affaires C.C.I. 3460/ 1980, Clunet, 1981.939 ; 5910/ 1988, Clunet, 1988.1215.
81Affaire C.C.I. 3540/ 1980, VII Yearbook, 124 (1982).
82Affaire C.C.I. 3243/ 1981, Clunet, 1982.968.
83Affaire C.C.I. 4761 / 1987, Clunet, 1987.1012, p. 1017.
84Supra note 11, p. 177. V. les références données in Goldman, supra note 11, Clunet, 1979.475, p. 495 ; Derains, note, Clunet, 1982.983, p. 986 ; Colloque F.E.D.U.C.I., L'obligation de minimiser les dommages en cas d'inexécution des contrats internationaux, L.G.D.J., 1986 ; et affaire C.C.I. 4761 / 1987, Clunet, 1987.1012, p. 1017. V. également affaire C.C.I. 5910/ 1980, Clunet, 1988.1215.
85Affaires C.C.I. 1526/ 1975, Clunet, 1975.915 ; 2404/ 1975, Clunet, 1976.995.
86Derains, observations, in Clunet, 1976.995, p. 996.
87Affaire C.C.I. 3540/1989, VII Yearbook, 124 (1982) ; commentée comme suit par Mustill, 4 Arbitration International 86, p. 114, note 104 : « les conditions... sont semblables à celles exigées pour la compensation in law du droit anglais, mais sont plus restrictives que celles exigées pour la compensation in equity ». Dans le même sens, v. la sentence dans l'affaire 60/ 1980 de la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie bulgare, XII Yearbook, 84 (1987). Pour une espèce où la compensation a été refusée parce que la créance à compenser était soumise à une autre juridiction arbitrale, voir la sentence du 13 mars 1984 de la Netherlands Royal Association of Grain Traders, 1984 Tijdschrift voor Arbitrage 112 ; extraits en anglais in X Yearbook, 79 (1985). Il semble que le droit et les usages américains en matière maritime sont particulièrement restrictifs en ce qui concerne la compensation ; voir J. Scrowcroft, note, X Yearbook, 101 (1985).
88Affaires C.C.I. 2583/1976, Clunet, 1977.950 ; 3640/1980, VII Yearbook, 124 (1982).
89E. Jimenez de Aréchaga, « International Law in the Past Third of a Century », 1978-I Recueil des cours 81. On doit remarquer qu'une partie qui suspend son exécution en application de cette doctrine le fait à ses risques et périls ; s'il est décidé finalement qu'il n'y a pas eu de rupture importante par l'autre partie, la suspension elle-même pourrait constituer une rupture, id.
904 Arbitration International 86, p. 110 (1988). Nous avons entendu des commentateurs mercatoristes observer avec satisfaction, à la suite de la parution de l'étude de M. Mustill, que lorsque même un sceptique comme lui en arrive à dégager 20 règles de la lex mercatoria, celle-ci doit désormais être considérée d'avoir atteint son âge de maturité. C'est avoir mal lu M. Mustill, qui a seulement répertorié les règles qu'il a cru discerner, comme étant celles supposées par les défenseurs de la lex mercatoria. Pour un certain nombre d'entre elles, l'auteur ne peut pas s'empêcher d'exprimer sa franche opposition. C'est pourquoi nous pensons que M. Kahn, dans son article précité à la note 11 supra, fait preuve d'un excès d'indulgence raffinée dans sa mise en garde aux pages 324-5, immédiatement avant de reproduire la liste de M. Mustill : « Bien que cette liste dépasse peut-être quelque peu la pratique arbitrale et reprenne des suggestions d'auteur, elle est fort instructive... » En tous cas, nous pensons pouvoir affirmer sans ambiguïté que les « suggestions d'auteur » n'émanent certainement pas de M. Mustill.
91« Les arbitres C.C.I. n'ont admis qu'exceptionnellement l'application du principe rebus sic stantibus », W. Melis, « Force majeure and Hardship Clauses in International Commercial Contracts in View of the Practice of the I.C.C. Court of Arbitration », 1 Journal of International Arbitration 214, p.221 (1984). Pour une illustration du rejet par un tribunal C.C.I. de l'argument tentant d'écarter des obligations contractuelles sur la base de la notion rebus sic stantibus, v. affaire C.C.I. 2404/ 1975, Clunet, 1986.995. Add. , affaires C.C.I. 1512/ 1971, Clunet, 1974.905 ; 2216/ 1974, Clunet, 1975.917 ; sentence du 6 juillet 1983 dans un arbitrage ad hoc entre des parties hongroises et yougoslaves (appliquant le droit matériel suisse), non publiée, extraits in IX Yearbook, 200 (1986). A l'inverse, les termes contractuels ont été ajustés sur la base des considérations de faits dans les affaires C.C.I. 4145/ 1986, XIII Yearbook, 97, p. 109-110 ; 4761 / 1987, Clunet, 1987.1012, p. 1015 ; et la sentence du 25 septembre 1985 dans l'affaire nº 59, Tribunal du Contentieux Iran/Etats-Unis, XI Yearbook, 283.
92Arbitration International 86, p. 111, note 87 (1988).
93Pour une étude complète et toujours d'actualité sur ce sujet complexe, voir F. Kessler et E. Fine, « Culpa in contrahendo, Bargaining in Good Faith, and Freedom of Contract : A comparative Study », 77 Harvard Law Review 401 (1964).
94La situation est différente - bien que non moins complexe - s'agissant d'un contrat reconnu valable qui contient l'engagement de mener des négociations futures. Les obligations, en tant qu'éléments de droit international, de pacta de negotiando ou pacta de contrahendo ont été discutées en détail par le tribunal arbitral pour la Convention sur la dette extérieure de l'Allemagne, dans l'affaire Grèce cl République Fédérale d'Allemagne, sentence du 26 janvier 1972, 47 Int. L. Rep. 418 (décidant que les efforts des parties n'avaient pas été satisfaisants et déclarant que les parties étaient obligées d'entamer des négociations « significatives », et non plus « un processus formel... des négociations significatives ne peuvent pas être menées si chaque partie campe sur sa propre position sans envisager aucune modification » ; id. p. 462). V. aussi l'observation suivante du tribunal saisi d'un différend relatif à une concession pétrolière nationalisée, dans l'espèce ad hoc Aminoil cl Koweit, sentence du 24 mars 1982, 21 I.L.M. 976, p. 1004 (1982) : « Une obligation de négocier n'est pas une obligation de conclure. Néanmoins, l'obligation de négocier n'est pas dénuée de contenu, et lorsqu'elle existe à l'intérieur d'un cadre juridique bien défini, elle peut parfaitement impliquer des devoirs précis. Il se peut que l'échec de la négociation soit attribué au comportement de l'une des parties, et, dans ce cas, la question s'examine sur le terrain de la responsabilité, et devrait y trouver sa solution ». Comme l'a écrit Y. Derains, alors Secrétaire Général de la Cour d'arbitrage C.C.I., dans son commentaire de l'affaire C.C.I. 2508/ 1976, Clunet, 1977.943 : « l'obligation de négocier de bonne foi implique, entre autres, celle de s'abstenir de toute proposition manifestement inacceptable devant nécessairement entraîner l'échec des pourparlers », citant « Les lettres d intention dans la négociation des contrats internationaux », Dr. et prat. com. int., 1977.73.
95Cf. Mustill, note 26 supra. Il est à remarquer - et la distinction est cruciale - que M. Mustill évoque son doute à l'encontre des contrats-type en tant que lex mercatoria dans sa deuxième conception.

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