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Cour de cassation de Belgique, C070214N, 17th Ocotber 2008

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Cour de cassation de Belgique, C070214N, 17th Ocotber 2008
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Content

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.07.0214.N

ROBERT, société anonyme,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

SHANKS VLAANDEREN, société anonyme.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 19 octobre 2006 par le juge de paix du 10ème canton d’Anvers statuant en dernier ressort.
Le président Verougstraete a fait rapport.
L’avocat général Christian Vandewal a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 1134 du Code civil ;
- articles 821, 823 et 824 du Code judiciaire ;
- principe général du droit interdisant l’abus de droit ;
- principe général du droit en vertu duquel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits ou de circonstances qui ne sont susceptibles d’aucune autre interprétation ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

Le juge de paix déclare la demande de la demanderesse non fondée par le motif que celle-ci n’a pas concrétisé sa demande dans un délai raisonnable. Le juge de paix considère plus spécialement que :

« La demande de la demanderesse introduite par la citation du 21 février 1995 et de la partie intervenue volontairement vise la condamnation de la défenderesse au paiement de ses factures du 26 mai 1994 et du 24 janvier 1995 pour un montant total de 1.237,90 euros.

Cette demande n'est pas seulement contestée au fond – les factures ont été protestées, fût-ce tardivement – mais la défenderesse ne soulève pas tout à fait à tort la ‘rechtsverwerking’ et la violation de ses droits de la défense.

Après que, sous la pression de l’application de l’article 735 du Code judiciaire, elle a, en effet, déposé immédiatement ses conclusions, soit le 16 mars 1995, sans communiquer préalablement les pièces sur lesquelles la demanderesse se fondait, rien ne s’est produit pendant un peu plus de dix ans et, au contraire, la cause a été omise au rôle de notre audience du 10 décembre 1998 et sept ans plus tard, à savoir le 14 décembre 2005, elle a été activée par la demanderesse par le dépôt de ses conclusions, soit presque 11 ans après l’introduction de la procédure.

De surcroît, ce n'est qu'à ce moment que la demanderesse a communiqué ses pièces auxquelles la défenderesse a réagi à juste titre en soutenant qu’elle ne pouvait plus présenter ses moyens de défense à ce propos, dès lors qu’elle ne disposait plus de documents de plus de 10 ans et que les préposés intéressés ne pouvaient être entendus.

‘Rechtsverwerking’ ne constitue, en effet, pas un principe général du droit et la renonciation à un droit ne se présume pas mais cela n’empêche pas qu’en tant que partie « la plus diligente » la partie demanderesse supporte l’obligation de concrétiser sa demande dans un délai raisonnable et de ne pas éveiller dans le chef de la partie adverse l’impression de ne plus insister et certainement pas de laisser traîner les choses en privant ainsi le défendeur de sérieux moyens de défense.

En outre, une telle manière de procéder constitue un abus de droit dès lors que les intérêts judiciaires en cours sont considérablement plus élevés que les intérêts bancaires moyens et que le dommage subi ainsi par la partie défenderesse est disproportionné par rapport au bénéfice réalisé par la demanderesse » (...).

Griefs

Première branche

L’article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Une obligation qui est née légalement ne peut s’éteindre que pour l’une des causes énumérées limitativement par la loi. Il n’existe pas de principe général du droit consacrant la théorie de la dénommée ‘rechtsverwerking’, suivant laquelle une obligation est annulée lorsque son détenteur adopte une attitude qui est objectivement inconciliable avec cette obligation ou lorsque le détenteur n’exerce pas immédiatement ce droit.

Le droit peut s’éteindre uniquement s’il apparaît que le détenteur du droit a renoncé à celui-ci, abuse de ce droit ou lorsque les conditions de la prescription extinctive sont remplies.

Il est question d’abus de droit lorsque l’ayant droit exerce ce droit sans intérêt raisonnable et suffisant, d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ses droits par une personne prudente et diligente.

Le juge de paix constate que la demanderesse n’a communiqué ses pièces que onze ans après l’introduction de la procédure et que la défenderesse a réagi à juste titre en soutenant qu’elle ne pouvait plus présenter de moyens de défense à ce propos dès lors qu’elle ne disposait plus de document de plus de dix ans et que les préposés intéressés ne peuvent plus être entendus. Le juge de paix constate encore que la partie demanderesse a l’obligation de concrétiser sa demande dans un délai raisonnable et de ne pas éveiller dans le chef de la partie adverse l’impression de ne plus insister et certainement pas de laisser traîner les choses en privant ainsi le défendeur de sérieux moyens de défense.

Le juge de paix ne constate, dès lors, pas que la demanderesse exerce son droit sans intérêt raisonnable et suffisant, d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ses droits par une personne prudente et diligente. Le juge de paix viole ainsi l’article 1134, spécialement alinéas 1er et 3, du Code civil et le principe général du droit interdisant l’abus de droit.

Deuxième branche

L’article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Une obligation qui est née légalement ne peut s’éteindre que pour l’une des causes énumérées limitativement par la loi. Il n’existe pas de principe général du droit consacrant la théorie de la dénommée ‘rechtsverwerking’, suivant laquelle une obligation est annulée lorsque son détenteur adopte une attitude qui est objectivement inconciliable avec cette obligation ou lorsque le détenteur n’exerce pas immédiatement ce droit.

Le droit peut s’éteindre uniquement s’il apparaît que le détenteur du droit a renoncé à celui-ci, abuse de ce droit ou lorsque les conditions de la prescription extinctive sont remplies, le droit peut s’éteindre.

Dans la mesure où le juge de paix constate que le mode de procéder de la demanderesse constitue un abus de droit dès lors que les intérêts judiciaires en cours sont considérablement plus élevés que les intérêts bancaires moyens et que le dommage subi ainsi par la partie défenderesse est disproportionné par rapport au bénéfice réalisé par la demanderesse, il ne justifie pas davantage légalement sa décision.

Dès lors que le juge de paix constate que seule la réclamation des intérêts judiciaires constitue un abus de droit, il pouvait rejeter uniquement cette demande de paiement des intérêts judiciaires pour ce motif.

Le simple fait que la réclamation d’intérêts judiciaires constitue un abus de droit n’implique toutefois pas que la demande de paiement de la somme en principal constitue aussi un abus de droit.

Dès lors que le juge de paix ne constate pas que la réclamation de la somme en principal par la demanderesse constitue un abus de droit, il ne pouvait rejeter la demande de la demanderesse tendant au paiement de cette somme en principal sur la base de la seule considération que la réclamation des intérêts judiciaires constitue un abus de droit. Le juge de paix viole, dès lors, aussi l’article 1134, spécialement alinéas 1er et 3, du Code civil ainsi que le principe général du droit interdisant l’abus de droit.

Troisième branche

L’article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Une obligation qui est née légalement ne peut s’éteindre que pour l’une des causes énumérées limitativement par la loi. Il n’existe pas de principe général du droit consacrant la théorie de la dénommée ‘rechtsverwerking’, suivant laquelle une obligation est annulée lorsque son détenteur adopte une attitude qui est objectivement inconciliable avec cette obligation ou lorsque le détenteur n’exerce pas immédiatement ce droit.

Le droit peut s’éteindre uniquement s’il apparaît que le détenteur du droit a renoncé à celui-ci, abuse de ce droit ou lorsque les conditions de la prescription extinctive sont remplies, le droit peut s’éteindre.

L’article 821 du Code judiciaire dispose que par le désistement d’action le demandeur renonce tant à la procédure qu’au fond du droit. Le désistement d’action entraîne l’extinction du droit d’agir relativement à la prétention dont le juge avait été saisi.

Le désistement d’action ne peut avoir lieu que s’il porte sur un droit auquel il est permis de renoncer et dont la partie peut disposer (article 823, alinéa 1er, du Code judiciaire).

Le désistement peut être exprès ou tacite. Le désistement tacite ne peut être déduit que d’actes ou de faits précis et concordants qui révèlent l’intention certaine de la partie d’abandonner l’instance ou l’action (article 824 du Code judiciaire).

Dans la mesure où le juge de paix décide que la demanderesse a renoncé à son droit en ne faisant rien pendant dix ans, il ne justifie pas légalement sa décision. Aucune renonciation ne peut, en effet, se déduire du simple fait qu’une partie n’a pas exercé immédiatement son droit.

Dans la mesure où le juge de paix rejette la demande de la demanderesse par le motif qu’elle a renoncé à son droit, il viole aussi les articles 1134 du Code civil et 821, 823 et 824 du Code judiciaire et le principe général du droit en vertu duquel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits et circonstances qui ne sont susceptibles d’aucune autre interprétation.

Quatrième branche

L’article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Une obligation qui est née légalement ne peut s’éteindre que pour l’une des causes énumérées limitativement par la loi.

Lorsque le respect de l’obligation est réclamé en justice, la partie défenderesse est tenue de prendre les mesures nécessaires pour garantir ses droits. Elle peut elle-même accélérer la procédure ou, au contraire, adopter une attitude d’attente. Dans ce dernier cas elle est tenue de prendre toutes les mesures conservatoires pour garantir ses droits de défense.

Les droits de la défense ne peuvent donc être violés si la partie qui invoque la violation de ceux-ci se trouve à l’origine de cette violation des droits de la défense.

Une partie qui omet de prendre elle-même les mesures conservatoires nécessaires et de conserver les documents nécessaires à sa défense ou de faire entendre les personnes concernées en temps utile, ne peut, dès lors, pas invoquer une violation des droits de la défense.

Il s’ensuit que la demande de la demanderesse ne pouvait être rejetée par le seul motif que les droits de la défense de la défenderesse étaient violés dès lors qu’elle a omis de conserver les documents à l’appui de sa défense et que les personnes intéressées ne pouvaient plus être entendues.

En rejetant la demande de la demanderesse par le motif que les droits de la défense de la défenderesse étaient violés dès lors qu’elle ne dispose plus de documents datant d’il y a dix ans et que les préposés intéressés ne pouvaient plus être entendus, le juge de paix ne justifie pas légalement sa décision (violation de l’article 1134 du Code civil et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

1. Un sujet de droit, titulaire d’un droit subjectif, ne perd pas l’action en justice appartenant à ce droit en ne l’exerçant pas immédiatement ou en ne continuant pas à l’exercer et pas davantage en adoptant une attitude faisant naître l’impression qu’il ne l’exercera pas ou ne continuera pas à l’exercer.

L’action en justice se perd si le sujet de droit y renonce, en cas de prescription et si la loi prévoit des exceptions.

En cas d’abus de la procédure, le juge peut, en outre, limiter l’exercice de l’action en justice. C’est notamment le cas si le sujet de droit exerce son action en justice ou continue à l’exercer sans intérêt raisonnable ou suffisant ou d’une manière qui excède manifestement les limites d’un exercice normal par une personne prudente et diligente.

2. En l’espèce le juge de paix a considéré que :

- en déposant des conclusions et en transmettant son dossier à la défenderesse près de onze ans après l’introduction de la procédure, la demanderesse a violé les droits de la défense de la défenderesse, dès lors que celle-ci ne disposait plus de documents de plus de dix ans et que certains intéressés ne pouvaient plus être entendus ;

- en ne continuant pas à exercer son action dans un délai raisonnable en tant que partie la plus diligente, la demanderesse a créé dans le chef de la défenderesse l’impression de ne plus insister et l’a privée en outre de toute chance de présenter des moyens de défense sérieux;

- une telle manière de procéder constitue un abus de droit dès lors que les intérêts judiciaires en cours sont considérablement plus élevés que les intérêts bancaires moyens et que le dommage subi ainsi par la partie défenderesse est disproportionné au bénéfice réalisé par la demanderesse.

En décidant ainsi, le juge de paix a évalué les intérêts en cause et examiné si la demanderesse, en continuant à exercer son action, n’excèdait pas manifestement les limites d’un exercice normal par une personne prudente et diligente.

3. Le moyen, qui, en cette branche, reproche au juge de paix de priver la défenderesse de l’exercice de l’action sans examiner s’il y a eu abus de procédure justifié légalement, ne peut être accueilli.

Quant à la deuxième branche :

4. Le moyen, en cette branche, suppose que le juge de paix a considéré que la poursuite de l’exercice de l’action de la demanderesse constituait un abus de procédure uniquement en ce qui concerne les intérêts judiciaires.

5. Dans la ligne des motifs énoncés sous le numéro 2, le juge de paix a considéré « qu’une telle manière de procéder » constitue un abus de procédure, eu égard aussi à l’aspect des intérêts judiciaires.

Ainsi, le juge de paix n’a pas considéré que la poursuite de l’exercice de l’action de la demanderesse constituait un abus de procédure uniquement en ce qui concerne les intérêts judiciaires, mais il prend en considération l’aspect des intérêts judiciaires pour décider que la demanderesse commet un abus de procédure.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la troisième branche :

6. Le moyen, en cette branche, suppose que le juge de paix a considéré que la demanderesse a renoncé au droit subjectif en question et s’est désistée de l’action liée à ce droit.

7. Ainsi qu’il ressort des numéros 2 et 5 précités, le juge de paix n’a pas statué en ce sens.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la quatrième branche :

8. Le moyen, en cette branche, suppose que la décision du juge de paix rejette la demande de la demanderesse parce que celle-ci a violé les droits de défense de la défenderesse.

9. Ainsi qu’il ressort des numéros 2 et 5 précités, le juge de paix n’a pas statué pas en ce sens.

Le juge de paix a plus précisément pris en considération cette violation des droits de la défense pour décider que la demanderesse a commis un abus de procédure.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Ernest Waûters, les conseillers Eric Dirix, Eric Stassijns et Alain Smetryns, et prononcé en audience publique du dix-sept octobre deux mille huit par le président Ivan Verougstraete, en présence de l’avocat général Christian Vandewal, avec l’assistance du greffier Philippe Van Geem.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Paul Mathieu et transcrite avec l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le président de section,
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