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Cour de cassation de Belgique, 8685, 17th May 1990

Title
Cour de cassation de Belgique, 8685, 17th May 1990
Content
Sommaire

Il n'existe pas de principe général du droit selon lequel un droit subjectif se trouve éteint ou en tout cas ne peut plus être invoqué lorsque son titulaire a adopté un comportement objectivement inconciliable avec ce droit, trompant ainsi la confiance légitime du débiteur et des tiers.

Texte intégral

LA COUR; - Vu le jugement attaqué, rendu le 20 décembre 1988 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degré d'appel;

Sur le moyen pris de la violation des articles 1134, spécialement alinéa 2, 1135 du Code civil, du principe général du droit imposant l'exécution de bonne foi, consacré en matière contractuelle par les articles 1134, spécialement alinéa 3, et 1135 du Code civil, ainsi que du principe général du droit suivant lequel un droit subjectif se trouve éteint ou, en tout cas, ne peut plus être invoqué lorsque, en dehors de toute renonciation volontaire, expresse ou tacite, le titulaire dudit droit a adopté un comportement objectivement inconciliable avec ce même droit, trompant ainsi la confiance légitime de son débiteur et des tiers, principe général du droit consacré notamment par les articles 778, 780, 792, 795, 798, 800, 801, 803, 1134, 1135, 1338, 1998 du Code civil et 1045 du Code judiciaire,

en ce que, statuant sur la demande principale, le jugement attaqué, pour condamner la demanderesse à rembourser au défendeur les indus d'indexation de loyer à partir du 1er juin 1980, rejette le moyen de défense invoqué par la demanderesse, selon lequel le défendeur était privé du droit au remboursement des sommes payées indûment à titre d'indexation des loyers, en raison de l'adoption par ce dernier d'un comportement inconciliable avec le droit dont il entendait se prévaloir, aux motifs que : "(si) A.G.F. fait état du fait que, de 1967 à 1984, l'Etat belge n'a pas réagi, par une négligence ou inconscience assez étonnante de ses fonctionnaires chargés de vérifier les déclarations de créance relatives aux loyers postulés par A.G.F., et que, en raison du manque de réaction ou de contestation de la part de l'Etat belge, il doit être acquis que les montants postulés aux diverses dates d'envoi des déclarations de créances ne sont plus contestables; pour le surplus, A.G.F. invoque la théorie, d'origine doctrinale, de la "<Rechtsverwerking>", concept intraduisible, mais qui peut se résumer en "une acquisition d'un droit" par "adoption par une des parties d'un comportement inconciliable avec un ou des droits qu'il prétendrait par après mettre en oeuvre, alors que ce ou ces droits, en suite de son comportement devraient lui être déniés"; ces soutènements et cette théorie, qui, de prime abord, peuvent paraître tentants, ne résistent toutefois pas aux principes repris dans le Code civil, qui, toujours, forme la loi, dont le principe de la convention-loi entre parties, et autres, confirmés en de multiples arrêts par la Cour suprême; s'il doit être admis que les négligences ou omissions d'une des parties à une convention doivent être sanctionnées dans le temps, au détriment de la susdite partie, il ne peut être admis que cette sanction doit inclure la suppression entière, ab initio, du point de la convention auquel le comportement, inconsidéré ou autre, d'une des parties se rapporte; pour le surplus, la théorie de la "<rechtsverwerking>" paraît inconciliable avec le principe pacta sunt servanda, qui lui, comme l'a très judicieusement dit le premier juge, est incontestable dans notre droit des obligations"; que, reprenant les motifs du premier juge, le jugement attaqué précise en outre que : "Les parties ont conclu un premier bail le 21 décembre 1966. Divers avenants sont ensuite intervenus relatifs entre autres à l'occupation d'autres étages de l'immeuble en question; le mode d'indexation est fixé par l'article 7 du bail du 21 décembre 1966 selon la formule d'application à ce moment, à savoir augmentation ou diminution de 5 points donnant lieu à augmentation ou diminution de 5 p.c.; ce principe est repris à l'avenant 1 (article 7) du 22 avril 1971, à l'avenant 2 (article 7) du 19 septembre 1972, à l'avenant 3 (article 5) du 31 juillet 1975; on s'y réfère en général dans les avenants 4 (octobre 1976) et 5 (30 septembre 1977); la convention fait la loi des parties; (la demanderesse) fait état de ce qu'il résulte des éléments objectifs de la cause que les parties ont voulu expressément abandonner le mode de calcul prévu par l'article 7 de la convention du 21 décembre 1966; elle en veut pour preuve le fait que la nouvelle formule appliquée par elle n'a fait l'objet d'aucune remarque ni contestation; s'il est exact que l'Etat belge n'a jamais émis la moindre réserve pendant des années - et ceci ne peut être que qualifié d'étonnant -, il n'en reste pas moins vrai qu'aucun écrit ne peut être produit consacrant la modification invoquée; les renonciations ne se présument pas et doivent être établies par un écrit modifiant la convention; l'argumentation de (la demanderesse) ne peut être retenue et c'est à bon droit, avec beaucoup de retard, que (le défendeur) exige le respect de la convention initiale; il en résulte qu'il y a lieu à restitution au profit (du défendeur)",

alors qu'un droit subjectif se trouve éteint ou, en tout cas, ne peut plus être invoqué lorsque son titulaire a adopté un comportement objectivement inconciliable  avec ce droit, trompant ainsi la confiance légitime du débiteur et des tiers; pareil comportement objectif du titulaire d'un droit entraîne l'extinction du droit ou empêche qu'il puisse être invoqué par son titulaire sans qu'il soit nécessaire de relever dans le chef de celui-ci une intention réelle, expresse ou tacite, de renoncer à ce droit; ce principe général du droit, qui vise à assurer la protection des intérêts légitimes du débiteur et des tiers, fondés sur les apparences créées, résulte notamment des articles 778, 780, 792, 795, 798, 800, 801, 803, 1134, 1135, 1338, 1998 du Code civil, de l'article 1045 du Code judiciaire et du principe général d'exécution de bonne foi consacré, en matière contractuelle, par les articles 1134, alinéa 3, et 1135 du Code civil; les articles 1134, spécialement alinéa 3, et 1135 du Code civil ainsi que le principe d'exécution de bonne foi consacré, en matière contractuelle, par ces mêmes dispositions légales commandent en outre que le titulaire d'un droit ne puisse brusquement se prévaloir de celui-ci alors que, par son comportement, il n'a pas lui-même respecté les conditions dudit droit ou qu'il a provoqué la croyance légitime dans le chef du débiteur et des tiers que ce droit ne serait pas exercé; dans ses conclusions d'appel régulièrement déposées, la demanderesse a fait valoir un ensemble d'éléments de fait desquels il résulte que le défendeur a adopté un comportement inconciliable avec le droit invoqué; d'où il suit que le jugement attaqué, en refusant de rechercher, comme la demanderesse y invitait pourtant le tribunal, si le défendeur avait adopté un comportement inconciliable avec le droit dont il entendait se prévaloir, au seul motif qu'il n'est aucune règle juridique consacrant le principe invoqué par la demanderesse, viole toutes les dispositions légales et les principes généraux du droit invoqués dans le moyen :

Attendu que, d'une part, il ne résulte pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la demanderesse ait invoqué devant le juge d'appel la violation de l'article 1135 du Code civil;

Qu'en tant qu'il invoque la violation de cette disposition légale, le moyen est nouveau;

Attendu que, d'autre part, il n'existe pas de principe général du droit selon lequel "un droit subjectif se trouve éteint ou en tout cas ne peut plus être invoqué lorsque son titulaire a adopté un comportement objectivement inconciliable avec ce droit, trompant ainsi la confiance légitime du débiteur et des tiers";

Que, dans la mesure où il se fonde sur l'article 1135 précité et sur ledit principe, le moyen est irrecevable;

Attendu que l'article 1134, alinéa 3, du Code civil consacre le principe de l'exécution de bonne foi des conventions;

Attendu qu'une partie ne viole ni cet article ni ce principe lorsqu'elle fait usage du droit qu'elle trouve dans la convention légalement formée, sans qu'il soit établi qu'elle en a abusé;

Que, dans ces limites, le Code civil reconnaît implicitement à une partie la possibilité de ne pas exercer immédiatement le droit qui lui est conféré par le contrat, en établissant les règles de la prescription extinctive;

Qu'en rappelant que la convention forme la loi des parties, en considérant alors qu'il n'était pas soutenu que le défendeur avait abusé de son droit, que "s'il doit être admis que les négligences ou omissions d'une des parties à une convention, doivent être sanctionnées dans le temps au détriment de la susdite partie, il ne peut être admis que cette sanction doit inclure la suppression entière, ab initio, du point de la convention auquel le comportement, inconsidéré ou autre, d'une des parties se rapporte", et en faisant application des règles de la prescription, le tribunal à justifié légalement sa décision;

Que, dans la mesure où il est recevable, le moyen ne peut être accueilli;

Par ces motifs, rejette le pourvoi, condamne la demanderesse aux dépens.

Note

Cons. cass., 19 septembre 1983, RG 6694 ( Bull. et Pas., 1984, I, n° 34 ); 18 juin 1987, RG 7607 ( Bull. et Pas., 1987, I, n° 637 ) et 18 février 1988, RG 7965 ( Bull. et Pas., 1988, I, n° 375 ).

Voy. L.CORNELIS, Beginselen van de Belgische buitencontractuele aansprakelijkheid, I, 1989, n°s 87-88; E.DIRIX et A.VAN OEVELEN, "Kroniek van het verbintenissenrecht", R.W., 1980-1981, 2441 et les références et R.W., 1985- 1986, 96 et les références; M.FONTAINE, "Portée et limites du principe de la convention-loi", dans Les obligations contractuelles, 1984, n° 34 et suiv., p. 181 et suiv.; P.HENRY et J.F.JEUNEHOMME, "<Rechtsverwerking>: révolution ou restauration?", J.L.M.B. Centenaire, 1988, p. 203 et suiv.; R.KRUYTHOF, "Overzicht van rechtspraak 1974-1980, Verbintenissen", T.P.R., 1984, n° 104, p. 607-608; A.VAN OEVELEN, "Algemeen overzicht van de bevrijdende verjaring en de vervaltermijnen in het Belgisch privaatrecht", T.P.R., 1987, n° 13, p. 1767-1768; P.VAN OMMESLAGHE, "<Rechtsverwerking> en afstand van recht", T.P.R., 1980, p. 735 et suiv; idem, "Examen de jurisprudence, Les Obligations", Rev. crit. jur. belge, 1988, n° 230, p. 142.

J.T., 1990, p. 442. P.HENRY, Obs., J.L.M.B., 1990, p. 881. I.MOREAU-MARGREVE, <Rechtsverwerking>, réflexions pour un requiem, Ann.Dr.Liège, 1990, p. 283. S.STIJNS, La "<rechtsverwerking>" fin d'une attente (de) raisonnable ?, J.T., 1990, p. 685. TERTIUS, <Rechtsverwerking>, J.T., 1990, p. 699. J.HEENEN, A propos de l'extinction d'un droit subjectif par suite du comportement de son titulaire, R.C.J.B., 1990, p. 599-609. M.E.STORME, <Rechtsverwerking> na de cassatiearresten van 17 mei 1990 en 16 november 1990: nog springlevend, R.W., 1990-1991, 1073. St.CNUDDE, De <rechtsverwerking> verwerkt ? , T.B.H., 1991, p. 207. X, noot, T.not., 1990, p. 402.

GLANSDORFF, Fran\ois, "Observations", Journ. procès, 1990, n° 177, p. 33-36.
Referring Principles
A project of CENTRAL, University of Cologne.