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Note to ICC Award No. 7081, Clunet 2003, at 1137 et seq.

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Note to ICC Award No. 7081, Clunet 2003, at 1137 et seq.
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Note to ICC Award No. 7081, Clunet 2003, at 1137 et seq.

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OBSERVATIONS : I." - La politique communautaire de coopération entre l'Union européenne et les pays ACP a été mise en place par les Conventions de Yaoundé (1963 et 1969) et de Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989 révisée en 1995). La troisième Convention de Lomé faisait partie, au moment des faits, du droit des Etats ACP (membres ou non de Y), des Communautés européennes et de ses Etats membres. Lomé III a été depuis remplacée par Lomé IV. Le titre III de la troisième partie de Lomé III organisait la coopération financière et technique entre les Communautés européennes et les Etats ACP, dans le cadre duquel s'est déroulé l'appel d'offres lancé par Y.

L'article 238 de la Convention, dont l'applicabilité est contestée par l'une des parties, précisait le mode de règlement des différends relatifs aux marchés négociés ou conclus dans le cadre de cette coopération. Y a souligné qu'elle n'était pas partie à la Convention de Lomé III en tant que telle car elle était dotée d'une personnalité distincte de celle de ses Etats membres. Elle ne saurait en conséquence se voir opposer les obligations contractées par ces derniers à titre individuel.

Le tribunal arbitral répond ajuste titre « que la reconnaissance de la personnalité juridique internationale n'a pas pour effet d'affranchir l'organisation de l'ensemble des obligations juridiques qui auraient été contractées par ses Etats membres. Si l'article 238 de Lomé III prévoit que les Etats ACP recourront à l'arbitrage (...) la même obligation pèse sur une organisation qu'ils auraient constituée pour l'accomplissement de tâches communes. »

Toutefois, on peut se demander si, dans le cas d'espèce, le consentement spécifique des parties à la procédure d'arbitrage ne faisait pas défaut. Le caractère volontaire du recours à l'arbitrage constitue un principe établi du droit de l'arbitrage national et international. Le consentement des parties est la condition sine qua non de la compétence du tribunal arbitral. Même si ce consentement peut être exprimé sous des formes diverses, il est essentiel que l'expression de volonté de l'une et de l'autre partie soit certaine.

Dans le cas d'espèce, le terme « parties » est susceptible d'une double interprétation. Il s'agit d'une part, des parties à Lomé III, soit les Etats ACP, les Communautés européennes et leurs Etats membres et, d'autre part, des parties à l'arbitrage, soit les Etats (ou groupes d'Etats) ACP, et les entrepreneurs ou soumissionnaires. L'identification n'était donc pas aussi claire que dans les accords d'arbitrage interétatiques, où les parties à l'accord sont les parties à l'arbitrage. Il existe toutefois un parallèle évident entre le présent cas et celui des accords conclus entre Etats pour la protection des investissements. Les clauses d'arbitrage insérées dans ces derniers accords visent en effet les litiges qui naîtraient non pas entre les Etats parties, mais entre l'Etat sur le territoire duquel l'investissement est opéré et l'investisseur privé qui fait cet investissement (en matière de compétence du CIRDI, voir à titre d'exemple la décision du 24 décembre 1996, JDl 2000. p. 151).

La question était ici de savoir si l'engagement des Etats membres et par conséquent celui de Y pouvait être exprimé de manière abstraite et générale (par la Convention de Lomé) sans avoir à être réitéré sous la forme d'une convention d'arbitrage expresse. Faisant un parallèle entre le présent cas et celui des accords conclus entre les Etats pour la protection des investissements, le tribunal arbitral « va estimer que le consentement des Etats (ou groupes d'Etats) ACP au règlement

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arbitral des litiges qui pourraient les opposer aux soumissionnaires ou adjudicataires des marchés financés par le Fonds européen de développement a été exprimé par ces Etats lors de leur ratification de la Convention de Lomé III et que ce consentement constitue une base conventionnelle suffisante tant en ce qui les concerne que, par assimilation, en ce qui concerne Y elle-même ».

Y a en effet adhéré à l'ensemble du système de coopération organisé par Lomé III. dont le règlement arbitral visé à l'article 238. Cette adhésion est par définition un acte de volonté. Quant au consentement de X. celui-ci a été exprime par sa participation à une procédure d'appel d'offres qui comportait une clause arbitrale et ensuite par sa requête en arbitrage.

Le tribunal arbitral a estimé que quand bien même « l'article 238 de Lomé III devait être écarte sur le plan du consentement au règlement arbitral du litige : la volonté clairement exprimée par Y on lançant un appel d'offres qui comporte des dispositions expresses relatives au règlement arbitral des litiges liés à l'appel d'offres, suffit à justifier en l'espèce la compétence arbitrale ».

On doit approuver la conclusion du tribunal arbitral. Bien qu'il n'y ait pas eu un accord express entre Y et le soumissionnaire évincé, les parties ont bien exprimé leur consentement à l'arbitrage.

II" - En ce qui concerne la recevabilité de l'action introduite par X. le tribunal arbitral a commencé par des précisions d'ordre général (voir supra). Il a distingué ensuite entre la demande de X tendant à faire constater l'illégalité de la décision de Y et celle qui tend à enjoindre à Y de lui adjuger les marchés pour lesquels elle a soumissionnés.

La première, qui s'est bornée à demander au tribunal de dire le droit pour aboutir à la constatation qu'une décision est illégale ou non, relève selon le tribunal de la mission essentielle d'un tribunal arbitral. Elle est donc recevable.

Quant à la seconde, elle porte sur l'étendue du contrôle juridictionnel sur une décision prise par Y. En effet, le tribunal arbitral doit déterminer s'il est en mesure de contrôler et de modifier la décision prise par Y d'adjuger le marché à d'autres soumissionnaires que X. Afin de se prononcer sur l'étendue de son pouvoir juridictionnel, le tribunal arbitral a examiné les règles applicables au litige, à savoir, les règles visées dans l'appel d'offres. Il constate qu'aucun des textes applicables ne précise les pouvoirs des arbitres et en particulier ne leur donne celui d'adresser des injonctions aux parties.

Ne disposant pas des pouvoirs d'amiable compositeur, le tribunal arbitral a défini la mission des arbitres comme consistant « essentiellement à dire le droit, à constater s'il a été respecté ou non à en tirer les conséquences quant aux droits subjectifs des parties. Ils ne comportent pas au fond, sauf clause ou disposition contraire, un pouvoir de commandement permettant d adresser des injonctions aux parties de substituer une décision à une autre ou de faire échec à une exécution en cours. »

L'approche du tribunal arbitral qui consiste à considérer comme irrecevable la demande faite par X est prudente. Tout en constatant que la décision de Y de ne pas attribuer les lots 2 et 3 à X était illégale, il ne pouvait pas pour autant résilier les marchés attribués aux sociétés P et TE afin de les accorder a X.

Faisant un parallèle avec les juridictions étatiques administratives, le tribunal constate que même si celles-ci étaient investies de la totalité du pouvoir juridictionnel, elles n'étaient pas non plus en mesure et en droit de prendre des décisions qui imposaient aux parties d'adopter un comportement détermine. Aussi important que soit leur pouvoir, elles ne pouvaient enjoindre aux parties d'adopter une solution donnée sauf texte spécial ou principe constant. Ces limites s'imposent également à un tribunal arbitral.

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Sauf disposition contraire des parties, le tribunal arbitre ne peut donc pas adresser des injonctions aux parties quel que soit leur statut.

III" - Le rejet par le tribunal arbitral de la demande visant au prononcé des mesures conservatoires est également justifiée. La suspension immédiate de l'exécution des marchés litigieux demandée en l'espèce par la demanderesse ne pouvait aboutir car elle ne visait pas à préserver un « statu quo » mais à obtenir une partie de ce qui était demandé au tond, soit l'attribution des marches.

Par ailleurs, l'attribution des marchés litigieux était déjà réalisée avant la requête complémentaire sur les mesures conservatoires Par conséquent, une décision de suspendre l'exécution des marchés en cause porterait préjudice aux sociétés P et TE, attributaires des marchés visés et tiers à l'arbitrage Le tribunal arbitral ne peut donc pas demander à Y de remettre en cause l'exécution des marchés en cours.

Quant à la demande de X sollicitant « toute autre mesure conservatoire que le tribunal arbitral jugera utile », celle-ci a été considérée comme irrecevable à défaut de précisions suffisantes. Il lui appartient en effet de déterminer les mesures conservatoires quelle vise ainsi que leur utilité.

Il est intéressant de rappeler que les pouvoirs des arbitres de prononcer des mesures conservatoires étaient implicites dans le Règlement CCI de 1975 (1988). La demande faite par X procédait dune interprétation de l'article 8 (5) qui autorisait «exceptionnellement» les parties à « demander à toute autorité judiciaire des mesures provisoires ou conservatoires (...) sans préjudice du pouvoir réservé à l'arbitre à ce titre ». Ceci signifiait que les parties devaient solliciter de telles mesures auprès des arbitres en l'absence de circonstances exceptionnelles. Une telle interprétation ne correspondait pas à la pratique car les arbitres estimaient généralement, sauf dispositions expresses contraires de la loi de procédure, qu'ils étaient autorisés à prendre de telles mesures « à titre de directives aux parties a l'arbitrage » même si le Règlement CCI de 1975 (1988) ne contenait pas de dispositions expresses à cet égard. Celte ambiguïté est désormais supprimée avec le nouveau Règlement CCI de 1998 dont l'article 23 (1) prévoit expressément que le tribunal arbitral peut « ordonner toute mesure conservatoire ou provisoire qu'il considère appropriée ». Le tribunal arbitral peut également subordonner cette décision à la constitution de garanties adéquates par le requérant (v. notamment S. Jarvin. « Eléments de la procédure d'arbitrage », Bull. arb. CCI, Supplément spécial. Le Règlement d'arbitrage de la CCI de 1998 -Actes de la conférence de présentation du nouveau Règlement, p. 37 ; Y. Derains et E. Schwartz. A Guide to the New ICC Rules of Arbitration, Kluwer 1998, p. 272 : Craig. Park & Paulsson's Annotated Guide to the 1998 ICC Arbitration Rules with commentary. Oceana Publications, Inc./ICC ¡998, p. ¡37 ; Supplément au Bull. arb. Mesures conservatoires et provisoires en matière d'arbitrage international. Publication CCI no 519. 1993).

IV" - Dans l'affaire ci-dessus rapportée, la procédure relative au marché était déterminée par les règles expressément visées par le dossier d'appel d'offres et le Cahier général des Charges (CGC) des marchés publics de travaux et de fournitures financés par le Fonds européen de développement.

La procédure relative au marché peut être synthétisée, pour l'essentiel, en quatre phases :

- la phase de présélection aboutissant à la désignation des entreprises admises à participer à l'appel d'offre ;

- les recommandations de la commission de dépouillement ;

- le choix du soumissionaire par Y ;



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- l'intervention de la Commission européenne.

La commission de dépouillement établit seulement une proposition car la décision finale est prise par Y qui envoie la lettre de marché à l'attributaire. La Commission des Communautés européennes, quant à elle, ne fait qu'examiner la proposition en vue de l'attribution du marché.

Dans un premier temps, le tribunal va se prononcer sur l'étendue de son pouvoir de contrôle sur la décision prise par Y. Il a estimé ainsi qu'il pouvait l'exercer pleinement sur le respect des règles et principes applicables en ce qui concerne la procédure à suivre pour l'attribution du marché, l'égalité entre les candidats, la nature des conditions à remplir pour la recevabilité des offres, et la nature des critères à prendre en considération pour l'appréciation et la comparaison des offres.

Il en est de même pour l'exactitude matérielle des faits pris en considération pour l'exclusion des offres et l'attribution du marché.

En revanche, le contrôle du tribunal arbitral devait être plus restreint en ce qui concerne les appréciations techniques, et l'appréciation de l'offre économiquement la plus favorable. Dans ces derniers cas, le tribunal arbitral devait se limiter à l'appréciation de l'erreur manifeste, faisant apparaître l'arbitraire de l'administration.

Le tribunal arbitral constate en l'occurrence que la procédure a été régulière.

Avant d examiner la question d'une éventuelle discrimination à l'égard de X. le tribunal arbitral a vérifie si une tentative de corruption a bien été exercée comme allégué par X. Sur la base des pièces produites par les parties, il constate qu'un intermédiaire connaissait effectivement le projet, la procédure et le Secrétaire exécutif de l'époque. Il avait ainsi proposé son intervention à la demanderesse moyennant une commission dont le pourcentage n'était pas inhabituel dans certaines pratiques du commerce international. Mais au-delà de cette constatation, il n'y a eu que des suspicions sur lesquelles il ne pouvait pas fonder sa décision.

Le problème du tribunal arbitral dans un tel cas est réel. Le doute ne suffit pas a permettre au tribunal arbitral de prendre une décision tant que la corruption n'a pas été prouvée (voir en ce sens, sentence CCI no 9333 JDI 2002, p. 1093, observations Jarvin ; M. Scherrer, « International Arbitration and Corruption - Synopsis of Selected Arbitral Awards , Bulletin ASA 2001. vol 19, no 4, p. 710)

Quant à 1a présence du Secrétaire exécutif de Y, lors de la phase finale des délibérations de la Commission technique, elle n'a pas pu être retenue comme indice par le tribunal arbitral. En effet, à défaut de disposition contraire du dossier d'appel d'offres ou du droit applicable, la présence à Bruxelles du Secrétaire exécutif n'était pas fautive. Elle l'aurait été en cas de véritables immixtions dans les travaux de la Commission technique, ce qui n'a pas été prouvé en l'espèce. Dans tous les cas. elle aurait été très difficile à établir pour X.

En revanche, le tribunal arbitral constate qu'une discrimination a été effectivement commise par le Secrétaire exécutif de Y à l'égard de X concernant le service après-vente du lot n° 3 et a examiné la réparation éventuelle de son dommage qui doit être certain, établi et en relation causale avec la faute commise. En l'espèce, le préjudice de X se décomposait en plusieurs éléments : le coût de sa participation à l'appel d'offres, le manque a gagner, les préjudices économiques résultant de son exclusion, le coût de la procédure qu'elle a intentée devant la Cour de Justice des Communautés Européennes et les frais d'arbitrage. L'analyse du tribunal arbitral tendant à constater l'inexistence de dommages réparables, est claire et ne nécessite pas de commentaires particuliers.

V." - Le manque a gagner mérite une attention particulière. Le rappel du tribunal arbitral des principes en matière de réparation de la perte d'une chance est essentiel. Le tribunal arbitral indique ainsi que la perte d'une chance est en

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principe indemnisable. C'est le cas. par exemple en droit français et belge de la responsabilité (voir les références bibliographiques citées dans la sentence arbitrale : Mazeaud. Traité de la responsabilité civile, 5e éd., no 219 , Ghestin, Traité de droit civil, La responsabilité, par Viney, 1982. no 278 et s.). Elle doit être cependant «sérieuse» (Viney. op. cit. et no 283) ou « réelle » (Dirix. Hit begrip schade. Bruxelles, 1984. p. 83 et s. et réf.) et ne peut consister en une simple éventualité. Par ailleurs, le caractère sérieux ou non de la chance perdue, ainsi que l'évaluation du préjudice subi, relève de l'appréciation souveraine du juge de fond (Cass. belge. 4 mars 1975. Pas 1975 - I 682 et obs. Dalcq. Rev. crit. Jur. belge 1981. p. 123, no 111, qui écrit même - en un apparent paradoxe - que la chance indemnisable doit être «certaine»).

Le tribunal arbitral observe que ces principes sont appliqués en matière de marches publics et cite un certain nombre de jurisprudences belges et françaises (v. par exemple en droit belge, Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, éd. 1986. no 64). Selon l'arrêt du Conseil d'Etat français invoqué par la demanderesse (CE, 28 mars 1980, Centre Hospitalier de Seclin. JCP 1981. no 19542, obs P. L et réf. - arrêt relatif à un refus illégal de i administration d'autoriser une entreprise ci soumissionnera une adjudication restreinte, hypothèse donc très différente de celle en l'espèce), le manque à gagner peut être réparé lorsqu'il y avait une « chance sérieuse d'emporter l'adjudication des travaux ». La chance sérieuse est également requise en matière d'appels d'offres (v. CE. 4 juin 1976, Desforets, Rec. Lebon, p. 301 ; CE. 13 juin 1979, OLGEMA. Rec. Lebon. p. 403) ; Bréchon (in Bréchon et al, Droit des marchés publics, op. cit., III. 630.3, p. 9) considère qu'il faut « démontrer que l'entreprise aurait eu une chance sérieuse, voire très sérieuse d'emporter le marché ». L'exigence d'une chance sérieuse ou réelle est appréciée au cas par cas par le juge administratif sur la base de tous les éléments utiles des dossiers ou d'un seul élément (Bréchon. op. cit., p. 10 : qualification, nombre candidats, prix...). Elle se justifie d'autant plus en matière d'appels d'offres restreints où un soumissionnaire - fut-il le plus intéressant - n'a pas pour autant un droit automatique à l'attribution du marché. En l'espèce, le tribunal arbitral a estimé que la demanderesse n'avait pas vraiment de chances sérieuses de se voir attribuer les marchés afférents au lot no 3. Il a rejeté en conséquence la demande en réparation de la demanderesse.

La décision des arbitres s'inscrit dans le courant de la jurisprudence arbitrale internationale qui subordonne logiquement la réparation à la certitude du dommage. Les arbitres apprécient toutefois avec souplesse l'existence du dommage en tenant compte de la prévisibilité du dommage, des aléas qui peuvent l'affecter et plus généralement des circonstances particulières à chaque cas (v. en ce sens. J. Ortscheidt, « La réparation du dommage dans l'arbitrage commercial international », Dalloz 2001, p. 19 et s. : v. dans un même sens l'article 7.4.3 (1) des principes relatifs aux contrats du commerce international d Unidroit : v. également l'article 4.501 (2) des principes européens du droit des contrats de la Commission sur le droit européen des contrats). En l'espèce, le refus des arbitres d'accorder la réparation du manque à gagner sollicitée par X était justifié dans la mesure où X n'a pas réussi à démontrer qu'elle aurait vraisemblablement et raisonnablement obtenu les marchés visés, même si elle avait fait les offres les plus intéressantes.

Referring Principles
A project of CENTRAL, University of Cologne.