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Jarvin, Sigvard, Note to ICC Award No.6317, Clunet 2003, at 1159 et seq.

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Jarvin, Sigvard, Note to ICC Award No.6317, Clunet 2003, at 1159 et seq.
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OBSERVATIONS. - I. - Cette sentence illustre la difficulté qu'il peut y avoir à déterminer la portée juridique d'un langage codifié intervenant dans un milieu professionnel donné (voir aussi à ce sujet la sentence dans l'affaire 3202 en 1978, JDI 1979, p. 1003). Un tel langage est-il ad solemnitatem et le seul à pouvoir être utilisé ? Le Data Exchange (DEX), le langage informatique du Groupe W, a été mis en place et accepté par toutes les sociétés de ce groupe aux fins d'assurer le bon fonctionnement des rapports entre elles et de garantir notamment la certitude de leurs transactions réciproques. En particulier, l'arbitre relève que selon les termes du contrat qui régit l'activité du Groupe, " [DEX] is the [W] Group electronic system handling its cross border transactions ". Ce langage existe et a été accepté par chaque factor du Groupe lors de son admission. L'arbitre a considéré à juste titre qu'il s'agit du langage " typique " du Groupe, c'est-à-dire l'instrument qui régit normalement toute opération des factors. Par conséquent, il estime qu'on ne peut déroger à cet instrument que par d'autres messages qui1160doivent être référencés dans le langage codifié, soit par exemple le Code K80. L'arbitre ne fait donc que respecter le fonctionnement du groupe en donnant effet à ce langage.

L'arbitre indique que ce langage DEX n'est pas exclusif. Si le langage codifié ne prévoit pas le message qu'un factor veut envoyer à un autre factor, il est normal d'admettre que d'autres langages, verbaux ou écrits, puissent être utilisés. L'absence d'un mot codifié dans le vocabulaire de le DEX ne peut avoir pour conséquence d'empêcher une partie d'envoyer un message en utilisant ce mot à condition que le message soit clair et précis. Une telle solution doit être approuvée.

II - L'arbitre souligne l'obligation fondamentale des parties, membres d'un même groupe, d'exécuter leurs engagements de bonne foi (voir P. Kahn, " Les principes généraux du droit devant les arbitres du commerce international ", JDI 1989, p. 305). Nombreuses sont les sentences qui font peser sur les parties une obligation de coopérer de bonne foi. Il existe, en effet, une tendance de la jurisprudence arbitrale qui privilégie le principe de bonne foi (voir Y. Derains, " Les tendances de la jurisprudence arbitrale internationale ", JDI 1993, p. 829 et S. Jarvin, " L'obligation de coopérer de bonne foi ; exemples d'application au plan de l'arbitrage international ", dans L'apport de la jurisprudence arbitrale, Les dossiers de l'Institut, CCI, publication no. 440/1, 1986). Certains auteurs vont jusqu'à dire que " l'exigence fondamentale de bonne foi (...) [se] trouve dans tous les systèmes de droit, qu'il s'agisse des droits nationaux ou du droit international " (Sentence AMCO 25 septembre 1983 rendue dans le cadre du CIRDI, Revue de l'arbitrage 1985, p. 252, observations E. Gaillard). " Appartenant au fond commun des droits nationaux, l'obligation de se comporter loyalement dans les relations contractuelles constitue naturellement un principe des rapports économiques internationaux " (sentence rendue dans l'affaire CCI no 5030, Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1991-1995, p. 482).

En l'espèce, l'arbitre a fait application du principe de bonne foi sans passer au préalable par la détermination du droit applicable. Le principe de bonne foi est-il alors conçu par l'arbitre comme étant un principe général du droit du commerce international, un usage ou simplement comme un principe inhérent au fonctionnement du groupe ? On peut regretter que la sentence ne le précise pas. Par ailleurs, on peut avoir des doutes quant à la portée de ce principe si, comme il nous semble, l'arbitre en fait un principe universel d'application générale, car le principe de bonne foi n'est pas d'application universelle.

En effet, tous les systèmes de droit ne reconnaissent pas le principe de bonne foi. Si ce principe se retrouve dans le droit français (article 1134 du Code civil), dans le droit allemand (la doctrine et la jurisprudence le rattachent à, § 242 BGB) ainsi que dans le droit italien (article 1366 du Code civil italien), il ne s'impose pas en tant que tel aux parties dont le contrat est soumis à certains autres droits tels que le droit anglais et américain.

Selon Alberto M. Musy, Professeur à l'université économique de Novara, Italie, le principe de bonne foi n'a pas la même portée dans les différents systèmes de droit en Europe. Dans le système romano-germanique, l'approche la plus minimaliste est celle des tribunaux français qui n'appliquent pas le principe de bonne foi dans la même mesure que leurs homologues allemands ou italiens. Une approche encore plus minimaliste est celle du droit de common law. En effet, en vertu de ce droit, il n'existe aucune obligation générale des parties à un contrat de se conformer au principe de bonne foi (" The good faith principle in contract law and the precontractual duty to disclose : comparative analysis of new differences in legal cultures ", ICER (International Centre for Economic Research), Working Papers no 19-2000, http://ideas.repec.Org/p/icr/wpicer).

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De nos jours, le droit anglais n'impose plus une obligation générale de bonne foi aux parties à un contrat (R. Powell, " Good faith in contracts ", Current Legal Problems, 38 [1956]). Le droit du commerce anglais reconnaissait ce principe jusqu'à sa disparition au XVIIIe siècle (J. H. Baker, " An Introduction to English Legal History ", 3nl edition, London, 1990). Le principe en common law est que la gestion des affaires est dominée par la règle du " rough and tough ", à savoir l'application stricte des termes du contrat. Par conséquent, il revient aux parties de veiller à leurs intérêts. L'application d'une telle règle est toutefois modérée dans certains domaines où on peut retrouver l'application du principe de bonne foi. Il en est ainsi en matière de contrat d'assurance qui nécessite une uberrima fides. Quant aux relations fiduciaires en common law, elles génèrent plusieurs obligations qui, en droit civil, se rattacheraient au principe de bonne foi. Il arrive même que les tribunaux anglais dégagent des contrats une volonté implicite des parties, adoptant ainsi une approche comparable à celle des tribunaux français ou allemands. Ceci ne permet pas pour autant d'affirmer qu'il existe un principe général de bonne foi en droit anglais (P. D. V. Marsh, Comparative Contract Law, Gower Publishing, Aldershot, 1994, p. 38-39). Cette analyse a été confirmée par Roy Goode, professeur à l'université d'Oxford (Grande-Bretagne). Cependant, selon Christian Twigg-Flesner, maître de conférence à l'université de Notthingham (Grande-Bretagne) il convient de noter une évolution du droit anglais des contrats sur ce point, tant au niveau jurisprudential que doctrinal (R. Brownsword, Positive, Negative, Neutral : The Reception of the Good Faith in English Contract Law and J. Wightman, Good Faith and Pluralism in the Law of Contract in Brownsword, Bird, and Howells, Oxford, Clarendon Press, 1997), notamment depuis l'adoption de la directive européenne sur les clauses abusives (C Twigg-Flesner, A " Good Faith " Requirement for English Contract Law ?, WLR 1353, CA).

Le droit américain, fortement influencé par le droit allemand, a inclus dans la section 1-203 de l'Uniform Commercial Code un principe général de bonne foi (" every contract or duty within this Act imposes an obligation of good faith in its performance or enforcement "). De même 1a Section 205 du Restatement Second of Contracts, inspirée du Code, impose une obligation générale de bonne foi (" every contract imposes upon each party a duty of good faith and fair dealing in its performance and enforcement "). Le droit américain s'est ainsi définitivement éloigné des courants doctrinaux et jurisprudentiels de la théorie classique des contrats du droit de common law, purement fondée sur la volonté des parties, et s'est rapproché des concepts de droit civil.

Cependant, en opposition au droit civil, cette obligation reste limitée à l'exécution des contrats et ne s'applique pas dans le cadre des négociations et des relations précontractuelles. De plus, selon Allan E. Farnsworth, Professeur à l'université de Columbia (Etats-Unis), il n'existe pas de définition claire et précise de ce principe en droit américain. Le Code en comprend déjà deux relatives à la vente de marchandises et différents courants doctrinaux s'opposent quant à la définition de ce principe, sa nature (objective ou purement subjective) et son impact sur les tribunaux américains (A. E. Farnsworth, " The Concept of Good Faith in American Law ", Saggi, Conferenze e Seminari; www.uniromal.it). Malgré tout, par opposition au droit anglais, un principe général de bonne foi semble désormais inclus dans le droit des contrats de tous les Etats américains.

L'Australie, autre grand pays de droit de common law, reste aujourd'hui fortement influencée par le droit anglais et ne connaît pas de principe général de bonne foi. Cependant, soumis à l'influence américaine, le droit des contrats australien pourrait évoluer à terme vers l'affirmation d'une telle obligation.

En réalité, l'application du principe de bonne foi en l'espèce semble découler de l'appartenance des parties à un groupe international d'affacturage. L'arbitre, respectueux de leur volonté, fait en premier lieu application du langage DEX

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auquel les deux parties membres du groupe sont soumises. L'arbitre tire ensuite les conséquences de l'insuffisance du système. Il constate le caractère non exclusif du langage DEX et la possibilité pour les parties d'employer d'autres langages verbaux ou écrits, tel qu'un télex clair et précis. Il est donc normal qu'une partie puisse s'attendre à un comportement en conformité avec un tel télex, surtout de la part d'un autre membre du groupe. Dès lors, on peut penser que l'appartenance à un groupe impose à chacun de ses membres, une obligation de vigilance et de coopération renforcée vis-à-vis des autres membres. C'est le non respect de cette obligation que l'arbitre sanctionne. Une solution d'espèce bien adaptée.

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A project of CENTRAL, University of Cologne.