I. - La société demanderesse est l'une des sociétés exploitantes d'un gisement de gaz. Les sociétés défenderesses sont acheteuses du gaz extrait du gisement. Les vendeurs et les acheteurs ont conclu d'abord un protocole d'Accord, puis un contrat de vente (l'Accord), soumis à l'approbation des autorités administratives compétentes des Etats de chacun des acheteurs. Le prix de vente du gaz était fixé en BTU (British Thermal Unit). Bien que les parties furent convenues de réduire le prix initialement fixé dans un amendement ultérieur, elles ouvrirent des négociations aux fins de révision du prix peu après les premières livraisons de gaz. Ces négociations achoppèrent avec la seule société demanderesse, en conséquence de quoi les autorités de contrôle de la société défenderesse 1 refusèrent finalement d'approuver l'Accord, bien que celui-ci eut déjà reçu un début d'exécution. Les acheteurs, pour s'exonérer de la réclamation de la société demanderesse tendant au paiement du prix contractuellement prévu, soutiennent que le défaut d'approbation par les autorités administratives de la défenderesse 1 rend caduc l'accord de vente de gaz.
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II. - Pour l'essentiel, les dispositions de l'Accord reprenaient en les développant celles du protocole d'Accord. L'Accord était régi par le droit norvégien. Aussi, les arbitres vont se tourner vers les principes d'interprétation de ce droit pour trouver un sens aux dispositions contractuelles discutées. Considérées isolément, les dispositions de l'article [x] auraient pu servir la thèse des acheteurs en faveur d'une résiliation du lien contractuel à l'égard de tous, d'autant plus que les acheteurs avaient conclu entre eux un accord de coopération en foi de quoi ils avaient négocié en commun avec les vendeurs. Mais replacées dans l'ensemble du contrat, ces dispositions se révèlent ambiguës, surtout lorsqu'elles sont mises en rapport avec celles de l'article [y] qui envisagent notamment la résiliation du contrat par le vendeur à l'égard d'un ou de tous les acheteurs lorsqu'il a été empêché par les autorités de l'un quelconque des Etats des acheteurs d'effectuer les livraisons de gaz au prix et conditions convenues ou bien lorsqu'on les rapproche des stipulations sur la force majeure qui visent une impossibilité d'exécuter par l'un quelconque des acheteurs. Cette ambiguïté n'est pas dissipée si on rapproche l'article [x] des autres stipulations contractuelles (V. Ph. Kahn, L'interprétation des contrats internationaux : JDI 1981, p. 5. - V. aussi Principes UNIDROIT, art. 4.4 : Les clauses et les expressions s'interprètent en fonction de l'ensemble du contrat ou de la déclaration où elles figurent).
Dans un deuxième temps dès lors, les arbitres examinent les faits entourant la conclusion du contrat et le comportement des parties (Principes UNIDROIT, art. 4.3). Dans cette recherche, le tribunal confère au respect de l'obligation de loyauté une importance grandissante avec la durée d'exécution du contrat. Le prix, trop élevé selon les acheteurs, avait rapidement été rediscuté par les parties, sans toutefois parvenir à un accord définitif puisque les acheteurs avaient invoqué l'existence d'une clause de « hardship ». Les principes UNIDROIT définissent 1056 ainsi le « hardship » : « Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l'équilibre des prestations, soit que le coût de l' exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué, et a) que ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion du contrat ; b) que la partie lésée n'a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération ; c) que ces événements échappent au contrôle de la partie lésée ; et d) que le risque de ces événements n'a pas été assumé par la partie lésée » (art. 6.2.2. - V. Sent. CCI, nº 2478, 1974 : JDI 1975, p. 925. - Y. Derains : Rec. Sent. 1974-1985, t. 1, p. 233). Dans ces conditions, on comprend que les arbitres aient estimé juste et raisonnable de mettre fin au lien contractuel entre le vendeur et la seule défenderesse 1 plutôt que de laisser profiter toutes les défenderesses de l'occasion d'un refus d'approbation pour s'évader des liens contractuels autrement conclus régulièrement avec le vendeur. L'Accord prévoyait que si les conséquences de l'exécution du contrat résultaient en un hardship sévère pour l'un quelconque des acheteurs, les parties devraient ajuster le contrat de manière à éliminer sa cause (V. Principes UNIDROIT, art. 6.2.3). Le litige sur le prix devait donc trouver sa solution dans le cadre de la clause de « hardship ».