-Dans cette affaire, une filiale de la société demanderesse B est intervenue volontairement. Le tribunal accepte cette intervention et souligne que l'intervention de la société C avait été acceptée par les deux parties. Cette affaire rappelle donc que l'intervention volontaire de tiers dans un arbitrage est toujours possible dès lors que les autres parties acquiescent à cette demande. La situation est cependant bien plus compliquée quand toutes les parties ne sont pas d'accord sur ce point (V. à ce sujet
A M. Whitesell et E. Silva Romero, Multiparty and Multicontract Arbitration : Recent ICC Experience in Complex Arbitrations Perspectives on their Procedural Implications, Supplément spécial 2003 : Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI).
- L'exception d'inexécution a déjà fait l'objet d'application par les arbitres, / qui la présentent souvent sous sa dénomination latine exceptio non adimpleti contractus (Sentence CCI rendue dans l'affaire no 7539 [1995] : JDI 1996,p. 1030, note Y. Derains. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 8365 [1996] : JDI 1997, p.1078. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 1795 : YCA 1999, p. 196. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 2583 : JDI 1977, p. 950. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 4761 : JDI1987, p. 1012. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 8365 : JDI 1997, p. 1078. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 9797, Bull. ASA 2000, p. 514). Certaines sentences qualifient même le droit pour Tune des parties de suspendre l'exécution de ses obligations en cas de violation de ses obligations par l'autre partie de principe du droit du commerce international (Sentence CCI rendue dans l'affaire no 3540 en 1980, citée dans Fouchard, Gaillard, Goldman, op. cit., §1496). L'exercice de cette prérogative par le créancier est toutefois généralement conditionnée par la gravité de la violation de ses obligations par le débiteur et la proportionnalité entre l'obligation suspendue et la violation de l'adversaire (en droit français, V. N. Cuzacq, La notion de riposte proportionnée en matière d'exception d'inexécution : LPA no 91, 7 mai 2003). C'est ainsi que, dans l'affaire CCI no 4269 opposant un maître de l'ouvrage à un entrepreneur, le tribunal arbitral a mis en avant le fait que l'obligation pour le maître de l'ouvrage de mettre à disposition de l'entrepreneur un site dans un état permettant les travaux était une obligation essentielle, « of utmost importance », et par conséquent que l'entrepreneur était en droit de suspendre ses obligations tant que le maître de l'ouvrage ne mettait pas à disposition le site en question (Sentence rendue dans l'affaire CCI no 4629 en 1989 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI,vol. III, p. 152). Dans l'affaire CCI no 8365, le tribunal arbitral, faisant application de lex mercatoria, insistait également sur le fait que « les règles applicables de la lex mercatoria devraient comprendre des principes tels (...) qu'une partie est en droit de se considérer comme déchargée de ses obligations si l'autre partie a commis une violation du contrat, mais seulement si celle-ci est substantielle» (Sentence CCI rendue dans l'affaire no 8365 : JDI 1997, p. 1078).Dans le cas présent, le tribunal arbitral n'étudie pas en détail l'exacte proportionnalité entre l'obligation suspendue et la violation de ses obligations par le distributeur ni la gravité de la violation. Le tribunal constate cependant que les défauts de paiement étaient récurrents et 1299 n'étaient pas justifiés par de raisons quelconques. Le tribunal confirme ainsi que l'exercice de l'exception d'inexécution est justifié en l'espèce.Le tribunal arbitral était d'autre part saisi d'une demande fondée sur l'enrichissement sans cause. Le tribunal arbitral rejette cette demande sans ambages et rappelle que la demande fondée sur l'enrichissement sans cause n'a qu'un caractère subsidiaire et qu'elle ne saurait être invoquée en présence d'un contrat entre les parties. Le tribunal estime en effet que dans ce cas, les relations entre les parties sont définies et réglementées par les stipulations du contrat et qu'accepter une demande fondée sur l'enrichissement sans cause reviendrait à porter atteinte au principe
pacta sunt servanda. La question de l'enrichissement sans cause se pose souvent aux arbitres en termes de compétence : ceux-ci doivent décider si la clause compromissoire leur donne compétence pour se prononcer sur des demandes quasi-contractuelles. Il est généralement admis que les arbitres retiendront leur compétence si les termes de la clause compromissoire sont suffisamment larges,ce qui sera le cas si la clause ne se limite pas exclusivement aux différends trouvant leur origine dans l'exécution du contrat (
J.-F. Poudret et S. Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, p. 282, no 307. - V. également Sentence CCI rendue dans l'affaire no 12167[2002] :JDI 2007, p. 1261). Une fois résolue la question de la compétence, les arbitres,saisis d'une question relative à l'enrichissement sans cause au fond, doivent se prononcer sur la recevabilité de celle-ci sur la base du droit applicable au litige, en l'espèce le droit français. Or il est établi en droit français que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause a une nature subsidiaire (
F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations : Dalloz, 2002, no 1062). C'est donc à juste titre que le tribunal rejette cette demande.Le tribunal accorde au demandeur une indemnité au titre du préjudice moral, estimant que « le fait d'informer [D] est une initiative malheureuse et regrettable. Le Tribunal Arbitral estime donc partiellement justifiée la demande de B et lui octroie, au titre de dommage moral, la somme de 150 euros». Certains arbitres ont, par le passé, reconnu que le dommage moral d'une partie était indemnisable. C'est ainsi qu'un tribunal siégeant sur le fondement du règlement d'arbitrage de la chambre de commerce internationale de Roumanie a décidé d'attribuer au défendeur des dommages et intérêts pour préjudice moral (
Sentence no 33 : Yearbook 1998, p. 113). Le tribunal appliquait le droit roumain mais avait constaté que celui-ci était similaire au droit français en matière d'indemnisation du dommage. Le tribunal se fondait donc sur la doctrine française pour estimer que le préjudice moral devait être réparé. Le tribunal rappelait que l'objet de la loi était de réparer le dommage, et non de le faire disparaître, et par conséquent que le dommage moral pouvait être indemnisé sous forme monétaire. Il reconnaissait toutefois que l'évaluation du préjudice moral est une tâche délicate, mais que cette difficulté ne pouvait, à elle seule, justifier que le dommage moral ne soit pas réparé. Cette affirmation est partagée par la doctrine. Selon le Dr J.Ortscheidt : « Si la fonction de la réparation est de rétablir la victime dans la situation qui eut été la sienne en l'absence d'événement dommageable, il importe d'indemniser cette atteinte à
1300l'image et à la réputation commerciale (...). La reconnaissance d'un droit à l'indemnisation à l'atteinte à l'image et à la réputation commerciale, en dehors de toute référence à une norme étatique en ce sens, résulte très clairement de la sentence CCI no 3131 rendue en 1979 dans l'affaire Norsolor. (...) Les difficultés d'évaluation de l'aspect purement moral de l'atteinte à la réputation commerciale n'ont donc pas conduit les arbitres à écarter la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice. » (
J. Ortscheidt, La réparation du dommage dans l'arbitrage commercial international : Dalloz 2001, p. 78. - sur Norsolor, V. Rev. arb. 1983, p. 525). Les demandes relatives au dommage moral sont cependant souvent rejetées, faute de preuve du préjudice(V.
Sentence CCI rendue clans l'affaire no 6379 : Yearbook 1992, p. 212. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 6283 [1990] : Yearbook 1992, p. 178. - V. également sur le préjudice extrapatrimonial Sentence CCI rendue dans l'affaire no 4972 [1989] : JDI, 1989, p.1101. -Sentence CCI rendue dans l'affaire no 5639 [1987] : JDI 1987, p. 1054); Le tribunal ajoutait également que l'image et la crédibilité d'une entreprise étaient d'une importance majeure dans le commerce international car celui-ci requiert l'honnêteté, le prestige et la crédibilité. Dans la présente affaire, le tribunal arbitral devait faire face à la même difficulté d'évaluation du préjudice moral.Celui-ci avait en effet admis que le distributeur avait souffert d'un dommage moral du fait du fournisseur,qui avait intempestivement informé des clients finaux des retards de paiement du distributeur. Le tribunal accordait donc une somme forfaitaire au distributeur pour l'indemniser de ce préjudice moral. La sentence suggère également que le tribunal ne distingue pas le préjudice moral de l'atteinte à l'image,celui-ci décidant que le seul cas dans lequel le fournisseur avait pu porter atteinte à l'image du fournisseur avait été traité dans le cadre du raisonnement sur le dénigrement et avait donné lieu à l'octroi d'une indemnisation appropriée (
V., de manière générale sur le sujet en droit français,V. Wester-Ouisse, Le préjudice moral des personnes morales : JCP G 2003, I, 145).Dans cette affaire, le tribunal arbitral accorde à la demanderesse des intérêts au taux légal français en vigueur au jour de la sentence et accorde à la défenderesse des intérêts à un taux contractuel de 12 % sur les sommes dues en vertu des factures impayées. Le tribunal arbitral s'en est donc tenu aux demandes des parties et n'a pas fait usage du pouvoir discrétionnaire qui lui est largement reconnu en matière de fixation des intérêts dans la jurisprudence de la CCI. Dans l'affaire CCI no 6219, le tribunal arbitral décidait ainsi : « Dans le cadre d'un arbitrage international, cette détermination [du taux d'intérêt] n'est pas gouvernée par des règles rigoureuses et précises. La tendance générale qui se dégage, en doctrine et dans la pratique arbitrale, est de laisser à l'arbitre une grande liberté dans la fixation de ce taux [...] Celui-ci n'est pas tenu de se référer aux taux légal d'un système juridique national, qu'il s'agisse de celui de la loi contractuelle ou de celui du lieu de l'arbitrage » (
Sentence CCI rendue dans l'affaire no 6219 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. II, p. 429. - V. à ce sujet M. Secomb et L. Hammoud, Les intérêts dans les sentences CCI : introduction et commentaires : Bull. CCI 2004, p. 54). Il a en effet été décidé à de nombreuses reprises qu'un tribunal arbitral n'est pas tenu de se référer à une
1301législation précise quand il se prononce sur les intérêts (
Sentence CCI rendue dans l'affaire no 5904 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. II, p. 389. -Sentence CCI rendue dans l'affaire no 6219 :Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. II, p. 429-430 ; Sentence CCI rendue dans l'affaire no 5030 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. III, p. 483. - Sentence CCI rendue dans l'affaire no 6962, Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. III, p. 307. -Sentence CCI rendue dans l'affaire no 7331 : Recueil des sentences arbitrales de la CCI, vol. III,p. 597). Il a cependant été décidé par la Cour de cassation que, si l'arbitre n'a pas statué sur ce point et qu'il ne peut plus être saisi, la loi applicable aux intérêts moratoires postérieurs à la sentence, qui s'attachent de plein droit à la décision de condamnation, est la loi du lieu de la procédure d'exécution (
Cass., 1re civ., 30 juin 2004 : Juris-Data no 2004-024344; JCP E 2004,1860, note G. Chabot). Le tribunal arbitral n'a toutefois pas précisé la date à laquelle les intérêts alloués au distributeur devaient commencer à courir. On peut raisonnablement penser que ces intérêts devaient courir à compter du jour du dépôt de la demande d'arbitrage, comme cela était notamment le cas dans une affaire qui a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris. Cette affaire devait donner l'occasion à la cour de rappeler que « le droit applicable à la cause étant le droit français, [l'article 1153-1 du Code civil] autorisait donc les arbitres à accorder les intérêts des sommes allouées à partir de la demande d'arbitrage, sans avoir à motiver spécialement leur décision sur ce point» (
CA Paris, 25 mars 2004 : Rev. arb. 2004, p. 671, note Ortscheidt. - V. cependant CA Paris, 30 juin: Cah. arb.200512. - V. P. Raoul-Duval, Intérêts moratoires : vers une mise en cause du pouvoir des arbitres? : Cah. arb. 2005, p. 49). Dans l'affaire CCI no 5082, le tribunal décidait également que les intérêts devaient commencer à courir à compter de la date du dépôt de la demande d'arbitrage, en l'absence de mise en demeure préalable (Sentence CCI rendue dans l'affaire no 5082 : Bull. CCI, vol. 15,no 1, p. 65).
Mes remerciements vont à Romain Dupeyré pour son aide dans la préparation decette chronique.