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Société European Gas Turbines SA v. société Westman International Ltd, Cour d'appel de Paris (1Ch. C), 30 September 1993

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Société European Gas Turbines SA v. société Westman International Ltd, Cour d'appel de Paris (1Ch. C), 30 September 1993
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Société European Gas Turbines SA v. société Westman International Ltd, Cour d’appel de Paris (1Ch. C), 30 September 1993



Un contrat ayant pour cause et pour l’exercice d’un trafic d’influence par le versement de pots-de-vin est contraire à l’ordre public international français ainsi qu’à l’éthique des affaires internationales telle que conçue par la plus partie des Etats de la communauté internationale.  

Le pouvoir reconnu, en matière d’arbitrage international, à l’arbitre d’apprécier la licéité d’un contrat au regard des règles relevant de l’ordre public international et d’en sanctionner l’illicéité en prononçant en particulier sa nullité implique, dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur la contrariété de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence arbitrale à l’ordre public international (article 1502-5° NCPC), un contrôle de la sentence, par le juge de l’annulation, portant en droit et en fait sur tous les éléments permettant notamment de justifier l’application ou non de la règle d’ordre public international et dans l’affirmative, d’apprécier, au regard de celle-ci, la licéité du contrat ; en décider autrement aboutirait, en effet, à priver le contrôle du juge de toute efficacité et, partant, de sa raison d’être.

En application du principe général du droit selon lequel la fraude fait exception à toutes les règles, manouvres frauduleuses accomplies par l’une des parties au cours de la procédure arbitrale ayant déterminé pour partie la décision des arbitres entrainent par contrariété à l’ordre public international français l’annulation partielle de la sentence.

La Cour,

Dans le cadre du projet pétrochimique d’Arak (Iran) dont le maître de l’ouvrage étai la société de droit iranien National Petrochimical Company (NPC), la société française Alsthom Turbines à Gaz SA (société Alsthom) a page '359' conclu le 11 décembre 1985 avec la société de droit anglais Westman International Ltd (société Westman) un contrat dont l’objet est ainsi défini :
« Le rôle de Westman consistera à assurer la promotion des turbines à gaz d’Alsthom afin qu’Alsthom soit spécialement préqualifié pour le projet. En cas de préqualification spéciale, Westman devra transmettre à Alsthom le maximum d’informations possibles et communiquer ses suggestions pour la défense de l’offre d’Alsthom. Pendant les négociations, Westman devra fournir à Alsthom tous les conseils utiles pour l’obtention du contrat dans les meilleures conditions possibles. Après la signature du contrat, il sera demandé à Westman de fournir à Alsthom toute l’assistance qu’on peut raisonnablement attendre pour la bonne exécution du présent contrat ».
(La traduction de ce contrat et des documents en langue anglaise produits aux débats, effectuée par la société Westman, a reçu l’agrément de la société demanderesse, European Gaz Turbines SA selon déclaration de son avoué mentionné au registre d’audience).
Ce contrat, d’une durée de trois ans si la « préqualification » a été obtenue dans les deux années de son exécution, prévoit le paiement d’une commission « couvrira les dépenses de toute nature que Westman pourra faire pour s’acquitter de sa mission » et qui « sera fixée par un accord mutuel avant qu’Alsthom ne soumette son offre » (article 4), étant précisé que « Westman n’aura droit à aucune commande pour le projet au cours de la période de validité » (article 6).

L’article 6 de ce contrat stipule cependant que

« en cas de préqualification d’Alsthom pour le projet dans la période sus-indiquée de eux ans et s’il remporte le marché dans les six mois qui suivent l’expiration du présent accord, Alsthom versera Westman la moitié de la commission prévue à l’article 4 ci-dessus ».

Ce contrat, qui précise que « la loi applicable est la loi française », comporte de plus une clause compromissoire ainsi rédigée : « toute contestation du présent accord sera réglée de manière définitive selon les règles de conciliation et d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris, par trois arbitres nommés selon ses règles ».

Par lettre du 9 juillet 1987, NPC, maître de l’ouvrage, a demandé à la société Alsthom de lui faire connaître si elle était intéressée par le projet pétrochmique d’Arak et, dans l’affirmative, de lui faire parvenir toutes informations « utiles » pour permettre « l’évaluation de votre société ».

Par lettre du 2 septembre 1987, la société Westman a informé la société Alsthom de sa « préqualification » pour la fourniture de turbines à gaz pour le projet précité, étant précisé que la même information avait été préalablement donnée à cette dernière par lettre du 24 août 1987 de son « antenne locale » à Téhéran et lui a été confirmée par télex du maître de l’ouvrage du 3 octobre 1987.

Par lettre du 11 juillet du 1988, la société Westman a indiqué que les offres de quatre entreprises dont la société Alsthom avaient été « retenues » pour étude par le maître de l’ouvrage et a demandé « confirmation du taux de la page '360' commission qui (lui) sera payée par Alsthom à réception du contrat », suggérant que ce taux soit fixé à « 6% de la valeur FOB du contrat ».

Par lettres des 18 juillet et 16 septembre 1988, la société Westman, faisant état de « frais considérables » par elle engagés pour promouvoir la société Alsthom, a réclamé l’organisation d’une négociation pour parvenir à un accord sur le taux de commission et obtenir le paiement de cette dernière.

Par lettre du 1er mars 1989, la société Alsthom a fait connaître à la société Westman sa volonté de ne pas renouveler le contrat du 11 décembre 1985 dont elle a souligné qu’il avait expiré le 1er décembre 1988.

Le 12 mars 1989, a été signé, par le maître de l’ouvrage et la société Alsthom, le contrat de fourniture de turbines à gaz.

Par lettre du 23 mai 1989, le conseil de la société Westman, rappelant les précédents courriers de cette société et faisant état du contrat précité du 12 mars 1989, a proposé la fixation du taux de commission à « 3% sur toutes les sommes reçues par vous (Alsthom) au sujet des commandes de turbines à gaz pour le projet d’Arak » et, en cas de refus de cette proposition, a informé Alsthom de la décision de la société Westman de recourir à l’arbitrage.

Le tribunal arbitral de trois membres constitué, conformément à la clause compromissoire, sous l’égide de la CCI à l’initiative de la société Westman, a été saisi par cette dernière d’une demande en paiement d’une commission de 6 % à laquelle la société Alsthom a opposé la nullité du contrat du 11 décembre 1985 pour illicéité ou immoralité de son objet et de sa cause, l’acte de mission du 4 octobre 1990 précisant que les arbitres avaient notamment pour office de déterminer :

- la nature du contrat ;

- sa validité au regard de la licéité ou de la moralité de son objet et de sa cause et sibsidiairement compte tenu de l’indétermination du taux de commission ;

- « quelles étaient les obligations à la charge de Westman » et si cette dernière « justifie de leur exécution » ?;

- quelles sont les sommes éventuellement dues à Westman au titre de commissions ou « d’indemnités » ?

La société Westman ayant, dans ses lettres précitées des 18 juillet et 16 septembre 1988 et dans ses mémoires, affirmé avoir engagé des frais importants pour l’exécution de sa mission, le tribunal arbitral a, par lettre du 2 juillet 1991, procédé à la réouverture des débats pour demander à  cette société de « lui fournir l’état détaillé des éléments composant la commission (prévue par l’article 4 d contrat 1er aliéna, 2ème phrase) dans les termes du contrat et le montant détaillé des dépenses que Westman soutient avoir exposées dans l’exercice de sa mission ».

La société Westman a produit aux débats, le 9 juillet 1991, un état détaillé des frais d’un montant total de « FS (francs suisses) 7 104 983 » qu’elle certifie avoir personnellement « supportés dans l’accomplissement de sa mission conformément au contrat du 11 décembre 1985 » et qui comprennent notamment la rémunération du personnel (salaire fixe, prime, « récompense (pour) l’équipe de Téhéran » correspondant à « 0,8% de la valeur du contrat) ainsi que des frais généraux, « tels que location de bureau, frais page '361' d’entretien, frais de téléphone, frais de transport, fournitures de bureau) tant pour le « bureau » de Téhéran que pour le siège social de Londres, les parties ayant présenté leurs observations sur l’état de frais de ses annexes par notes des 5 et 18 août 1991 pour la société Alsthom et du 23 août pour la société Westman.

Une sentence arbitrale a été rendue le 21 mars 1992, dont le dispositif est le suivant :

« Décide qu’il existe un contrat entre les parties pour l’obtention d’un marché de fourniture de turbines à gaz à la National Petrochimical Company dans le cadre du projet pétrochimique d’Arak (Iran).

Qualifie le contrat de contrat sui generis combinant un contrat de courtage et un contrat d’entreprise.

Décide que le contrat est valable.

Décide que Westman justifie de l’exécution de son obligation d’obtention de la préqualification d’Alsthom.

Décide que Westman a été empêchée par Alsthom d’exécuter ses obligations après la préqualification d’Alsthom.

Décide qu’Alsthom est tenue au paiement d’une commission de 4% du montant du marché adjugé par NPC.

Condamne Alsthom à payer en principal à Westman la somme de 5 712 240 francs suisses, augmentée éventuellement par l’incidence de l’applicationde la commission aux intérêts de retard que NPC pourrait verser à Alsthom, selon les modalités suivantes :

-a) 558 896, 96 francs suisses dès la notification de la présente sentence ;

-b) un montant de 4 % sur toute somme qui sera versée à Alsthom par NPC au titre du marché, ceci dans un délai de 30 jours à compter de la réception de chaque versement de NPC par Alsthom.

Ces sommes porteront intérêts au taux légal du droit français à compter du jour où elles sont dues par Alsthom en vertu de la présente sentence.

-Rejette le surplus de la demande principale.

-Rejette la demande reconventionnelle du défendeur.

-Condamne Alsthom à supporter la totalité des frais d’arbitrage fixés à US $ 145 100 (cent quarante-cinq mille cent dollars) ainsi que les frais exposées par Westman pour sa défense, fixés à 450 000 FF.

Ces sommes seront dues dès notification de la présente sentence et porteront intérêts au taux légal du droit français à compter de cette date ».

Pour statuer ainsi, le tribunal arbitral a notamment retenu :

-que, pour l’obtention de la « préqualification », la société Westman avait un « rôle de courtier » et que, postérieurement à la « préqualification », pour la fourniture de conseils concernant la préparation et l’établissement de l’offre et pour l’assistance dans l’exécution du contrat, un « rôle d’entrepreneur » ;

-qu’il ne ressortait pas du « contrat tel qu’il est rédigé que Westman avait un « rôle de courtier » et que, postérieurement à la « préqualification », pour la fourniture de conseils concernant la préparation et l’établissement de l’offre et pour l’assistance dans l’exécution du contrat, un « rôle d’entrepreneur » ;

-qu’il ne ressortait pas du « contrat tel qu’il est rédigé que Westman ait dû exercer une influence auprès de NPC pour obtenir la « préqualification », son rôle consistant « seulement à promouvoir les turbines à gaz d’Alsthom » ; page ‘362’

-qu’il ne résultait pas « des mémoires des parties et des pièces produites que le contrat du 11 décembre 1985 ait été un contrat fictif » que « la volonté commune des parties ait été de confier à Westman une mission autre que celle décrite au contrat », et que « Westman ait interprété sa mission différemment de celle prévue au contrat » ;

-que, au regard du droit français applicable au contrat, « les obligations de Westman pouvaient s’analyser comme des obligations de résultat », que, les résultat (à savoir l’obtention du marché Alsthom) ayant été atteint, la société Westman était « présumée avoir rempli ses obligations » et que la société Alsthom n’avait pas rapporté la preuve que « la préqualification n’avait pas été obtenue grâce au travail de Westman » ;

-que, « compte tenu des informations chiffrées produites par Westman, du comportement sus-analysé des parties quant à l’exécution de leurs obligations et des usages existant à propos de contrats de ce type », … il était « raisonnable de fixer le montrant de la commission due par Alsthom à Westman à 4 % du marché conclu entre Alsthom et NPC ».

Dans le cadre de l’instruction du recours en annulation de la sentence arbitrale formé par la société European Gas Turbines SA (société EGT) « venant aux droits d’Alsthom Turbines SA par suite de changement de dénomination sociale » sur le fondement des articles 1504 et 1502-5° du nouveau Code de procédure civile, ont été produits aux débats :

-par cette société :
*trois documents en date du 14 octobre et 4 décembre 1992 et 23 avril 1993, établis à la demande de cette dernière par une société d’expertise comptable Touche Ross and Co, au vu des « comptes » de la société Westman déposés au registre du commerce (« Companies House ») de Londres résumant les informations recueillies sur l’activité de cette société sous forme d’un tableau ci-dessous reproduit :

Chiffre d'affaires (livres) Total dépenses (livres) Résulat (livres)
1985 6 212   5903 309
1986 1 799 4458 (2659)
1987 - 493 (493)
1988 4 671 1218 3453
1989 - 829 (829)
1990 - 1394 (1394)
1991 - 822 (822)

Et faisant de plus ressortir qu’il n’est fait mention, dans les « comptes » de la société Westman, d’ »aucun émolument de directeur », d’aucune rémunération de salariés, et d’aucun local que ce soit en termes d’avoir ou en frais de location » (note du 14 octobre 1993), que « la législation (anglaise) sur les sociétés exige la divulgation dans les comptes annuels d’une société de détails de toutes les transactions avec les dirigeants et les balances de leurs comptes courants » et que seule, la communication des déclarations fiscales des actionnaires de la société Westman permettrait de déterminer « la façon dont les frais ont été exposés et rembourses » (note du 23 avril 1993) ; page ‘363’

*La copie d’une plainte avec constitution de partie civile déposée le 24 mars 1993 par la société EGT pour fausses attestations et usage ainsi que pour escroquerie ;

« Nous avons agi en tant que commissaire aux comptes de la société cidessus mentionnée pour les exercices clos du 30 novembre 1985 à 1991. Durant ces années, les actionnaires fondateurs de la société ont supporté à titre personnel des frais très importants pour le compte de la société dans le cadre de négociations entreprises en Iran pour le compte d’Alsthom Turbines (EGT) – auparavant Alsthom SA. Ces dépenses n’ont pas été intégrées dans les comptes de la société durant ces années, car selon accord entre la société et ses actionnaires fondateurs, les dépenses ne seront remboursées par la société qu’à réception du montant qui lui est dû par Alsthom Turbines (EGT) » ;

*une lettre du 4 mai 1993 de ce même commissaire aux comptes dont sont extraits les passages suivants :

« Les fondateurs ont acceptés de ne pas réclamer à Westman les remboursements avant que la commission ne soit payée par Alsthom. Il n’y pas de dette à intégrer dans les comptes de la société jusqu’à ce qu’Alsthom paye la commission… ».

« Il n’y a pas de convention entre les fondateurs et Westman International Ltd qui devait être relevée pour satisfaire à la loi sur les sociétés ou aux exigences des autorités fiscales… les dépenses ont été encourues pour le compte de Westman International Ltd et non par la société elle-même ».

A l'appui de son recours en annulation de la sentence arbitrale fondé sur l'article 1502-5° « par renvoi de l’article 1504 », la société EGT fait valoir que l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international comme donnant effet :

-à un contrat ayant pour cause et pour objet l’exercice d’un trafic d’influence ou le versement de pots-de vin ;

-à une fraude dont la société Westman « s’est rendue coupable à l’égard tant du tribunal arbitral que de la société  EGT dans le cours  de l’arbitrage… » et qui a « déterminé les arbitres dans le prononcé de la sentence ».

La société EGT a, de plus, sollicité « en tant que de besoin pour le cas où elle n’aurait pas encore été ordonnée », la mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée à son encontre en vertu de la sentence arbitrale ainsi que la condamnation de la société Westman au paiement de la somme de 250 000 F à titre de la dommages-intérêts « pour le préjudice commercial et moral subi ensuite de cette saisie-conservatoire injustifiée ». 

La société Westman a excipé de l’irrecevabilité du recours en annulation pour défaut d’intérêt à agir de la société EGT qui ne justifierait pas d’une subrogation dans les droits de la société Alsthom, ainsi que par application de l’article 24 du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale qui exclurait toute voie de recours et, en tout état de cause, a conclu à son rejet comme mal fondé.

Elle a, de plus, demandé à la Cour de dire n’y avoir lieu à sursis à statuer et à mainlevée de la saisie-conservatoire. page ‘364’

La société EGT s’est opposée aux exceptions d’irrecevabilité soulevées par la société Westman en indiquant que « la société European Gas Turbines SA est la nouvelle raison sociale de la société Alsthom Turbines à Gaz » et en invoquant l’impossibilité , pour les parties, de renoncer au recours prévu par les articles 1502 et 1504 du nouveau Code de procédure civile ». Elle a, de plus, souligné qu’elle ne sollicitait pas un sursis à statuer à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile.

Chacune des parties a, de plus, demandé l’application, à son profit de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

-Sur la recevabilité du recours en annulation :

Considérant qu’il résulte du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 1991 de la société Alsthom Turbines à Gaz SA (produit aux débats) que la dénomination sociale « Alsthom Turbines à Gaz » a été remplacée par celle de European Gas Turbines SA ;

Considérant que les dispositions de l’article 24 du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, aux termes desquelles les parties « renoncent à toutes voies de recours auxquelles elles peuvent renoncer », ne concerne pas le recours en annulation que les parties n’ont pas le pouvoir d’exclure.

Considérant que les exceptions d’irrecevabilité soulevée par la société Westman étant ainsi inopérantes, le recours en annulation doit être déclaré recevable ;

-Sur le recours en annulation :

1er moyen de nullité : contrariété de la sentence arbitrale à l’ordre public français et à ordre public réellement international en ce que son exécution en France aurait pour conséquence de donner effet à un contrat illicite par sa cause et son objet qui sont l’exercice d’un trafic d’influence ou le versement de pots-de-vin ;

Considérant qu’après avoir énoncé qu’elle a estimé opportun de conclure le contrat du 11 décembre 1985 car elle « ne coulait... pas courir le risque d’écarter en l’état la société Westman dans l’ignorance où elle se trouvait alors de l’influence que pouvait avoir cette société sur les personnalités appelées à attribuer le marché qu’elle briguait » (conclusions du 17 septembre 1992, page 2), la société EGT invoque, pour l’essentiel, les arguments suivants :

 -la conclusion d’un « contrat de trafic d’influence ou de pots de vin », qui, selon le droit français (articles 6, 1131, 1133 du Code civil) est nul pour l’immoralité ou illicéité de sa cause ou de son objet, est contraire à l’ordre public français ainsi qu’à « la moralité dans les affaires internationales au point que cette prohibition est tenue pour un principe général du droit » ;

-les qualifications retenues et les appréciations émises par le tribunal arbitral ne s’imposent pas à la Cour qui dispose du pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments du moyen nullité invoqué ;

-la nature réelle du contrat du 11 décembre 1985 ne peut être déterminée que par une « accumulation » de présomptions ou d’indices et ceux soumis à l’appréciation des arbitres et récapitulés dans ses conclusions du 17 septembre 1992 (inutilité de l’intervention d’in intermédiaire pour « une page ‘365’ procédure d’adjudication sur appel d’offres », caractère « évasif » des dispositions contractuelles quant aux « prestations à fournir » par la société Westman, expressions employées dans les « notes internes » adressées par le « Bureau » de Téhéran de la société Westman au siège de cette société à Londres, absence de relations établies par la société Westman entre la société Alsthom et le maître de l’ouvrage, absence de compte rendu d’activité, de demande de « documents de travail » destinés à l’information du maître de l’ouvrage, de courrier échangé entre la société Westman et ce dernier, conditions auxquelles est subordonné le paiement de la commission et le mode de calcul de celle-ci, versement de la commission et le mode de calcul de celle-ci, versement de la commission sur un « compte numéroté en Suisse ») démontrent, selon elle, une absence « effective et ostensible » de la société Westman ;

-les documents précités concernant l’activité de la société Westman, établis, par « Touche et Ross », experts-comptables, à partir des éléments du registre des sociétés (« Companies House ») de Londres et par elle produits dans le cadre du présent recours en annulation révèlent également une « inactivité complète » de cette société ;

-l’absence totale d’activité de la société Westman démontre le caractère « nécessairement illicite des prestations envisagées par (cette) société, puisqu’elles ne correspondaient à aucun travail effectif et ostensible » et, partant, la nature réelle du contrat qui consiste en un « contrat de trafic d’influence ou de pots-de-vin » ;

-l’établissement et la production devant le tribunal de l’état détaillé des frais et de ses annexes précités, qui constituent de « fausses attestations », visaient à « justifier auprès du tribunal arbitral une activité factice destinée à dissimuler un trafic d’influence qu’elle (société Westman) cherchait à faire rémunérer » ;

Considérant que la société Westman fait état, pour l’essentiel, des motifs adoptés par les arbitres pour retenir la validité du contrat du 11 décembre 1985 (conclusions du 30 octobre 1992). Dans ses conclusions postérieures, elle énonce que, si les dépenses mentionnées dans l’état de frais et ses annexes remis par elle au tribunal arbitral ne figurent pas dans ses « comptes » déposés au registre du commerce de Londres, c’est parce que ces dépenses « ont été supportées directement par (ses) actionnaires » auxquels elle les remboursera après « récupération » du montant de sa commission, de sorte que lesdites dépenses, effectuées « pour son compte par des tiers… n’ont pas été comptabilisées comme dette de la société » ;

Considérant qu’elle souligne en outre que la plainte avec constitution de partie civile, qui « ne fait que réitérer les allégations fausses, erronées et mensongères de la demanderesse (telle que résultant de ses écritures devant la Cour) n’apporte pas la preuve du caractère illicite du contrat rendant impossible l’exécution de la sentence arbitrale » ;

Considérant qu’en droit français, la corruption (hormis le droit fiscal où, dans les relations commerciales internationales, il existe pour des raisons propres à cette matière, une certaine tolérance) est sanctionnée, pénalement (qu’elle soit passive ou active : article 177 et suivants du Code pénal) et, sur le plan civil, les contrats tendant à la corruption ou au trafic d’influence sont annulés pour immoralité ou illicéité de la cause ou de l’objet (article 1133 du Code civil) si le but immoral ou illicite est connu des parties et donnent lieu à application de l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans ;

Considérant que la connaissance par les parties du but immoral ou illicite du contrat, exigée par la jurisprudence, n’est pas destinée (quelles qu’en page ‘366’ soient les conséquences concrètes) à amoindrir la rigueur de la sanction de la nullité mais, au contraire, à la renforcer en protégeant le co-contractant qui n’a rien à se reprocher dans la conclusion du contrat et l’application de l’adage précité vise à faire obstacle à l’exécution d’un contrat immoral ou illicite en ôtant toute sécurité à la partie qui l’a exécuté la première ;

Considérant qu’un contrat ayant pour cause et pour objet l’exercice d’un trafic d’influence par le versement de pots-de-vin est, en conséquence, contraire à l’ordre public international français ainsi qu’à l’éthique des affaires internationales telle que conçue par la plus grande partie des Etats de la communauté internationale ;

Considérant que le pouvoir reconnu, en matière d’arbitrage international, à l’arbitre d’apprécier la licéité d’un contrat au regard des règles relevant de l’ordre public international et d’en sanctionner l’illicéité en prononçant en particulier sa nullité, implique, dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur la contrariété de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence arbitrale à l’ordre public international (article 1502-5° du nouveau Code de procédure civile), un contrôle de la sentence, par le juge de l’annulation, portant en droit et en fait sur tous les éléments permettant notamment de justifier l’application ou non de la règle d’ordre public international et dans l’affirmative, d’apprécier, au regard de celle-ci, la licéité du contrat ;  


Qu’en décider autrement aboutirait, en effet, à priver le contrôle du juge de toute efficacité et, partant, de sa raison d’être ;

Considérant que le tribunal a, à juste titre, retenu qu’il ne résulte pas de l’analyse intrinsèque des dispositions du contrat du 11 décembre 1985 que la société Westman « ait dû exercer une influence auprès de NPC (maître de l’ouvrage) pour obtenir la préqualification » (sentence page 23), constatation qui ne fait, d’ailleurs, l’objet d’aucune contestation des parties ;

Considérant que les indices précités invoquées par la société EGT dans le cadre de l’instance arbitrale ne permettent pas d’induire avec certitude une absence d’activité de la société Westman et, encore moins, l’illicéité du contrat du 11 décembre 1985 comme ayant pour but ou pour objet l’exercice d’un trafic d’influence ou le versement de pots-de-vin ;

Considérant, en effet, que compte tenu notamment de sa connaissance revendiquée des usages locaux pour une « préqualification » destinée à sélectionner, en fonction de critères n’apparaissant pas définis avec sa précision, les entreprises admises à participer à la procédure d’appel d’offres, la mission de courtier attribuée par les dispositions du contrat à la société Westman, puis, eu égard à l’importance et à la complexité du marché, celle de conseil pour la soumission de l’offre et d’assistance technique pour l’execution du contrat ne peuvent être regardées comme dénuées de toute utilité ;

Considérant que le caractère prétendument « évasif » des dispositions contractuelles définissant les « prestations à fournir par la société Westman en vue de la préqualification de la société Alsthom » (« assurer la promotion des turbines à gaz d’Alsthom ») ne saurait interprété comme traduisant l’intention de cette société de dissimuler un contrat de trafic d’influence ou de pots-de-vin, alors que, selon les constations non contestées des arbitres (sentence page 2), la société Alsthom est la rédactrice (hormis « trois modifications mineures ») du contrat du 11 décembre 1985 ;

Considérant que les expressions contenues dans les « notes internes » précitées (notamment « nos amis du projet ») – dont l’authenticité est page ‘367’ d’ailleurs contestée par la société EGT – ne mettent pas en évidence, en l’absence de précision, des agissements concrets pouvant être qualifiés de trafic d’influence ;

Considérant que le tribunal arbitral a, en outre, à juste titre relevé :  

-que, dans le cadre de la mission de promotion de la société Alsthom pour la « préqualification », le contrat du 11 décembre 1985 « ne prévoyait pas que Westman ait à rendre compte de sa mission à Alsthom » (sentence page 31) ;  

-que la lettre du 9 juillet 1987, adressée par le maître de l’ouvrage à la société Alsthom aux fins précitées faisait apparaître « un rapprochement » de ces deux sociétés en vue de la « préqualification » d’Alsthom (ibidem p. 31) ;

-et que la société Alsthom n’avait fait aucun reproche à la société Westman en ce qui concerne l’exécution de sa mission de courtier en vue de la « préqualification » (ibidem p. 33) ;

Considérant que la stipulation d’une rémunération des prestations de service sous la condition du succès de celles-ci ne peut être considérée comme de nature à caractériser un « contrat de trafic d’influence ou de pots-de-vin » dès lors qu’il n’est ni démontre ni même prétendu que cette stipulation ne correspond pas à un usage courant en matière de contrat international de courtage ;

Considérant que l’existence d’un compte en Suisse sur lequel la société Westman a demandé que lui soit versée la commission (lettre de son conseil du 23 mai 1989) ne peut, de même, établir le but et l’objet prétendument illicites du contrat ;

Considérant que les dispositions du contrat, qui subordonnent à la préqualification d’Alsthom le droit de la société Westman au paiement d’une commission qui englobe notamment « les dépenses de toute nature » exposées pour l’accomplissement de sa mission, sont, de plus, peu compatibles avec le dessein qui lui est imputé d’avoir dissimulé, sous une mission de courtier pour la « préqualification » telle que prévue au contrat, un contrat de pots-de-vin alors qu’elle n’aurait pu obtenir, en cas de non-préqualification, le remboursement des pots-de-vin qu’elle aurait versés ;

Considérant, en revanche, que les documents produits dans le cadre du présent recours en annulation (ceux établis à la demande de la société EGT à partir des « compte » de la société Westman déposés au registre du commerce (« Companies House ») de Londres et ceux émanant du commissaire aux comptes de cette dernière société) et dont la teneur a été ci-dessus exposée ainsi que les déclarations précitées de la société Westman contenues dans ses conclusions des 7 avril et 6 mai 1993 révèlent que cette dernière n’a engagé aucune des dépenses qu’elle a certifiées avoir faites et, partant, n’a effectué elle-même aucune prestation en exécution du contrat du 11 décembre 1985 ;

Considérant, en outre, que la société Westman ne justifie, en l’état, ni d’un engagement de sa part de prendre en charge les dépenses qu’auraient exposées personnellement des actionnaires au titre du contrat du 11 décembre 1985 ni même d’un règlement, par ces derniers de telles dépenses ;

Considérant, cependant, que l’inexécution (telle qu’elle ressort en l’état des éléments du dossier), par la société Westman de son obligation contractuelle de promotion des turbines à gaz en vue de la « préqualification d’Alsthom » page ‘368’ et la dissimulation de cette absence d’activité par la production d’un état de frais fallacieux dans le cadre de l’instance arbitrale n’impliquent pas nécessairement que, sous couvert d’un contrat de courtage et d’entreprise, le contrat du 11 décembre 1985 était, en réalité selon la volonté commune des parties ou dans l’intention de l’une d’entre elles, la société Westman, un contrat ayant pour cause et pour objet l’exercice d’un trafic d’influence ou de pots-de-vin ;

Considérant qu’il s’ensuit d’une part, qu’après avoir procédé à une analyse des dispositions du contrat et des indices invoqués par la société EGT au cours de l’instance arbitrale, le tribunal a, à juste titre, retenu que le contrat ne pouvait recevoir une telle qualification et d’autre part que les documents susmentionnés produits dans le cadre du présent recours en annulation ne sont pas de nature à avoir une incidence sur cette appréciation du tribunal arbitral ;

Que le moyen de nullité de la sentence tiré d’une contrariété à l’ordre public international pour l’illicéité du contrat du 11 décembre 1985 comme constituant un contrat de trafic d’influence et de pots-de-vin doit donc être rejetée ;

2ème moyen de nullité : contrariété de la sentence arbitrale à l’ordre public international en ce que son exécution aboutirait à consacrer une fraude commise par la société Westman dans la procédure arbitrale ;  

Considérant que la société EGT soutient que la société Westman s’est rendue coupable d’une telle fraude en ayant remis au tribunal arbitral un était détaillé de frais certifiant qu’elle les avait supportés dans l’exercice de sa mission alors qu’elle n’avait exposé aucun de ces frais et que cette fraude a eu « une nécessaire influence » sur la décision du tribunal arbitral, non seulement sur l’évaluation du montant de la commission mais sur l’appréciation de l’activité réelle de la société Westman car, « en l’absence de tous frais, le tribunal arbitral était nécessairement conduit à reconnaître que le contrat considéré ne pouvait être qualifié que de contrat de pots-de-vin » (conclusions du 17 avril 1993 page 4) ;  

Considérant que la société Westman conteste avoir « cherché à tromper » le tribunal arbitral en faisant valoir que l’état de frais par elle produit comporte la mention suivante ; « le niveau de la commission dans ce type d’activité est spéculatif et n’est pas calculé ou déterminé en fonction des dépenses » et dénie, en tout état de cause, toute influence de la fraude alléguée sur la décision du tribunal arbitral dès lors que celui-ci a apprécié « l’exécution du contrat… au regard de l’ensemble des pièces fournies par les parties et des mémoires échangés » et a retenu que, « en l’espèce Alsthom ayant été préqualifié, Westman était présumé avoir rempli ses obligations quant à la promotion des turbines à gaz d’Alsthom en vue de sa préqualification » ;

Considérant qu’en ayant procédé à la réouverture des débats pour demander à la société Westman de produire un état de ses frais – bien que ce document, émanant d’une des parties, fût en lui-même dépourvu de force probante - , le tribunal arbitral a manifesté l’importance particulière qu’il entendait accorder à celui-ci ;

Considérant, dans ces conditions, que l’établissement et la remise, par la société Westman, d’un état de frais à dessein erroné pour faire croire faussement qu’elle avait supporté personnellement des dépenses d’un montant page ‘369’ élevé pour l’exécution de sa mission prévue par le contrat du 11 décembre 1985 constitue une fraude et non une simple habileté ;  

Considérant que, si, en l’absence, pour les raisons précitées, de tout autre élément suffisamment probant, cette fraude de permet pas en elle-même d’induire avec certitude l’existence d’un constat de trafic d’influence ou de pots-de-vin, il résulte des énonciations mêmes de la sentence arbitrale (« compte tenu des informations chiffrée produites par Westman… » page 35) que le tribunal arbitral a pris en considération l’état de frais volontairement erroné pour déterminer le montant de la commission qu’il a estimé dû à la société Westman ;

Considérant, en outre, que cette fraude – qui révèle ainsi que la société Westman n’a exposé en l’état aucune des dépenses par elle invoquées pour justifier l’exécution de son obligation contractuelle de promotion d’Alsthom en vue de la « préqualification » et le droit corrélatif au paiement d’une commission – est propre à faire écarter la présomption simple d’exécution du contrat tirée par Tribunal arbitral de la « préqualification d’Alsthom » (sentence pages 29 et 33) et même à entraîner un défaut de  qualité de la société Westman pour demander, sur le fondement de l’article 4 du contrat, le remboursement de dépenses importantes qu’elles n’a pas, elle-même, supportées ;

Considérant que la fraude commise par la société Westman dans la procédure arbitrale, qui a influé sur l’évaluation, par les arbitres, du montant de la commission, est également de nature à avoir une incidence sur l’appréciation de l’existence du droit de cette société au paiement d’une telle commission ;

Considérant qu’à l’exception de celles axant constaté l’existence d’ « un contrat entre les parties pour l’obtention d’un marché de fourniture de turbines à la National Petrochimical Company (NPC) dans le cadre du projet pétrochimique d’Arak (Iran) », ayant qualifié ce contrat de « contrat sui generis combinant un contrat de courtage et contrat d’entreprise », et ayant décidé que ce contrat est valable, les dispositions de la sentence arbitrale sont, en conséquence, affectées par la fraude commise par la société Westman dans la procédure arbitrale ;

Qu’en application du principe général du droit selon lequel la fraude fait exception à toutes les règles (fraus omnia corrumpit), ces dispositions sont contraires à l’ordre public international français, et, partant, doivent être annulées ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans le cadre du présent recours en annulation, de faire droit à la demande, de mainlevée de la saisie-conservatoire, formée, au surplus « en tant que de besoin pour le cas où elle n’aurait pas encore été ordonnée » ni à la demande subséquente e dommages et intérêts ;

Considérant qu’il convient d’allouer à la société EGT la somme de 30 000 francs en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs :

Déclare recevable le recours en annulation formé par la société EGT contre la sentence arbitrale rendue le 21 mars 1992 page ’370’

Rejette le recours en annulation en tant que fondé sur la contrariété alléguée de l’exécution en France de la sentence arbitrale à l’ordre public international comme donnant effet à un contrat considéré comme ayant pour cause et pour objet l’exercice d’un trafic d’influence ou le versement de pots-de-vin ;

Sur le recours en annulation en tant que fondé sur la contrariété alléguée de l’exécution en France de la sentence arbitrale à l’ordre public international comme consacrant une fraude commise par la société Westman dans la procédure arbitrale, dit ce recours partiellement fondé et annule, en conséquence, pour partie la sentence arbitrale en ce que le tribunal arbitral a décidé :  

-que la société Westman justifiait de « l’exécution de son obligation d’obtention de la préqualification d’Alsthom » ;

-que la société Westman avait été « empêchée par Alsthom d’exécuter ses obligations après la préqualification d’Alsthom » ;

-qu’Alsthom était « tenue au paiement d’une commission de 4 % du montant du marché adjugé par NPC » ainsi qu’en ce qui concerne les condamnations prononcées ;

Condamne la société Westman à payer à la société EGT la somme de 30 000 francs en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

M.BRISSIER, prés. ; Mmes GARBAN, PASCAL, cons. ; BERNARD-CATAT, av. gén. ; MesB. MOREAU, LETTE, av.
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