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Schönle, Herbert, Intérêts Moratoires, Intérêts Compensatoires et Dommages-Intérêts de Retard en Arbitrage International, in: Festschrift Pierre Lalive, Basel, Frankfurt a.M. 1993, at 649 et seq.

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Schönle, Herbert, Intérêts Moratoires, Intérêts Compensatoires et Dommages-Intérêts de Retard en Arbitrage International, in: Festschrift Pierre Lalive, Basel, Frankfurt a.M. 1993, at 649 et seq.
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Intérêts moratoires, intérêts compensatoires et dommages-intérêts de retard en arbitrage international

HERBERT SCHÖNLE*

I. Introduction

Une certaine insécurité juridique règne en arbitrage international au sujet de questions liées à l'allocation d'intérêts moratoires, d'intérêts compensatoires et de dommages-intérêts de retard: "on ne peut s'empêcher de constater un certain flottement" concernant "l'attitude des arbitres du commerce international à l'égard des moyens dont dispose le créancier d'une somme d'argent pour obtenir réparation du préjudice que l'absence ou le retard dans le paiement lui fait. supporter".1

Les difficultés proviennent du fait que les intérêts moratoires, les intérêts compensatoires et les dommages-intérêts de retard sont tous destinés à indemniser un créancier de l'absence, pendant un certain temps, des fonds qui lui sont dus, mais à des conditions et avec des conséquences différentes et en partie controversées. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure les trois moyens d'indemnisation se chevauchent et se complètent ou s'excluent. Des solutions justes, conformes au droit et aux besoins du commerce international, nécessitent notamment une clarification de leurs notions et fonctions respectives.

Les intérêts moratoires ont trait à des dettes d'argent, libellées en monnaie du pays ou en monnaie étrangère.2 Ils compensent d'une manière forfaitaire, indépendamment du dommage effectivement subi et indépendamment d'une faute du débiteur, la privation du créancier d'une somme d'argent pendant la demeure du débiteur, et ceci en fonction d'un 650 pourcentage du montant de la dette et de la durée de la demeure. Ils courent du début à la fin de la demeure.3

Les intérêts compensatoires ("Schadenszinsen"), en principe non réglés spécialement par les législations, mais reconnus en jurisprudence et doctrine,4 se rapportent à une responsabilité précontractuelle, contractuelle ou extra-contractuelle de l'auteur d'un dommage. Ils présupposent que le responsable doit réparer partiellement ou totalement le dommage causé et que l'indemnisation se fait en argent.5 Ils correspondent à cette partie du dommage que le lésé subit du fait que les dommages-intérêts ne sont pas payés au moment même de la survenance du dommage, mais plus tard, après une période plus ou moins longue. Ils visent à remettre le lésé dans la situation patrimoniale qui aurait été la sienne si la réparation du dommage avait eu lieu immédiatement. Le lésé est dédommagé du fait qu'entre la survenance du dommage et sa réparation il a été privé des fonds nécessaires à la couverture du dommage. Les intérêts compensatoires s'expriment en fonction d'un pourcentage du dommage à réparer et du laps de temps qui s'écoule entre sa survenance et la réparation.6

A l'instar des intérêts moratoires, les dommages-intérêts de retard, appelés aussi dommages-intérêts moratoires ou dommages-intérêts compensatoires,7 sont destinés à compenser la privation du créancier d'une somme d'argent du début à la fin de la demeure du débiteur. A la différence des intérêts moratoires, cette compensation ne se fait pas d'une manière forfaitaire et exige la faute du débiteur. En droit suisse, la faute est présumée par la loi (art. 106 al. 1 CO). Les dommages-intérêts de retard sont censés réparer le dommage exact que le créancier a subi par suite du retard. Comme les intérêts moratoires, les dommages-intérêts de retard sont exprimés en pourcentage du montant de la dette d'argent. Ce pourcentage représente le dommage causé au créancier par l'absence des fonds pendant la demeure.

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Les dommages-intérêts de retard se rapprochent des intérêts compensatoires. Comme eux, ils sont censés réparer d'une manière exacte le dommage causé par l'absence temporaire de moyens financiers. Mais à la différence des intérêts compensatoires, ils ont d'emblée trait à une dette d'argent et non à une obligation de réparer un dommage. En conséquence, ils ne sont dus qu'à partir du début de la demeure de payer une somme d'argent, et non à partir de la survenance d'un dommage.

Les incertitudes juridiques, ambiguïtés et confusions résultent donc principalement du chevauchement des trois moyens d'indemnisation d'un créancier pour l'absence temporaire des fonds auxquels il a droit. En ce qui concerne les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires, il convient de comparer notamment les périodes pendant lesquelles les intérêts sont dus (infra II) et les taux applicables (infra III). Au surplus, ce sont les intérêts composés qui méritent une attention particulière (infra IV).

Quant aux dommages-intérêts de retard, il sied de déterminer les exigences de preuve quant au calcul concret du dommage (infra V), de décider dans quelle mesure le calcul abstrait peut être admis (infra VI), de dire si l'action en réparation du dommage de retard peut ou ne peut pas être cumulée avec la créance en intérêts moratoires et en intérêts compensatoires (infra VII) et notamment dans quelle mesure le cumul entre indemnité pour perte de change et intérêts moratoires ou compensatoires est possible (infra VIII).

II. La durée de l'obligation de payer des intérêts moratoires et des intérêts compensatoires

Alors que les intérêts moratoires courent du début à la fin de la demeure du débiteur d'une somme d'argent, les intérêts compensatoires couvrent la période entre la survenance d'un dommage et le moment de sa réparation. La sentence arbitrale est censée respecter les modalités de cette différence.

1. Durée des intérêts moratoires

La demeure intervient au plus tard au moment de l'introduction de la demande en arbitrage. Celle-ci manifeste clairement la volonté du créancier de recevoir la prestation due. En droit suisse, selon les art. 102 et 104 al. 1 CO, l'obligation de payer des intérêts moratoires ne présuppose que l'inexécution injustifiée d'une dette d'argent exigible et l'interpellation du débiteur ou l'expiration d'un délai comminatoire convenu. La demande d'arbitrage comporte l'invitation faite au débiteur d'exécuter sa prestation. En conséquence, elle équivaut à l'interpellation au sens de l'art.102 al.1 CO pour la mise en demeure, si le créancier n'a pas déjà adressé préalablement cette interpellation au débiteur.

Il arrive fréquemment que la créance ne soit initialement pas précisée dans tous les détails. Son montant exact peut dépendre d'une expertise réalisée en cours de procédure. Cela ne prive pas l'interpellation (ou son équivalent, l'introduction de la demande d'arbitrage) de son effet juridique, à condition que le débiteur puisse reconnaître quelle prestation lui est 652 demandée.8 Il en est de même lorsque la demande d'arbitrage porte sur un montant supérieur à celui que la sentence attribue finalement au demandeur.9

Bien entendu, si la demande d'arbitrage ou l'interpellation préalable ne se rapporte qu'à une partie de la créance, les intérêts moratoires concernant le solde ne commencent à courir qu'à partir de la présentation de la demande additionnelle.10 En outre, aussi longtemps que le demandeur ne peut pas ou ne veut pas identifier sa réclamation d'une manière reconnaissable pour le défendeur, les conditions de la demeure et, par là, d'une réclamation en paiement d'intérêts moratoires ne sont pas réalisées. La situation est la même tant que le refus du débiteur de payer la somme demandée se justifie. C'est le cas aussi longtemps que le débiteur dispose de l'exceptio non adimpleti contractus (p.ex. en droit suisse selon les art. 82, 184 al. 2 et 213 CO) ou que le créancier se trouve en demeure d'acceptation (p.ex. au sens des art. 91 ss CO, en omettant d'accomplir les actes préparatoires qui lui incombent).

L'obligation de payer des intérêts moratoires prend fin au moment du paiement tardif de la dette d'argent ou au moment où la dette s'éteint pour une autre raison, par exemple par compensation, novation ou renonciation à l'exécution. Si le droit applicable le permet en cas de demeure (comme le droit suisse selon les art. 107 al. 2 et 215 CO), le créancier peut notamment renoncer à l'exécution dans le but de se libérer de l'obligation de fournir sa propre contre-prestation et de réclamer des dommages-intérêts positifs pour inexécution selon la "théorie de la différence". Selon les art. 64, 75 et 76 de la Convention de Vienne des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, du 11 avril 1980 (ci-après CV, entrée en vigueur en Suisse le 1er mars 1991), le vendeur peut même, sous certaines conditions, résoudre le contrat et néanmoins demander des dommages-intérêts "égaux à la perte subie et au gain manqué". Seule l'ouverture de la faillite, et non le jugement en exécution, arrête selon la plupart des législations l'obligation de payer des intérêts moratoires avant l'extinction de la dette (en Suisse selon l'art. 209 LP, de même que la délivrance d'un acte de défaut de biens après saisie, selon l'art. 149;al. 4 LP).

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On a constaté que certains arbitres hésitent à tord à attribuer des intérêts moratoires au-delà de la notification de la sentence.11 Si l'on tient compte du but des intérêts moratoires, rien ne s'oppose à ce que la sentence oblige le débiteur d'une somme d'argent à payer des intérêts moratoires au taux conventionnel ou légal au-delà de la notification de la sentence, à savoir jusqu'au parfait paiement du montant dû en capital.

2. Durée des intérêts compensatoires

Si l'objet du litige n'est pas une créance d'argent, mais le droit à la réparation d'un dommage, et si la sentence constate une responsabilité précontractuelle, contractuelle ou extra-contractuelle de l'auteur du dommage, l'obligation de payer des intérêts sur le montant des dommages-intérêts alloués commence en principe dès la survenance du dommage, soit avant toute interpellation ou introduction de la demande en arbitrage. La raison en est que la diminution involontaire du patrimoine causée au lésé par l'acte dommageable comprend aussi le dommage qui résulte pour lui du fait que depuis la survenance du dommage jusqu'à sa réparation il ne dispose pas des fonds qui sont destinés à compenser son préjudice.

Le droit aux intérêts compensatoires dépend non seulement de la réalisation des conditions posées par le type de responsabilité en question, mais encore de la preuve de cette partie du dommage qui résulte de la privation temporaire du lésé des fonds destinés à la réparation. Le créancier doit ainsi prouver qu'il a dû engager des frais financiers pour combler l'absence des montants qui lui dont dus, ou encore qu'il aurait pu placer de façon profitable ces fonds s'il les avait eus à sa disposition. Les problèmes concernant la preuve de ce dommage correspondent exactement à ceux qui se posent quant au calcul des dommages-intérêts pour retard lorsque le débiteur d'une somme d'argent est en demeure de paiement (infra V et VI).

Si le dommage est évolutif et n'a pas encore atteint son montant définitif avant l'introduction de la demande en arbitrage, les intérêts compensatoires ne peuvent pas commencer à courir en ce qui concerne la totalité du dommage. Les différentes parties du dommage portent alors intérêts compensatoires seulement à partir des moments auxquels elles se concrétisent. Ce n'est qu'à partir de ces moments échelonnés que le lésé supporte les inconvénients financiers lies à l'absence des montants auxquels il a droit en vertu de la responsabilité civile ou contractuelle de l'auteur du dommage.

Dans la mesure où les intérêts compensatoires commencent à courir avant l'introduction de la demande d'arbitrage, le responsable se trouve en demeure avec leur paiement dès qu'il est interpellé ou dès que la demande est introduite. A partir de ces moments, il y a concours alternatif et complémentaire entre le droit aux intérêts moratoires et le droit aux intérêts compensatoires. Si le taux des intérêts moratoires est inférieur à celui des intérêts compensatoires, les intérêts moratoires sont imputés aux intérêts compensatoires (infra VII). Dans le cas contraire, le responsable reste débiteur des intérêts moratoires. Ceux-ci, fixés forfaitairement par le contrat ou la loi, ne dépendent en effet pas de la preuve d'un dommage 654 déterminé, causé par le retard. Ils sont dus même en l'absence d'un dommage qui atteindrait leur montant.12

Dès le début de la demeure, les intérêts compensatoires coïncident en principe avec les dommages-intérêts de retard dus pendant la demeure du débiteur (en droit suisse selon l'art. 106 CO). Mais le principe souffre d'une exception si le responsable prouve qu'aucune faute ne lui est imputable quant à sa demeure et s'il est engagé en vertu d'une responsabilité civile objective, causale, indépendante de toute faute. Dans ce cas particulier, même si l'absence de faute le libère de l'obligation de payer des dommages-intérêts de retard (p.ex. en vertu de l'art. 106 al. 1 CO), il doit néanmoins des intérêts compensatoires, et ceci en principe sans pouvoir invoquer son absence de faute concernant le retard dans la réparation du dommage. Il est responsable, même sans faute de sa part, de tout dommage causé d'une manière adéquate par le fait qui engage sa responsabilité civile pour risque créé ou pour violation d'une obligation objectivée de diligence. Les intérêts compensatoires se rapportent à une partie de ce dommage. L'absence de faute quant au retard que le responsable a eu dans la réparation du dommage n'est en principe pas apte à interrompre le lien de causalité adéquate entre le fait dommageable initial et le dommage à couvrir par les intérêts compensatoires.

Le problème des intérêts compensatoires à payer depuis la notification de la sentence jusqu'au moment de la réparation du dommage est similaire à celui des dommages-intérêts moratoires dus depuis le jugement jusqu'au moment du paiement de la dette d'argent. La législation nationale applicable indique aux arbitres dans quelle mesure ils peuvent et doivent évaluer d'avance le taux des intérêts en question. Elle précise dans quelles conditions le défendeur doit s'acquitter d'intérêts compensatoires ou de dommages-intérêts de retard également pour la période située entre la notification de la sentence et le paiement définitif de la dette. En droit suisse, les art.106 al. 2, 99 al. 3, 42 al. 2 CO et 4 CC accordent au juge et aux arbitres ce pouvoir d'appréciation. La question se pose dans les mêmes termes que pour un dommage évolutif et futur, non encore fixé avec précision au moment du prononcé de la sentence, mais qui doit néanmoins être estimé définitivement au moment du jugement.13

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III. Le taux applicable aux intérêts moratoires et aux intérêts compensatoires

1. Le taux des intérêts moratoires

Ce taux est déterminé par le droit national applicable. Il s'agit souvent d'un taux fixe, qui diverge sensiblement d'un pays à l'autre. Il est de 4% l'an en Allemagne (§ 288 al.1 BGB), de 5 % en Suisse (art.104 al.1 CO) et de 10 % en Italie (art. 1284 al.1 CC, dans sa nouvelle teneur, en vigueur depuis le 16 décembre 1990).14 Ces différences ne sont guère acceptables dans des pays dont les systèmes économiques sont interdépendants et qui connaissent une parfaite convertibilité de leurs monnaies. Le taux légal fixe perd en outre son sens dans les pays à inflation galopante. Seule une action en dommages-intérêts de retard pour perte de change ou, à la rigueur, pour la seule dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie de paiement pendant la demeure pourrait rétablir quelque peu l'équilibre contractuel rompu (infra VIII).

En matière de vente internationale, l'art. 83 de la Convention de La Haye du 1er juillet 1964 "portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels" avait donné droit au vendeur à des intérêts moratoires à un taux flexible, "égal au taux officiel d'escompte du pays où il a son établissement (...), augmenté de 1 %". Ce principe fut abandonné par la Convention de Vienne, qui ne tranche pas la question, mais la relègue "à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé" (art. 7 al. 2 CV).15 Par ailleurs, l'art. 78 CV (comme sous certaines conditions l'art. 213 al. 2 CO) accorde au vendeur des intérêts dès l'exigibilité du prix, et non seulement à partir de la demeure. L'examen qui suit se limite aux cas dans lesquels le droit suisse s'applique aux taux des intérêts moratoires, soit directement, soit en vertu de l'art. 7 al. 2 CV. Il s'agit de voir dans quelle mesure des principes plus généraux se dégagent, aptes à orienter la démarche des arbitres lors d'un arbitrage commercial international.

Selon l'art. 104 al. 1 CO, le créancier est fondé à réclamer des intérêts moratoires de 5 pour cent l'an, s'il n'a pas droit à un taux plus élevé en vertu du contrat (art. 104 al. 2 CO) ou en vertu de l'art. 104 al. 3 CO. Selon cette dernière disposition, si le "paiement d'une somme d'argent" est dû "entre commerçants", il convient d'appliquer le "taux d'escompte" "tant que l'escompte dans le lieu du paiement est d'un taux supérieur à 5 pour cent". Les termes de cette disposition sont sujets à interprétation.

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L'art.104 al. 3 CO s'applique seulement "entre commerçants". Tel est notamment le cas, selon la jurisprudence et la doctrine, s'il s'agit de dettes entre sociétés commerciales.16 Les corporations et établissements de droit public sont assimilés, en ce qui concerne leurs rapports de droit privé, aux "commerçants" au sens de l'art. 104 al. 3 CO.17 D'après la ratio legis de l'art. 104 al. 3 CO, il convient d'étendre cette analogie même aux Etats et Organisations internationales, dans la mesure où ces entités agissent en tant que maîtres d'ouvrage, mandants, acheteurs etc., donc comme contractants selon le droit privé, et où elles sont soumises au droit privé suisse pour les opérations qu'elles effectuent avec des sociétés commerciales.

L'escompte visé par l'art.104 al. 3 CO ne correspond ni au taux officiel d'escompte de la Banque nationale suisse, ni au taux de l'intérêt des crédits en compte courant demandé par les banques,18 mais au taux de l'escompte privé que les banques facturent "dans le lieu du paiement" (art.104 al. 3 CO) à leurs clients lorsqu'elles escomptent des lettres de change de premier ordre.19

Le "lieu de paiement" n'est pas nécessairement déterminé par la monnaie de paiement convenue et peut parfaitement se trouver à l'étranger. Peu importe qu'il s'agisse d'une dette libellée en monnaie du pays ou en monnaie étrangère, le taux des intérêts moratoires correspond au taux de l'escompte privé en cette monnaie pratiqué au lieu où le débiteur en demeure doit accomplir ses paiements. Il peut par exemple s'agir du siège de la banque auprès de laquelle un crédit documentaire était stipulé réalisable conformément au contrat de vente internationale. En l'absence de dispositions particulières convenues expressément, le lieu de paiement est, selon convention concluante, le siège de la banque auprès de laquelle le créancier entretient son compte courant pour effectuer son trafic de paiements.20 S'il entretient plusieurs comptes à des endroits, voire dans des pays différents, dont le débiteur a le choix à défaut d'une convention expresse ou concluante, c'est le taux le moins élevé des 657 différents lieux qui l'emporte.21 Subsidiairement, "le paiement s'opère dans le lieu où le créancier est domicilié" (art. 74 al. 2 ch.1 CO), même si la monnaie de paiement choisie pair les parties n'y a pas cours légal, éventuellement avec faculté, pour le débiteur, de convertir la dette en monnaie du pays selon l'art. 84 al. 2 CO (cf. infra VIII).

Le taux d'escompte visé part l'art. 104 al. 3 CO correspond en Suisse, pour des dettes libellées en francs suisses, au taux d'escompte privé fixé par l'Association suisse des banquiers à Bâle (ci-après ASB). Jusqu'au 24 février 1991, l'ASB a indiqué ce taux aux banques affiliées comme taux recommandé en fonction de l'accord sur les taux d'intérêts en vigueur sur la place de Zurich ("Zürcher Zinskonvenium"). Depuis la dissolution de cet accord par suite d'une recommandation de la Commission fédérale des cartels, et en vertu d'une décision prise le 14 mars 1991 par le Conseil d'administration de l'ASB, le taux d'escompte privé est fixé par cette Association comme simple taux de référence moyen, calculé sur la base des taux de l'Union de Banques Suisses, de la Société de Banque Suisse, du Crédit Suisse, de la Banque Populaire Suisse et de la Banque Cantonale de Zurich.22

Le taux d'escompte privé que les banques suisses facturent à leurs clients lorsqu'elles escomptent des lettres de change de premier ordre libellées en monnaie étrangère diverge souvent très sensiblement du taux d'escompte privé recommandé ou de référence de l'ASB, pratiqué pour les crédits d'escompte en francs suisses: II diverge aussi d'une banque à l'autre. L'arbitre international, censé appliquer correctement l'art.104 al. 3 C0, se voit ici confronté à une insécurité qui n'est tempérée que par la répartition du fardeau de la preuve. L'existence 658 d'un taux supérieur à 5 % incombe, en effet, selon l'art. 8 CC, au créancier du paiement retardé.23

Les incertitudes que crée ainsi la référence de l'art. 104 al. 3 CO à un taux variable, difficilement décelable, calqué sur un taux qui en réalité n'est ni celui auquel le commun des créanciers peut obtenir un financement de substitution, ni celui auquel il pourrait placer son argent, montre quel intérêt les parties au litige ont à régler au préalable le problème contractuellement. Elles ne sont alors limitées que par l'intérêt maximum admis par le droit impératif (en Suisse par le taux d'intérêt, de frais et de débours de 18 % selon l'art. 1 du Concordat intercantonal réprimant les abus en matière d'intérêt conventionnel du 8 octobre 1957 et selon l'application par analogie de cette disposition dans les cantons qui ne sont pas parties au Concordat).24 Il faut saluer tout accord qui, en écartant le taux légal fixe, forfaitaire et arbitraire de 4, 5 ou 10 % par an (§ 288 al.1 BGB, art.104 al.1 CO, art.1284 al.1 Codice civile), satisfait d'une manière simple les besoins financiers du créancier.

L'art. 190 al. 1, phrase 4, de la "Norme SIA 118, édition 1977" de la Société suisse des ingénieurs et des architectes en fournit un bon exemple: "Le taux d'intérêt déterminant est celui qui est habituellement pratiqué par les banques au lieu du paiement pour les crédits de comptes courants ouverts aux entrepreneurs". Appliquer dans le commerce international, à l'instar de la Norme SIA 118, un taux d'emprunt usuel serait bien plus adéquat que la référence à quelque taux d'escompte privé que ce soit. Le taux d'emprunt pourrait notamment être calculé sur la base du taux d'intérêt interbancaire servant généralement de base pour 659 fixer la rémunération des eurocrédits et pour déterminer les taux d'intérêt variables, à savoir sur la base du "LIBOR", London Interbank Offered Rate, établi chaque jour ouvrable pour des emprunts à diverses échéances d'un à douze mois.25

2. Le taux des intérêts compensatoires

Etant donné que ce taux n'est déterminé expressément ni pair la convention, ni par la loi ou l'usage, certains auteurs estiment que le taux légal fixe devrait s'appliquer. En droit suisse, les intérêts compensatoires seraient, par conséquent, de 5 % l'an, en vertu de l'art. 73 al. 1 CO.26

Cette opinion méconnaît le fait que les intérêts compensatoires sont destinés à réparer le dommage supplémentaire que le lésé subit en n'obtenant pas réparation du dommage au moment même de sa survenance, mais ultérieurement, et qu'il est donc privé des fonds nécessaires à la couverture du dommage jusqu'au moment de sa réparation. En réalité, le taux des intérêts compensatoires se calcule de la même façon et dans les mêmes conditions de preuve concrète ou abstraite du dommage, que les dommages-intérêts de retard en cas de demeure (infra V et VI). C'est donc à juste titre que le Tribunal fédéral s'est opposé en 1945, 1948 et 1952 déjà à l'application d'un taux "schématique" de 5 % et qu'il a alloué également plus tard des intérêts compensatoires "d'après l'état actuel du marché monétaire".27

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IV. Les intérêts composés

Les divergences constatées dans la jurisprudence arbitrale internationale au sujet de l'allocation d'intérêts composés28 résultent seulement en partie des différences commandées par le droit de fonds applicable. En principe, les intérêts moratoires échus ne portent pas intérêts moratoires.29

Ces restrictions apportées par beaucoup de pays à l'anatocisme (par exemple en Suisse par l'art. 105 CO, en France par les art. 1154 s. CC, en Allemagne par les §§ 248 s. BGB et 335 HGB, en Autriche par le § 1335 ABGB et en Italie par les art. 1282 s. CC) protègent le débiteur contre une augmentation exponentielle de sa dette. Ces restrictions n'empêchent pas que les intérêts compensatoires en cas d'action en réparation d'un dommage, et les dommages-intérêts pour retard en cas de demeure d'un débiteur avec le paiement d'une somme d'argent, puissent comprendre les intérêts composés. Souvent le créancier a dû payer des intérêts composés pour obtenir son crédit en compte courant. Car si en matière d'intérêts moratoires l'anatocisme est restreint, en matière de prêt selon les usages bancaires et en cas d'arrêté de compte courant comportant novation il peut en général être valablement convenu (en Suisse conformément aux art. 314 al. 3 et 117 CO). Les intérêts compensatoires et les dommages-intérêts moratoires calculés concrètement correspondent alors aux frais financiers effectivement encourus (infra V).

Autre hypothèse: le créancier, par exemple une banque, aurait pu placer ses fonds, s'il n'en n'avait pas été privé, aux taux interbancaires usuels, soit au jour le jour, soit à terme, et de façon à ce que les intérêts soient ajoutés au capital pour être reportés sur le nouveau compte à des intervalles réguliers (annuels, trimestriels, mensuels, voire quotidiens). Après avoir été ajoutés au capital initial, ces intérêts auraient alors à leur tour porté des fruits. Les intérêts compensatoires et les dommages-intérêts de retard calculés d'une manière abstraite (infra VI) correspondent à ces intérêts composés que le créancier n'a pas pu obtenir.

Dans la mesure où un créancier a droit aux intérêts compensatoires en cas de responsabilité civile ou contractuelle, ou aux dommages-intérêts moratoires en cas de demeure avec le paiement d'une somme d'argent, rien ne s'oppose à ce que le débiteur l'indemnise du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de l'absence des montants qui lui sont dus. Les sentences arbitrales qui se réfèrent aux restrictions apportées par le droit national à l'anatocisme pour refuser à ce créancier la réparation du damnum emergens ou du lucrum cessans causés par la privation d'un capital portant intérêts composés, confondent les fonctions des intérêts moratoires, d'une part, et des intérêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard, d'autre part.

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V. Le calcul concret des intérêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard

A la différence des intérêts moratoires (supra II.1), les intérêts compensatoires et les dommages-intérêts de retard ne sont dus que dans la mesure où le créancier prouve un dommage résultant de la privation du capital auquel il a droit. Ce dommage comprend toutes les diminutions involontaires du patrimoine causées d'une manière adéquate par l'absence des fonds en question. Il comprend les pertes effectives et les gains manqués. Il inclut notamment les prestations que le créancier a dû faire à un tiers, par exemple à une banque, pour remplacer temporairement le paiement de la dette.30 Les frais financiers engagés par le créancier pour obtenir des crédits à concurrence de ces montants peuvent comporter des intérêts composés. L'obligation de les rembourser à titre de dommages-intérêts n'est pas affectée par ce fait (supra IV).

Le créancier a cependant le fardeau de la preuve du dommage.31 Il lui incombe par exemple de prouver qu'il a emprunté effectivement les montants pour lesquels il demande des intérêts compensatoires ou des dommages-intérêts de retard, à quel taux il les a empruntés et pendant quel laps de temps. Le rapport de causalité entre son emprunt (le cas échéant supplémentaire) et la privation des fonds par le débiteur correspond au cours ordinaire des choses et ne nécessite pas une preuve spéciale. En revanche, le créancier doit prouver que le taux auquel il a emprunté de l'argent dépasse celui des intérêts moratoires s'il ne veut pas limiter sa prétention à ceux-ci. Il prouve son dommage par tous les moyens adéquats, par exemple par des attestations bancaires, la production de sa comptabilité ou par une expertise comptable.

En principe un tribunal arbitral ne peut pas renoncer à demander la preuve du dommage et estimer celui-ci lui-même. Il ne le peut que "si le préjudice est d'une nature telle qu'il est impossible de l'établir, ou si les preuves nécessaires font défaut, ou encore si l'administration des preuves ne peut pas être exigée du demandeur".32 Si tel est le cas, les arbitres se contenteront de la preuve des faits qui permettent de conclure à l'existence d'un dommage et qui rendent possible ou facilitent son estimation.33

En matière d'arbitrage commercial international, au vu des circonstances du cas d'espèce, il peut souvent apparaître normal de supposer que le créancier s'est trouvé dans la nécessité de recourir à des emprunts bancaires pour pallier les conséquences de la privation des fonds qui lui sont dus et, le cas échéant, qu'il aurait fait fructifier s'il les avait eus à disposition à temps. Le taux usuel des intérêts sur découvert à supporter par un emprunteur, qui détermine 662 les frais financiers du créancier et, par là, son dommage, peut résulter des usages locaux et des règles d'expérience, de même que les taux auxquels les fonds auraient pu être placés. Les arbitres peuvent-ils alors admettre les montants empruntés et le taux des dommages-intérêts comme des faits notoires, qu'il est inutile de soumettre à une procédure probatoire?

La question s'apparente à celle du pouvoir d'appréciation des preuves dont jouissent les arbitres. "Les législations modernes, en Suisse et en droit comparé, se rangent au système de la preuve morale et, sous réserve de certaines exceptions, laissent au juge la liberté d'appréciation des preuves. L'intime conviction permet au juge de baser sa décision sur tous les éléments qui se dégagent des débats, et notamment de prendre en considération l'attitude des parties au cours du procès".34 Le juge appréciera librement, selon sa conviction intime, la valeur probante des moyens de preuve. Le principe de la libre appréciation des preuves permet au juge notamment de décider "à l'aide de quels moyens de preuve il doit former sa conviction [et] comment il doit apprécier les preuves administrées".35 Parfois, si les lois de procédure ne l'excluent pas, il peut même admettre, comme preuve d'un fait contesté, les dépositions que la partie ayant le fardeau de la preuve a faites en sa propre faveur.36

En matière de libre appréciation des preuves portant sur le montant du dommage, il convient d'appliquer les principes qui, en droit suisse, régissent la fixation du dommage en vertu de l'art. 42 al.2 CO. Selon cette norme, "lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée".37 Ce que l'art. 42 al. 2 CO dispose au sujet de la détermination équitable du montant du dommage lorsque le montant exact ne peut être établi (ou lorsque l'administration des preuves ne peut pas être exigée du demandeur)38 n'est pas limité à la fixation d'un dommage, mais gouverne tout rapport de cause à effet lorsque la preuve directe n'est pas possible ou ne peut pas être exigée du demandeur. Le juge se basera alors sur les indices qui lui permettent une estimation approximative et l'établissement de la probabilité prépondérante du fait à retenir. La preuve d'une probabilité prépondérante est admissible au sujet de tous les faits fondant une prétention, tant que la loi ne dispose pas le 663 contraire.39 Est notamment compatible avec l'art. 42 al. 2 CO, la fixation du dommage entre un maximum et un minimum lorsque des indices ont été fournis en vertu desquels le dommage se situe dans la fourchette indiquée.40

"L'appréciation du montant du dommage dans une action en dommages-intérêts est en général l'occasion d'étendre encore la liberté du juge (cf. par exemple Genève art.194 LPC): dans tous les cas où le montant du préjudice ne saurait être déterminé d'une manière exacte, il ne sera pas tenu d'ordonner des mesures probatoires pour en déterminer le montant et statuera selon sa conviction personnelle (comp. RO 54 II 192 = JT 1929 p. 25)".41 Il n'est ainsi pas exclu qu'exceptionnellement, lorsqu'il paraît établi que le créancier ne disposait pas, sans les emprunter, des liquidités nécessaires pour compenser les montants dus par le débiteur, ou qu'il les aurait placés à titre lucratif, l'arbitre puisse déterminer le dommage approximativement, "en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée" (art. 42 al. 2 CO; art.106 al. 2 CO pour le dommage futur), comme le fait depuis nombre d'années la jurisprudence allemande en matière bancaire.42 Une telle jurisprudence quitte le domaine du calcul concret du dommage pour se contenter d'un calcul abstrait.

VI. Le calcul abstrait des intérêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard

En principe, le dommage causé au créancier d'une manière adéquate par l'absence des fonds qui lui sont dus n'englobe pas seulement les frais financiers engagés, mais aussi le gain manqué qui lui est causé par la privation d'un capital qu'il aurait placé de façon profitable s'il l'avait eu à sa disposition. Il est vrai que le créancier porte le fardeau de la preuve également pour ce dommage. Faut-il qu'il prouve l'échec d'une opération lucrative concrète causé par la défaillance du débiteur ou suffit-il qu'il démontre dans l'abstrait à quel taux il aurait pu investir les montants en question pendant qu'il en était privé?

Selon une ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, les intérêts compensatoires correspondent aux intérêts que le créancier aurait pu obtenir "d'après l'état actuel du marché monétaire".43 La jurisprudence allemande n'accorde en général qu'aux banques des dommages-intérêts de retard calculés d'une manière abstraite, et ceci au taux qui correspond au 664 bénéfice moyen de la banque créancière réalisé sur ses différentes opérations actives de crédit.44

En réalité, il convient de tenir compte du fait que le gain manqué constitue un dommage et que le juge ou l'arbitre a un large pouvoir d'appréciation qui lui permet de déterminer le montant de ce dommage "équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée" (comme le di1: en droit suisse l'art. 42 al. 2 CO, supra ch.V). La plupart des législations permettent en outre un calcul abstrait du dommage, sans preuve d'une opération de couverture concrète, dans certaines affaires commerciales, ainsi par exemple l'art. 76 CV en cas de résolution d'une vente internationale de marchandises à cause d'une contravention au contrat commise par une partie. Il apparaît en conséquence que le créancier qui démontre à quel taux de bénéfice il place habituellement ses fonds peut exiger le paiement d'intérêts compensatoires ou des dommages-intérêts de retard calculés selon le même taux.45

Etant donné que le dommage est ainsi fixé par estimation selon le "cours ordinaire des choses", le débiteur doit pouvoir prouver que le dommage effectif, subi concrètement au vu des frais financiers engagés par le créancier pour emprunter les fonds nécessaires, était inférieur au. dommage abstrait établi par estimation.46 Une analogie s'impose par rapport à l'art. 76 al.1 CV, en vertu duquel le calcul abstrait du dommage en vente internationale n'est admis que si la partie lésée "n'a pas procédé à un achat de remplacement ou à une vente compensatoire" permettant le calcul concret du dommage.

VII. L'imputation des intérêts moratoires sur les intérêts compensatoires et les dommages-intérêts de retard

Comme les art. 74 et 78 CV pour la vente internationale, la plupart des législations prévoient que lorsque les intérêts moratoires ne couvrent pas la totalité du dommage causé par la 665 demeure, le débiteur reste obligé de payer également la différence. Mais lorsqu'un créancier a droit aux intérêts compensatoires ou aux dommages-intérêts de retard, les intérêts moratoires dus sans preuve d'un dommage quelconque doivent être imputés sur le montant des dommages-intérêts. Les intérêts moratoires compensent d'une manière forfaitaire, indépendamment du montant du dommage effectivement subi, la privation du créancier d'une somme d'argent pendant la demeure du débiteur (supra I). Pour cette raison, l'action en réparation du dommage précis, causé par l'absence temporaire des montants dus, ne peut être que complémentaire aux intérêts moratoires.

Il est vrai qu'en Suisse les anciens commentaires du Code des obligations ne se prononcent pas expressément sur la question.47 Il est vrai aussi que l'indemnisation forfaitaire par des intérêts moratoires favorise le créancier qui dispose d'une trésorerie suffisante pour ne pas avoir besoin du financement extérieur onéreux palliant l'absence des fonds qui lui sont dus. Mais son avantage s'apparente à celui d'un lésé qui obtient réparation d'un gain manqué et non d'une diminution effective du patrimoine. C'est pourquoi il semble à juste titre incontesté aujourd'hui que les intérêts moratoires doivent s'imputer sur le montant des intérêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard, lorsque le dommage subi et prouvé par le créancier dépasse le montant forfaitaire découlant du taux des intérêts moratoires.48 Si les conditions à la fois d'une créance en paiement d'intérêts moratoires et d'une prétention en versement d'intérêts compensatoires ou de dommages-intérêts de retard sont réalisées, il y a concours alternatif et complémentaire entre les deux actions.

VIII. Le cumul entre indemnité pour perte de change et intérêts moratoires, intérêts compensatoires ou dommages-intérêts de retard

Lorsqu'un débiteur doit des dommages-intérêts en monnaie étrangère ou est en demeure avec le paiement d'une dette libellée en monnaie étrangère, il cause un dommage supplémentaire au créancier si celui-ci subit des pertes par suite d'une baisse du taux de change. Dans quelles conditions ce débiteur doit-il compenser la perte de change dont il est l'origine, si par exemple son créancier est établi en Suisse, dispose d'une créance libellée en dollars et si le cours du dollar par rapport au franc suisse a baissé depuis la mise en demeure du débiteur jusqu'au paiement effectif?

A supposer que le créancier puisse prouver que le produit de sa créance était destiné à être immédiatement converti en une autre monnaie, ces pertes sont la conséquence adéquate du 666 retard imputable au débiteur. Elles augmentent les intérêts compensatoires ou les dommages-intérêts moratoires que le débiteur doit payer.49 Mais le problème réside évidemment dans les difficultés de preuve concernant l'intention du créancier de convertir sa créance en une autre monnaie.

Ces difficultés sont souvent atténuées par une présomption de fait. Si des preuves ou des indices suffisants contraires font défaut, l'arbitre peut admettre comme règle d'expérience que le créancier, s'il avait été payé à temps, aurait effectué la conversion de sa créance en monnaie ayant cours légal à son domicile ou à son centre d'affaires.50 En vertu de son pouvoir de libre appréciation des preuves, l'arbitre "déterminera équitablement" le dommage "en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée" (art 42 al. 2 CO, supra V). Sauf circonstances spéciales, le "cours ordinaire des choses" conduit à la présomption de conversion de la monnaie étrangère en monnaie du pays.

En droit suisse, cette solution est par ailleurs conforme à la ratio legis des normes juridiques qui entrent en ligne de compte en cas de dettes libellées en monnaie étrangère. D'une part, si la dette exprimée en monnaie étrangère est exécutable en Suisse, le débiteur a la faculté alternative, selon l'art. 84 al. 2 CO et sauf convention contraire, de s'acquitter de 667 sa dette "en monnaie du pays au cours du jour de l'échéance". D'autre part, si le créancier veut poursuivre le débiteur en Suisse il doit convertir sa créance en monnaie ayant "valeur légale suisse" (art. 67 al. 1 ch.3 LP).51

II n'est pas exclu pour autant que le créancier puisse demander la réparation d'un dommage qu'il subit par suite d'une perte de change résultant d'une conversion non pas en monnaie du pays, mais en une autre monnaie étrangère. Il faut seulement qu'il puisse prouver que la recette de sa créance était destinée à être immédiatement convertie en cette autre monnaie.52 Pour ceci il doit fournir des indices qui emportent la conviction des arbitres. Il pourrait y arriver en prouvant qu'il a communiqué à plusieurs reprises au débiteur en demeure son intention de convertir la dette en la monnaie étrangère en question.53

Lorsqu'un créancier a droit à la répartition des pertes résultant d'une variation du taux de change, il peut cumuler cette créance avec des dommages-intérêts de retard, calculés d'une manière concrète ou abstraite (comme indiqué supra V et VI) sur le capital libellé en monnaie étrangère. S'il a droit au remboursement de sa perte de change, c'est parce qu'il peut demander la réparation de tout dommage causé d'une manière adéquate par le fait d'avoir été privé des fonds que le débiteur lui doit. La perte de change est une partie de ce dommage, les frais payés pour un crédit de substitution ou les gains manqués par l'absence du capital que le débiteur lui retient (supra VI) en sont une autre. Les deux, indemnité pour perte de change et dommages-intérêts de retard, réparent l'ensemble du dommage causé au créancier par la privation des fonds qui lui sont dus.

Si jamais le taux des dommages-intérêts de retard n'atteint pas le taux des intérêts moratoires forfaitaires, le créancier a le droit aux intérêts moratoires sans égard au dommage précis calculé d'une manière concrète ou abstraite (supra VII). Dans ce cas, ce sont les intérêts moratoires qui se combinent avec l'indemnité pour perte de change. Ils compensent d'une manière forfaitaire, indépendamment du dommage effectivement subi, les frais financiers supportés par le créancier pour remplacer les fonds dont il est privé ou le gain qu'il ne peut pas réaliser à cause de l'absence de la somme d'argent qui lui est due. Ils ne sont nullement destinés à indemniser le créancier en outre d'une éventuelle perte de change. En conséquence, il peut y avoir cumul entre indemnité pour perte de change et intérêts moratoires, comme l'indemnité pour perte de change peut se combiner avec des dommages-intérêts de retard compensant des frais financiers ou un gain manqué du créancier.

668

Une précision s'impose: les intérêts moratoires ou les dommages-intérêts de retard doivent être alloués également sur l'indemnité pour perte de change. En effet, l'ensemble des dommages-intérêts de retard auxquels le créancier a droit est censé réparer la totalité du dommage qu'il a subi par suite du retard. Or la dévaluation de la monnaie étrangère lui a fait perdre une partie de la valeur de sa créance. Les intérêts qu'il paie pour compenser cette partie des fonds qui lui sont dus (ou les intérêts qu'il aurait pu obtenir en faisant des placements avec ces fonds) sont un élément du dommage dont le débiteur est responsable.54 Par conséquent, le créancier ne sera replacé dans la situation économique qui aurait été la sienne s'il avait reçu le paiement de sa créance sans retard que s'il obtient cumulativement le capital de sa créance libellée en monnaie étrangère, les intérêts moratoires ou les dommages-intérêts de retard sur ce capital, l'indemnité pour perte de change et les intérêts moratoires ou les dommages-intérêts de retard sur cette indemnité.55

IX. Conclusion

La durée prolongée de certaines procédures arbitrales s'explique par des raisons multiples. Litiges sur la compétence du tribunal arbitral, consorité et substitution des parties au procès, dénonciation du litige et intervention de tiers, modification de l'objet du litige en cours de procédure, cumul d'actions, demandes reconventionnelles, suspension temporaire de la procédure litigieuse en vue d'une tentative de conciliation, enquêtes et mesures probatoires laborieuses, notamment expertises techniques compliquées et chronophages, voilà autant de facteurs qui peuvent faire durer la procédure malgré l'effort déployé de toute part en vue d'un règlement rapide du conflit.

Plus le litige dure, plus augmentent les intérêts moratoires, les intérêts compensatoires ou les dommages-intérêts de retard dus en cas de condamnation d'une partie au paiement d'une somme en capital. Il n'est pas rare de voir ainsi leur montant se rapprocher de la valeur 669 litigieuse initiale, à quoi peuvent s'ajouter encore les pertes de change si la dette est libellée en monnaie étrangère.56

Les arbitres ont souvent pour mission de trancher des questions délicates relatives aux intérêts moratoires, aux intérêts compensatoires et aux dommages-intérêts de retard, questions qui présentent un considérable intérêt pratique, mais n'ont pas toujours trouvé une réponse sans équivoque en jurisprudence et en doctrine. La présente étude en relève quelques-unes57 et propose des solutions conformes aux principes généraux de la procédure civile et du droit des obligations. Elle illustre qu'une part de l'insécurité juridique résulte du chevauchement des trois moyens d'indemnisation d'un créancier pour l'absence temporaire des fonds auxquels il a droit, mais que cette insécurité peut être évitée par une prise en compte rigoureuse des fonctions de chaque institution dans le respect des principes généraux du droit. Il en résulte une situation plus nette concernant les différentes durées pendant lesquelles les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires sont dus, concernant les taux applicables aux intérêts moratoires, aux intérêts compensatoires et aux dommages-intérêts de retard (les deux derniers incluant éventuellement le droit au remboursement d'intérêts composés), concernant les exigences à apporter aux calculs concret et abstrait du dommage de retard, concernant l'imputation des intérêts moratoires aux dommages-intérêts de retard et le cumul possible, enfin, entre indemnité pour perte de change et intérêts ou dommages-intérêts moratoires.

Le retard de paiement dans le commerce international se traduit souvent par "l'obligation de recourir au marché financier dans des conditions peu favorables et parfois par une réduction d'un volume d'affaires, dans le pire des cas par une cessation d'activité"; il est d'autant plus étonnant de constater "que les parties traitent trop souvent le problème avec légèreté dans leurs écritures et plaidoiries, ne permettant pas aux arbitres de procéder à une réflexion approfondie à l'issue d'un débat réellement contradictoire".58

Les litiges appellent pourtant des solutions à la fois équitables et compatibles avec des principes juridiques généraux, reconnus indépendamment du droit applicable au fond. Le créancier obtenant gain de cause quant au fond de sa prétention en capital doit être indemnisé aussi du dommage qu'il subit par un financement de substitution ou par la perte d'un bénéfice de placement. Dans ce domaine, plus que dans d'autres, le principe de territorialité du droit paraît désuet. Comme le note le professeur PIERRE LALIVE, "s'il est un contexte dans lequel le terme de "droit" ne doit pas être pris dans un sens restrictif ou purement étatique, c'est bien celui de l'arbitrage international (...) justice privée, largement tolérée, reconnue et même favorisée par les Etats et ce qu'on a appelé la "communauté internationale des 670 commerçants"'.59 Il reste à espérer qu'au vu de l'extraordinaire développement du commerce international, ses acteurs, avec l'aide des arbitres, parviennent au consensus nécessaire pour résoudre les problèmes juridiques liés aux intérêts moratoires, intérêts compensatoires et dommages-intérêts de retard par des solutions simples qui dissipent les ambiguïtés existantes en tenant compte de la fonction de chaque institution et des conditions et conséquences précises qui en découlent.

*Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève.
1DERAINS, Yves, "Intérêts moratoires, dommages-intérêts compensatoires et dommages punitifs devant l'arbitre international", in Etudes offertes à Pierre BELLET, Paris, Litec, 1991, pp.101-121, p. 120, et références; cf. aussi l'analyse de différentes sentences arbitrales effectuées par BRANSON, David J./WALLACE, Richard E., "Awarding Interest in International Commercial Arbitration: Establishing a Uniform Approach", Virginia Journal of International Law 28 (1988), pp. 919-947.
2WEBER, Rolf, "Gedanken zur Verzugsschadensregelung bei Geldschulden", in Festschrift Max KELLER, Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1989, pp. 323-336, p. 325; KELLER, Max, SCHOBI, Christian, Das Schweizerische Schuldrecht, Band I, Allgemeine Lehren des Vertragsrechts, 3e éd., Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 1988, p. 267.
3SCHENKER, Franz, Die Voraussetzungen und die Folgen des Schuldnerverzugs im schweizerische Obligationenrecht, Fribourg, Universitätsverlag,1988, pp.127 ss, nos 334 ss; sur la ratio legis des intérêts moratoires, pp. 128 ss, nos 337-341.
4En droit suisse: ATF 103/1977 II, pp. 330, 338; 81/1955 II, pp. 213, 221; doctrine, en dernier lieu: GAUCH, Peter/SCHLUEP, Walter R., Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, ohne ausservertragliches Haftpflichtrecht, 2 volumes, 5e éd., Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1991, tome II, p. 128, no 2791; GUHL, Theo/KUMMER, Max/KOLLER, Alfred/DRUEY, Jean Nicolas, Das Schweizerische Obligationenrecht, 8e éd., Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1991, p. 73; SPAR, Stéphane, "L'intérêt moratoire, conséquence de la demeure", Revue valaisanne de jurisprudence 24 (1990), pp. 351-388, pp. 372 ss.
5La répartition en argent est la règle en pratique et selon la conception française des art. 1146 et ss du Code civil, mais peut être l'exception selon le droit applicable, par exemple en droit allemand au vu du § 249 BGB. En droit suisse, c'est en principe le juge qui détermine le mode de la réparation (art. 99 al. 3 et 43 al. 1 CO).
6SCHENKER, loc. cit., p. 149, no 396; von TUHR, Andreas/PETER, Hans/ESCHER, Arnold, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, 2 volumes, 3e éd., Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1979 et 1974, Supplément 1984, tome I, p. 74, et références.
7DERAINS, loc. cit., pp. 114 ss; ENGEL, Pierre, Traité des obligations en droit suisse, Dispositions générales du CO, Neuchâtel, Editions Ides et Calendes, 1973, p. 468.
8SCHENKER, loc. cit., p. 51, no 137, et références. Par ailleurs, contrairement à une pratique arbitrale américaine, les arbitres ne peuvent allouer des intérêts moratoires que dans la mesure où leur paiement a été exigé par le demandeur, cf. art. V, ch.1, litt.c, de la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958 et WETTER, J. Gilles, "Interest as an Element of Damages in the Arbitral Process", International Financial Law Review, décembre 1986, pp. 20-23, p. 22.
9SCHENKER, loc. cit., p. 52, nos 139 ss, et références.
10SCHENKER, loc. cit., p. 53, nos 141 ss, et références.
11Cf. DERAINS, loc. cit, pp.111 ss, et références.
12Selon SCHENKER, loc. cit., p. 150, no 397, il n'y aurait pas de cumul possible. En réalité, un cumul s'impose entre intérêts compensatoires dus depuis la survenance du dommage jusqu'au début de la demeure, et intérêts moratoires pour la période allant du début jusqu'à la fin de la demeure, si leur taux (en droit suisse éventuellement selon l'art. 104 al. 3 CO) est supérieur au taux des intérêts compensatoires. Selon l'ATF 81/1955 II, pp. 213, 221, la société lésée avait à juste titre droit à des intérêts compensatoires dès la survenance du dommage de "3 %, qu'elle aurait pu obtenir d'après l'état actuel du marché monétaire, portés à 5 %, en vertu de l'art. 104 al. 1 CO, dès le moment où Lahovary a été en demeure". Si, en revanche, le taux des intérêts moratoires reste inférieur au taux des intérêts compensatoires et des dommages-intérêts de retard, c'est à ce taux que se calcule le dommage créé par l'absence des fonds depuis la survenance du dommage jusqu'à sa liquidation. Pour la situation selon le droit allemand, cf. ZIMMERMANN, Walter, "Der Zins im Zivilprozess", Juristische Schulung, 1991, pp. 229 ss, pp. 232 ss.
13En procédure étatique, dans des cas tout à fait exceptionnels, une révision du jugement peut être réservée (cf. art. 46 al. 2 CO).
14KINDLER, Peter, "Zur Anhebung des gesetzlichen Zinssatzes in Italien", RIW,1991, pp. 304 ss. Dans d'autres pays (France, Belgique, Pays-Bas, pays scandinaves), le taux légal des intérêts moratoires est variable, cf. WEBER, loc. cit., p. 330, et références.
15REINHART, Gert, "Fälligkeitszinsen und UN-Kaufrecht", IPRax, 1991, pp. 376-379, et références ; ASAM, Herbert/KINDLER, Peter, "Ersatz des Zins- und Geldentwertungsschadens nach dem Wiener Kaufrechtsübereinkommen vom 11.4.1980 bei deutsch-italienischen Kaufverträgen", RIW, 1989, pp. 841-849; Landgericht Frankfurt-a-M., arrêt du 16 sept.1991, RIW, 1991, pp. 952-954.
16SCHENKER, loc. cit, p. 138, no 364, et références.
17SCHENKER, loc. cit., p. 139, no 365, et références. Il est par ailleurs proposé à juste titre d'étendre l'application de l'art. 104 al. 3 CO à toutes les opérations en matière de commerce, peu importe si les parties sont ou ne sont pas inscrites au registre du commerce et si elles peuvent être poursuivies par voie de faillite selon l'art. 39, LP, WEBER, loc. cit., p. 331, contra Tribunal fédéral, arrêt du 2 juillet 1985, Repertorio di giurisprudenza patria 1986, pp. 23-26, avec critique par Pierre TERCIER, Revue "Droit de la construction ",1987, p. 66.
18Contra: BUCHER, Eugen, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil ohne Deliktsrecht, 2e éd., Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag,1988, p. 362, note 129.
19ATF 116/1990 II, pp. 140,141, et références.
20SCHENKER, loc. cit., p. 136, no 358, et références.
21C'est à ce taux qu'un créancier de premier ordre pourrait obtenir le crédit d'escompte pour les montants avec lesquels le débiteur se trouve en demeure de paiement. L'opinion selon laquelle l'art. 104 al. 3 CO serait historiquement et téléogiquement à interpréter "en ce sens que le taux d'escompte privé est celui prévalant pour la monnaie du contrat choisie par les parties" (sentence arbitrale rendue à Genève en 1991, Bull. ASA,10 (1992), pp. 202,256, question laissée ouverte, faute de preuves concernant le taux d'escompte privé, par l'ATF 116/1990 II, pp.140, 141), ne pose pas de problèmes lorsque la devise de la dette est celle du lieu de paiement, mais fait en réalité abstraction du "lieu de paiement" conventionnel ou légal au sens de l'art. 104 al. 3 CO dans les autres cas, cf. notes 23 à 25.
22Circulaires nos 6621 et 6626 des 25 février et 5 avril 1991 de l'ASB. Le taux d'escompte privé recommandé ou de référence de l'ASB est "d'un taux supérieur à cinq pour cent" (art. 104 al. 3 CO) depuis le 17 janvier 1989 (circulaire de l'ASB no 6512 du 12 janvier 1989). Dans les années 70 et 80, il variait entre 3 % et 8 %. Le 22 janvier 1990, il a été porté à 9,75 % (circulaire de l'ASB no 6569 du 18 janvier 1990). Depuis lors (et jusqu'à la réduction de cette contribution fin juin 1992), il n'est plus descendu en dessous de 9 %. Depuis le 25 mai 1992, il est de 10 %, respectivement de 10,25 % (15 juin 1992).
23SCHENKER, loc. cit., p. 136, no 359; SPAR, loc. cit., p. 367. Exemple pour les différences des taux: selon renseignement d'une grande banque suisse, celle-ci aurait appliqué le 3 avril 1989 à Genève à des escomptes d'effets de change libellés en US-$ tirés sur des clients de premier ordre (sociétés pouvant bénéficier d'une notation financière AAA) et payable à 360 jours un taux de 10 7/8 % par an (10 5/16 % par an le 28 avril 1989 sur des effets de change payables à 90 jours), alors que le taux d'escompte privé fixé par l'ASB pour des effets de change libellés en francs suisses était alors de 6,25 % (et le taux officiel d'escompte de la Banque Nationale Suisse de 4,5 % ainsi que le taux officiel d'escompte aux Etats-Unis 7 %, ces deux derniers taux n'étant pas visés par l'art.104 al. 3 CO). Dans FATF 116/1990 II, p.140, le "lieu de paiement" pour une dette libellée en francs suisses était situé en France. Selon Pierre-A. MORAND, "Le taux d'intérêt moratoire applicable aux créances libellés en monnaie étrangère payables en Suisse", Revue suisse de droit des affaires, 64 (1992), pp. 167, 170, l'on pourrait "déduire sans autre de l'article 104 al. 2 CO la règle selon laquelle le taux de l'intérêt moratoire est celui prévu par la législation du pays de la monnaie choisie contractuellement"; ce résultat est peut-être souhaitable dans certains cas, mais nullement commandé par les termes mêmes de l'art. 104 al.2 CO, le choix d'une monnaie pour une dette ne disant rien sur le taux de l'intérêt conventionnel, ni, à plus forte raison, sur le taux de l'intérêt moratoire.
24ATF 93/1967 II, pp. 189, 192; JdT, 1969 I, pp. 530, 532; SPAR, loc. cit., pp. 375 ss. Le Canton de Zurich a adopté en votation populaire de décembre 1991 une législation limitant le taux d'intérêt maximum admissible à 15 % l'an. A l'heure actuelle, il n'est pas encore possible de dire si cette modification d'une loi cantonale aura des répercussions sur la jurisprudence du Tribunal fédéral pour savoir à partir de quel montant le taux conventionnel est "contraire aux mœurs" au sens de l'art. 20 al.1 CO (alors que le taux "légal" variable de l'art. 104 al. 3 CO a dépassé les 10 %); cf. aussi SPAR, loc. cit., pp. 375 ss.
25Dans PATE 116/1990 II, p. 373; JdT,1991 I, p.186, le Tribunal fédéral a considéré qu'une sentence arbitrale fixant les intérêts moratoires d'une prétention en dinars yougoslaves, en francs français et en dollars américains d'après l'escompte pratiqué par les banques du pays clans lequel avait cours la monnaie pour chacune des prétentions en cause ne violait pas l'art.190, al. 2, lit.e, LDIP. La proposition d'appliquer d'une manière générale 1è LIBOR en matière d'arbitrage commercial international se trouve chez BRANSON et WALLACE, loc. cit., p. 944. La jurisprudence allemande, en revanche, estime inadmissible qu'un tribunal condamne un débiteur à payer des intérêts aux taux LIBOR à échéance de trois mois, étant donné que ces taux varie au cours de chaque journée et qu'en cas d'exécution forcée an ne saurait établir s'il convient d'appliquer le taux d'ouverture, celui de onze heures ou celui de la clôture, Oberlandesgericht Frankfurt-am-Main, arrêt du 12 nov.1991, WM,1992, pp. 569, 572. Sur le rapport entre intérêts conventionnels et intérêts moratoires, cf. NASSALL, Wendt, "Vertraglicher Zins und Verzugsschaden", WM,1989, pp. 705 ss.
26MERZ, Hans, Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, Erster Teilband, Schweizerisches Privatrecht VI/1, Basel et Frankfurt-am-Main, Helbing & Lichtenhahn Verlag,1984, p. 214; cf. aussi SPAR, loc. cit., p. 373, note 124.
27ATF 78/19521, pp. 86, 90, avec références à deux arrêts non publiés des 21 déc. 1945 et 10 juin.1948: pas de taux schématique, mais "ein den Verhältnissen auf dem Geldmarkt angepasster Zins"; ATF 81/1955 II, pp. 213, 221: intérêts compensatoires "d'après l'état actuel du marché monétaire"; dans FATF 103/1977 II, pp. 330, 338, le Tribunal fédéral a alloué seulement 5 % d'intérêts compensatoires "dès la survenance du dommage" à la demanderesse, parce que celle-ci s'est limitée à exiger 5 % l'an, loc. cit, p. 332.
28Sur les divergences en matière d'arbitrage international, cf. DERAINS, loc. cit., pp. 113 ss. Au sujet de la situation juridique nuancée en droit suisse, cf. SCHENKER, loc. cit, pp.146 ss, nos 388 ss; SPAR, loc. cit., pp. 371 ss; WEBER, loc. cit., pp. 325 ss; d'une manière générale: SCHMIDT, Karsten, "Das 'Zinseszinsverbot', Sinnwandel, Geltungsanspruch und Geltungsgrenzen", Juristen-Zeitung (Tübingen);1982, pp. 829-835.
29Sur les intérêts composés en tant que partie de dommages-intérêts de retard selon le droit anglais, cf. MANN, F.A., "On Interest, Compound Interest and Damages", L.Q.R., 101(1985), pp. 30-47, pp. 44 ss.
30GAUCH/SCHLUEP, loc. cit., tome II, p. 161 ss, nos 2894-2995; SCHENKER, loc. cit., pp. 103 ss, nos 273 ss.
31"Il incombe au créancier de prouver un dommage supérieur à l'intérêt moratoire, en vertu des art. 106 al. 1er CO et 8 CC", ATF 109/1983 II, pp. 436, 443, JdT,1984 I, pp. 194, 200. A part les frais financiers qu'il fait pour obtenir un crédit de substitution, il peut notamment prouver "que s'il avait reçu paiement à l'échéance, il aurait pu éteindre une dette dont le taux d'intérêts excède celui de l'intérêt moratoire à percevoir", ENGEL, loc. cit., p. 469; HONSELL, Heinrich, "Der Verzugsschaden bei der Geldschuld", in Festschrift Hermann Lange, Tübingen, Kohlhammer,1992, pp. 502-521, p. 511.
32ATF 84/1958 II, pp. 6,11.
33ATF 98/1972 II, pp. 34, 37, JdT,1972 I, p. 459; ATF 97/1971 II, pp. 216, 218, JdT,1972 I, p. 466.
34HABSCHEID, Walther J., Droit judiciaire privé suisse, 2e éd., Genève, Georg, 1981, p 438.
35Tribunal fédéral, arrêt du 15 sept. 1977, SJ,100 (1978), pp. 385, 389.
36ATF 80/1954 II, pp. 294, 296, en ce qui concerne la procédure bernoise, contrairement à la procédure zurichoise.
37Sur l'estimation du dommage selon l'art. 42 al. 2 CO, cf. en détail BREHM, Roland, Berner Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, tome VI/1/3/1, Berne, Verlag; Stämpfli,1990, nos 46 ss ad art. 42 CO, et références. Sur le recours aux données suisses, à défaut d'une preuve des données valables dans le pays étranger concerné, "et cela avec la bénédiction de l'art. 42 al. 2 CO, qui fait de la prise en considération du cours ordinaire des choses' le critère salvateur pour le juge qui constate que le montant du dommage ne peut pas être établi de manière exacte", RUSCONI, Baptiste, "Droit suisse et dommage subi à l'étranger", in Hommage à Henri Rieben, Lausanne, Fondation Jean Monnet, 1991, pp. 375-389, p. 389.
38ATF 84/1958 II, pp. 6,11.
39SCHUMACHER, Rainer, "Beweisprobleme im Bauprozess", in Festschrift für Kurt Eichenberger, Aarau, Verlag Sauerländer,1990, pp.157 ss, pp.175 ss, avec nombreuses références à la jurisprudence et la doctrine. "Der Wahrscheinlichkeitsbeweis darf deshalb zum Beweis aller anspruchsbegründenden Tatsachen, d.h. rechtserheblicher Sachverhalte, also umfassend angewendet werden, sofern das Gesetz nichts anderes vorschreibt", loc. cit., p.176, et références.
40ATF 77/1951 II, pp. 184,188, JdT,1952 I, p. 40.
41HABSCHEID, loc. cit., p. 438.
42GOTTHARDT, Peter, "Zur Bemessung des nach dem gewöhnlichen Lauf der Dinge zu erwartenden Schadens einer Bank bei Verzug eines Kreditschuldners", WM,1987, pp.1381-1389.
43ATF 81/1955 II, pp. 213, 221; ATF 78/9521, pp. 86, 90, et références à l'arrêt non publié du 21 déc. 1948.
44BGHZ 62, pp. 107 ss; Bundesgerichtshof allemand, deux arrêts du 28 avril 1988, NJW,1988, 1967 et 1971, WM,1988, pp. 929 et 1044, avec note de Helmut BRUCHNER, pp.1292-1296. En l'absence d'indices suffisants concernant le taux moyen auquel elle effectue ses placements, la banque peut demander des dommages-intérêts de retard de 5 % par an au-dessus du taux d'escompte officiel, arrêt du Bundesgerichtshof du 8 oct.1991, NJW,1992, p.109. Sur le calcul abstrait du dommage que subit une banque hypothécaire dont le client n'exécute pas son obligation de prélever comme convenu les montants du prêt, cf. BECKERS, Michael, "Die Berechnung der Nichtabnahmenentschädigung, zugleich eine Anmerkung zu BGH", WM,1991, p. 760, WM,1991, pp. 2049-2055; GOTTHARDT, loc. cit., pp.1388 ss.-HONSELL, loc. cit., p. 512, propose de renoncer à toute différenciation selon la qualité du créancier et opte pour l'admission générale de dommages-intérêts au taux moyen auquel les fonds auraient pu être placés en obligations ("den durchschnittlichen Anleihezins im fraglichen Zeitraum").
45WEBER, loc. cit., pp. 332-335.
46Pour le droit allemand, cf. SCHULTZ, Michael, "Schadensfortentwicklung und Prozessrecht", Archiv für die civilistische Praxis, 91(1991), pp. 433-461, pp. 442 ss. Admettre le calcul abstrait du dommage ne signifie pas vouloir favoriser un créancier qui a effectivement subi un dommage concret inférieur au dommage calculé d'une manière abstraite.
47BECKER, Hermann, Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch, Band VI/1, Berne, Verlag Stämpfli, 1941, no 4 ad art. 106 CO; OSER, Hugo/SCHONENBERGER, Wilhelm, Kommentar zum schweizerischen Zivilgesetzbuch, 2e éd., Zurich,1929, no 1 ad art.106 CO.
48En Suisse, implicitement: ATF 109/1983 II, pp. 436, 439; BÜCHER, loc. cit., p. 362; expressément GAUSCH, SCHLUEP, loc. cit, tome II, p. 162, no 2994; SCHENKER, loc. cit., p.148, no 392, et p. 397, no 397; von TUHR, ESCHER, loc. cit., pp. 146 ss, WEBER, loc. cit, p. 327.
49ATF 109/1983 II, pp. 436 ss; aussi ATF du 30 sept.1976, Repertorio di giurisprundenza patria,1978, pp. 242, 251; ATF 76/1950 II, pp. 371, 375 ss, JdT,1951 I, pp. 392 ss; ATF 60/1934 II, pp. 337, 340; ATF 47/1921 II, pp. 190,193; ATF 46/1920 II, pp. 375, 380. Ne sont pas traités ici les problèmes posés par la perte que peut subir un créancier en monnaie de paiement par la seule dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie locale. Cf. à ce propos ATF 109/1983 II, pp. 436, 440 et 443; ATF 47/1921 II, pp. 301 ss; DROIN, Jacques, "Les effets de la dépréciation monétaire sur les rapports juridiques contractuels en droit commercial suisse", Travaux de l'Association Henri Capitant, tome XXIII 1971, Istanbul, Faculté de droit,1973, pp. 547-583; HONSELL,loc.cit., pp. 513 ss; STAUDER, Bernd, "Les effets de la dépréciation monétaire sur les rapports juridiques contractuel en droit commercial suisse", Travaux de l'Association Henri Capitant, tome XXIII 1971, Istanbul, Faculté de droit, 1973, 735-762; SCHENKER, loc. cit, pp. 1108 ss, no 283.
50ATF 109/1933 II, pp. 436, 442 s., et références; ATF 117/1991 II, pp. 256, 258, et références. Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a constaté qu'il ne peut pas revoir les déductions faites par l'instance cantonale et qui infirment la présomption selon laquelle la monnaie étrangère aurait été convertie, en temps opportun, en monnaie forte, car de telles déductions relèvent de l' appréciation des preuves. Le Tribunal supérieur de Zurich avait estimé qu'avec le montant dû en dollars le créancier aurait payé à son tour des dettes en dollars et laissé le solde sur des comptes en dollars en vue d'opérations futures en cette monnaie. ATF 60/1934 II, pp. 337, 340: "la seule baisse de ce change fait présumer ledit dommage; c'est des lors à l'autre partie à établir qu'à raison de circonstances particulières, le créancier n'a pas souffert de la demeure du débiteur". Cf. Aussi ATF du 30 sept. 1976, Rep.,1978, pp. 242, 251, et ATF 76/1950 II, pp. 371, 375.
51Pour l'application du taux de change pratiqué au moment de l'échéance, en cas de dépréciation de la monnaie étrangère, ou de celui valant au jour de la réquisition de poursuite, en cas de hausse de la monnaie étrangère postérieurement à la mise en demeure, cf. ATF 51/1925 III, pp.180,188; Arrêt de la Cour de justice de Genève du 12 mai 1978, SJ, 101 (1979), pp. 254 ss; HONSELL, loc. cit., p. 517, propose d'accorder au créancier en application du § 244 deuxième phrase du BGB allemand le choix entre les cours de change valant au moment de l'exigibilité et du paiement de la créance.
52Arrêt de la Cour de justice de Genève du 30 janvier 1981, SJ, 104 (1982), pp. 97 ss, et références.
53ATF 109/1983 II, pp. 436, 443; ATF 76/1950 II, pp. 371, 376; BUGHER, loc. cit., p. 362, no 133.
54A titre de comparaison: c'est à juste titre que le Tribunal fédéral a obligé les responsables pour un dommage causé à un bâtiment à payer des intérêts compensatoires également sur l'indemnité de dépréciation du bâtiment dès la survenance du dommage, ATF 103/1077 II, pp. 330, 338. Selon la "théorie de la différence" régissant le calcul du dommage, le créancier a droit à être replacé dans la situation patrimoniale qui serait la sienne si le débiteur s'était exécuté à temps, GAUSCH/SCHLUEP, tome II, p. 162, nos 2995 ss.
55C'est à juste titre que le Tribunal fédéral a condamné un débiteur déjà en 1922 à payer des intérêts moratoires de 6 % non seulement sur le montant dû en monnaie étrangère, mais également sur la perte de change subie depuis la mise en demeure jusqu'au moment du paiement effectif, ATF 48/1922 II, pp. 74, 79. Ce n'est que si la conversion aurait été faite en devises obligatoirement improductives que selon le Tribunal fédéral aucun intérêt moratoire sur la perte de change n'est dû, ATF 109/1983 II, pp. 436, 444, JdT, 1984 I, pp. 194, 201; dans le cas d'espèce, le créancier n'aurait pas reçu d'intérêts sur une somme en francs suisses du fait des arrêtés fédéraux sur la sauvegarde de la monnaie et des ordonnances d'exécution, notamment l'OCF du 20 nov. 1974 instituant des mesures destinées à lutter contre l'afflux de fonds étrangers. En ce qui concerne les dommages indirects ("Vermögensfolgeschäden bei Nichtleistung von Geld") cf. HONSELL, loc. cit, pp. 517 ss.
56Cf. les exemples indiqués dans le Bulletin 5/1987 no 1, p. 55, de l'Association suisse de l'arbitrage.
57D'autres problèmes n'ont pas pu être traités ici, notamment celui de la dépréciation du pouvoir d'achat de la monnaie de paiement (supra no 48) et celui des dommages-intérêts "punitifs" du droit anglo-américain devant l'arbitre international. Cf. à ce dernier propos notamment DERAINS, loc. cit., pp. 117 ss; LENZ, Christian, Amerikanische Punitive Damages vor dem Schweizer Richter, Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1992; SIEHR, Kurt, "Zur Anerkennung und Vollstreckung ausländischer Verurteilungen zu "punitive damages'", RIW,1991, pp. 705-709.
58DERAINS, loc. cit, p. 120.
59LALIVE, Pierre, "Le droit applicable au fond par l'arbitre international", in Droit communautaire, Actes du Colloque, Paris 5-6 avril 1990, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian,1991, pp. 33-53, pp. 39 et 50.

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