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Lorfing, Pascale Accaoui, La renégociation des contrats internationaux, 2011

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Lorfing, Pascale Accaoui, La renégociation des contrats internationaux, 2011
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Content

La renégociation des contrats internationaux


215

CHAPITRE 1
LA MISE EN OEUVRE DE L'OBLIGATION DE RENÉGOCIATION PAR LES PARTIES



[...]

SECTION I. - LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE LA RENÉGOCIATION DU CONTRAT



[...]

§ 1. - L'existence d'un déséquilibre contractuel fondamental



326. La renégociation du contrat suppose l'existence d'un déséquilibre fondamental de l'équilibre contractuel. Cela signifie que, d'une part, n'importe quel déséquilibre contractuel n'entraîne pas la renégociation du contrat et que, d'autre part, seul un déséquilibre altérant fondamentalement l'équilibre du contrat est pris en considération dans la mise en œuvre de la renégociation du contrat. En effet, les parties ne doivent pas en être en mesure de tenter une adaptation du contrat pour leurs seuls intérêts notamment en raison d'une augmentation raisonnable du prix ou lorsque le cours des changes ne leur est plus profitable.

L'exigence de l'existence d'un déséquilibre contractuel fondamental est rappelée par les législations nationales et les instruments juridiques internationaux, qui prévoient l'hypothèse de hardship, ainsi que par les clauses contractuelles. Elle est par ailleurs largement admise par la jurisprudence arbitrale et unanimement appuyée par la doctrine.

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En effet, l'article 6:111 des Principes du droit européen des contrats (PDEC)1 qui consacre la théorie du changement fondamental des circonstances, est ainsi rédigé, « 1) Une partie est tenue de remplir ses obligations, quand bien même l'exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l'exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contreprestation ait diminué ». Cet article précise l'excessive onérosité, soit « que le coût de l'exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contreprestation ait diminué ». L'alinéa 2 dispose que « les parties ont l'obligation d'engager des négociations en vue d'adapter leur contrat ou d'y mettre fin si cette exécution devient onéreuse à l'excès pour l'une d'elles en raison d'un changement de circonstances ».

Les Principes UNIDROIT qui prévoient l'hypothèse du hardship, précisent, à l'article 6.2.2 la définition du bouleversement de l'équilibre contractuel dans les termes suivants « Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l'équilibre des prestations, soit que le coût de l'exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué (...) ». Le projet de Code européen des contrats prévoit en son article 157 le hardship, lui-même renvoyant à l'article 97 al. 1 qui traite des « événements extraordinaires et imprévisibles rendant excessivement onéreuse l'exécution... »

La jurisprudence arbitrale a également rappelé cette exigence d'un déséquilibre fondamental du contrat2 comme condition de mise en œuvre de l'obligation de renégociation du contrat.

Enfin, l'analyse des clauses contractuelles de réaménagement3 du contrat et des critères qui y sont retenus permet de déterminer le seuil du déséquilibre contractuel, et de guider les parties dans l'appréciation de l'intensité à partir de laquelle la renégociation du contrat est mise en œuvre. En effet, lorsque le bouleversement contractuel atteint un degré d'intensité, il justifie alors la renégociation du contrat. Or, cette intensité est mesurable sur la base des critères divers choisis par les parties, mais que l'on peut schématiquement diviser en deux catégories : les critères objectifs et les critères subjectifs.

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327. Les critères objectifs mettent l'accent sur le caractère exceptionnel de l'intensité du déséquilibre contractuel et sont illustrés par des clauses telles qu': « En cas de modification fondamentale de circonstances (...) »4, ou bien « (...) si un événement imprévisible et étranger aux parties a pour effet que l'une d'entre elles retire du présent contrat des avantages hors de proportion avec ses obligations (...) »5, ou encore « (...) if in the course of the performance of this Agreement unfairness or substancial and disproportionate prejudice to either party is expected or disclosed, (...) »6, ou enfin « Dans le cas de modifications importantes pouvant affecter le système monétaire international, modifications notamment susceptibles d'entraîner des distorsions sérieuses dans les relations entre les monnaies (...) »7 ; ou si « des charges sensiblement plus lourdes que celles prévues à la signature du présent contrat »8, ou encore « si les avantages de la présente convention ont été bouleversés de façon fondamentale (...) »9. Dans un contrat B.O.T. de téléphonie mobile on a pu lire la clause de hardship (21.1) suivante :

« Notwithstanding any other provision of this Contract, should, during the course of this Agreement,
the economic circumstances or the laws and regulations in force in Lebanon as at the date hereof change in such way as to adversely affect in any substancial manner the financial equilibrium of this Contract, or to reduce the likelihood of the Operator being able to recoup its investment made pursuant to this Contract, and
these circumstances are either not compensated at all or are insufficiently compensated by the operation of any other provision of this Contract »10.

[...]

SECTION II. - LA RENÉGOCIATION PROPREMENT DITE DU CONTRAT



§ 2. - L'esprit qui guide l'échange des propositions



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338. L'échange des propositions et contre-propositions obéit aux mêmes exigences que celles relatives à la formation et à l'exécution du contrat. Il en est ainsi des exigences de la bonne foi et de l'esprit de loyauté et d'équité qui doivent guider l'échange des propositions.

Cette exigence est rappelée par les textes internationaux. Les Principes directeurs du droit européen (art. 7: 101), précisent que « si, en dépit de la bonne foi des contractants ... », les Principes européens du droit du contrat (art. 6: 111) spécifient dans le dernier alinéa que « (...) il peut être ordonner la réparation du préjudice que cause à l'une des parties le refus par l'autre de négocier ou sa rupture de mauvaise foi des négociations ».

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Elle est cependant sous-entendue par les Principes UNIDROIT.

Il arrive d'ailleurs que les parties le précisent au sein des clauses insérées dans le contrat qui les lie. La renégociation doit être menée « (...) équitablement dans l'esprit d'objectivité et de loyauté qui est à la base des relations existant entre les parties »11 ou encore « (...) En conséquence les parties déclarent que leur intention est que cette convention se déroule dans un esprit d'équité et sans qu'un préjudice matériel exagéré puisse en résulter, ni pour l'acheteur ni pour le vendeur. S'il advenait qu'une telle situation préjudiciable soit à craindre ou vienne à se réaliser, les parties conviennent de rechercher en commun »12 Enfin les parties peuvent préciser que suite à la modification des circonstances, « then the parties will use their best endeavours to agree upon such action as may be necessary to remove or modify such unfairness or prejudice (...) »13.

Les parties rappellent généralement la bonne entente qui a prévalu à la conclusion du contrat, et souhaiterait retrouver le même état d'esprit lors de sa renégociation. Cela traduit le souci que la renégociation se déroule dans des conditions satisfaisantes afin de parvenir à un résultat qui leur conviennent, comme cela est attesté par la clause ainsi rédigée « (...) celles-ci (les parties) auraient, dans le même esprit de bonne foi que celui qui a présidé à la conclusion de la présente convention (...) »14.


Est-il nécessaire que les parties prévoient que l'échange de propositions doive se faire dans un esprit de loyauté, d'objectivité et de bonne foi ? Ces prévisions ne nous semblent pas nécessaires s'il s'agit de mettre à la charge des parties l'obligation de mener la renégociation du contrat conformément aux exigences de la bonne foi dans l'exécution du contrat. En effet, il a été déjà rappelé15 que ces exigences s'imposaient aux parties quand bien même elles auraient omis de les prévoir au sein du contrat. Cependant, à travers ces prévisions, les parties ont le souci de maintenir un contrat en exécution, qui profite du même esprit d'entente et de partage d'intérêts que celui qui a présidé à sa conclusion. Ce souci est nous semble-t-il double. D'une part, rappeler aux parties l'importance de cette entente qui a permis la conclusion du contrat, (esprit de bonne foi et de loyauté), et, d'autre part, tenter de retrouver cet équilibre contractuel, traduction du juste partage de leurs intérêts respectifs (esprit d'objectivité et d'équité).

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Lorsque les parties se rencontrent, et tentent de renégocier le contrat c'est pour parvenir à un but qui est celui de rendre à leur contrat un certain équilibre de ses conditions d'exécution.

[...]

440. L'intérêt des affaires ici rapportées apparaît à la démarche des arbitres. Ils recherchent constamment la commune intention des parties pour apprécier les critères de l'adaptation du contrat et préciser le cadre à l'intérieur duquel ils la réaliseront tant par la prise en compte d'un ensemble d'éléments (historique des négociations, le contrat lui-même, les circonstances ayant bouleversé le contrat et sa viabilité) que dans la projection même de la solution d'adaptation du contrat à l'avenir afin de s'assurer de l'efficacité d'une telle solution. Il semble qu'en agissant ainsi, ils rendent mieux compte de la volonté des parties de leur confier le soin d'adapter le contrat aux circonstances, car le but d'une telle démarche réside dans le maintien du contrat et sa survie.

Le pouvoir d'adaptation du contrat par l'arbitre ainsi reconnu ne s'exerce cependant pas sans limites.

B. - La double limite de l'adaptation du contrat par l'arbitre


441. Les limites à la réalisation de l'adaptation du contrat par l'arbitre (ou le juge) sont les mêmes que celles déjà mentionnées pour l'arbitre amiable compositeur et concernent d'une part l'économie générale du contrat (a) et d'autre part les recours éventuels contre le jugement par eux rendus (b).

a) La non-modification de l'économie générale du contrat


442. La limite consiste pour les arbitres à adapter le contrat, conformément à la volonté des parties, sans en altérer l'économie, c'est-à-dire sans en modifier les données, ce que s'interdit l'arbitre d'imposer. Nous rappellerons pour mémoire les précisions relatives à la non-modification de l'économie générale du contrat figurant dans l'affaire EDF/ SHELL précitée, par la formule suivante : « (...) que c'est seulement en cas d'échec de cette négociation, et en connaissance des solutions proposées, que la Cour dira si la formule qui pourrait convenir sur le plan financier modifie les données des contrats en cours et interdit par conséquent au juge de l'imposer, ou bien si elle se borne, comme l'ont voulu les parties, et sans altérer l'économie des contrats, à adapter le prix aux fluctuations du marché et peut donc être substituée d'office »16.

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Les arbitres ou les juges peuvent de ce fait adapter le contrat « sous réserve de ne pas en modifier l'économie en substituant aux obligations contractuelles des obligations nouvelles ne répondant pas à l'intention des parties »17. De même qu'un autre arrêt de la Chambre commerciale en date du 10 juillet 200718 a été rendu sous le double visa de l'article 1134 alinéa premier et troisième et affirme « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties »19.

L'arbitre ne doit pas rétablir l'équilibre d'origine, ni déterminer des prix proches de ceux pratiqués sur le marché20. Son rôle consiste à réduire un déséquilibre résultant du changement de circonstances, de nature à permettre au débiteur dont l'obligation déséquilibrée, de poursuivre néanmoins l'exécution du contrat, l'adaptation du contrat devant ainsi permettre la survie du contrat dans des conditions raisonnables.
À ces limites s'ajoutent de possibles recours contre la sentence par lui rendue, tels que prévus par la loi.

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b) Les recours éventuels contre le jugement rendu



443 Lorsqu'il procède à l'adaptation du contrat, la solution rendue par l'arbitre est une sentence, pourvue de l'autorité de la chose jugée et nécessitant pour son exécution d'obtenir l'exequatur. Elle est susceptible d'action en annulation, au siège de l'arbitrage compétent pour en connaître21 ou de demande de reconnaissance s'il s'agit d'une sentence rendue à l'étranger, et dont l'aboutissement implique l'annulation de la sentence ou le refus de lui donner plein effet. Le juge chargé de l'exequatur exerce un contrôle sommaire sur la sentence, c'est-à-dire se borne à s'assurer de sa conformité aux exigences de l'ordre public international22, ce que ne saurait impliquer l'adaptation du contrat par l'arbitre sur le fondement de la volonté des parties.

La sentence rendue par les arbitres est susceptible de faire l'objet d'un recours sur le fondement du dépassement du pouvoir que leur ont conféré les parties, s'ils ont statué ultra petita (art. 1502 30 NCPC). Il s'agit de vérifier, sur la base de l'acte de mission, qu'ils ont statué « au-delà de ce qui a été demandé »23, c'est-à-dire sur des demandes que les parties n'ont pas formulées et plus précisément « lorsqu'ils accordent à une partie davantage que ce qu'elle a elle-même demandé »24.

La demande en annulation d'une sentence sur le fondement d'un des griefs prévus à l'art. 1502 du NCPC, plus particulièremet le dépassement par l'arbitre des pouvoirs que lui confèrent les parties25, est justifiée par le fondement conventionnel des pouvoirs des arbitres. Cette énumération limitative et d'application stricte, si elle admet que dans l'exercice de sa mission, « aucune limitation n'est apportée aux pouvoirs de cette juridiction de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question »26, n'implique en aucun cas la révision au fond de la sentence27, car les juges ne peuvent en apprécier le bien fondé.



1V. supra, §. 264 s., p. 167 s.
2V. Les sentences arbitrales CCI no 2708 (1976), JDI 1977.943, CCI no 4761 (1987) et 6281 (1989), in Rec. sent. arb. CCI 1986-1990, respectivement pp. 302 et 394.
3 V. supra, Première Partie, chapitre II, section 11, les développements relatifs au caractère substanciel du déséquilibre contractuel au chapitre relatif à la nécessaire distinction des hypothèses de hardship et de force majeure et à l'incidence de l'événement perturbateur sur le contrat.
4V. D. PHILIPPE, « "Pacta Sunt Servanda" et "Rebus sic Standibus" », in L'arbitrage commercial international. L'apport de la jurisprudence arbitrale. Séminaire des 7 et 8 avril 1986. Dossiers de l'I.D.P.A.I.-CCI, p. 181 s. spéc. exemple no 1, p. 245. L'italique est de nous.
5Idem. spéc. exemple no 3 p. 245. L'italique est de nous.
6Ibidem, spéc. exemple n° 4, p. 246. L'italique est de nous.
7Ibid., spéc. exemple no 5, p. 246. L'italique est de nous.
8M. FONTAINE et F. DE LY, Droit des contrats internationaux. Analyse et rédaction de clauses., 2 e édition Bruylant/FEC 2003, spéc.p. 507.
9Idem. spéc. p. 508.
10V. le contrat de téléphonie mobile entre l'État libanais représenté par le Ministère de la poste et des Télécommunications (MPT, Ministry of Post and telecommunications) et FTML (opérateur mobile, Operator).
11V. M. FONTAINE, op. cit.
12V. D. PHILIPPE, op. cit. exemple no 12, p. 262.
13Idem, exemple no 4 p. 246.
14Ibidem. exemple no 6, p. 246. Dans le même sens, exemples no 9, p. 250 et no 14, p. 252.
15V. supra le chapitre II du titre II de la première partie.
16V. Paris, 28 septembre 1976, Rev. arb. 1977.341.; l'italique est de nous.
17V. Paris, 4 novembre 1995, Société Taurus Films/SARL Les Films du Jeudi, Rev. arb. 1998, 704, obs. Y. DERAINS, l'italique est de nous.
18Cass.com., 10 juillet 2007, RDC 2007; RDC 2007, RDC 2007, p. 1107, obs. L. AYNES et p. 1110, obs. D. MAZEAU ; D. 2007, p. 2839, note Ph. STOFFEL-MUNCK, et p. 2841, note P.-Y- GAUTIER, D. 2007, pan., p. 2972, obs. B. FAUVARQUE-COSSON, Defrénois 2007, p. 1454, obs- E. SAVAUX, JCP G 2007, II, 10154, note D. HOUTCIEFF, JCP E 2007, p. 2394, note D. MAINGUY et J.-L, RESPAUD, Contrats, conc. Consom. 2007, comm.294, obs. L. LEVENEUR, RTD Civ. 2007, p. 773, obs. B. PAGES, RTD com 2007, p. 786, obs. P. Le Cannu et B. DONDERO ; Henri CAPITANT, François & Yves LEQUETTÉ, Les grands arrêts de la jurisprudence civile. Tome 2, Obligations, contrats spéciaux, sûretés, Dalloz 2008, no 164; Communiqué relatif à l'arrêt no 966 du 10 juillet 2007, www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_financiere_economique_574/arret_no_10678.htlm.
19L'italique est de nous.
20V. CCT no 2478 (1974) et no 2508 (1976), in Rec. sent. arb. CGI 1974-1985, respectivement p. 238 s. et 292 s.
21Le critère du siège de l'arbitrage comme élément déterminant la compétence des juridictions locales pour connaître des recours en annulation des sentences arbitrales est reconnu aux articles 1504 NCPC et 1506 du nouveau droit français de l'arbitrage interne et international; art. 1037 et 1064 al. 2 CPC néerlandais; art. 176 al. 1 et 130 LDIP suisse ; l'art. 34 de la loi-type CNUDCI.
22V. L'article 1498 NCPC français, ainsi que l'article 1520 5° du nouveau droit français de l'arbitrage interne et international.
23V. Voc. Jar. Capitant, p. 525.
24 V. Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD B. GOLDMAN, Traité de l'arbitrage commercial international, op. cit, spéc. no 1631 s., p. 955 s.
25V. Art. 1502 3° NCPC; art. V, 1 c de la Convention de New York.
26V. SPP c/ République Arabe d'Égypte, Rev. arb. 1987 p. 469 s., note P. LEBOULANGER.
27V. Art. 1502 3° NCPC ; art. V, 1 c de la Convention de New York.

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