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ICC Award No. 10422, Clunet 2003, 1142 etseq.

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ICC Award No. 10422, Clunet 2003, 1142 etseq.
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ICC Award No. 10422, Clunet 2003, 1142 et seq.

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I. - Compétence. - Organisation de la procédure. - Examen préalable de la compétence de l'arbitre. - Devoir de l'arbitre de se prononcer sur sa compétence par une sentence partielle.

II. - Compétence. - Clause pathologique. - Clause attributive de juridiction. - Règles de procédure. - Interprétation. - Commune intention des parties. - principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international. - Participation à la procédure. - Acceptation de la compétence.

III. - Droit applicable. - Absence de choix des parties. - Lex mercatoria. - principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international.

IV. - Contrat. - Négociation. - Formation.- Défaut d'identité de l'offre et de l'acceptation. - Accord partiel. - Validité.

V. - Contrat. - Durée déterminée. - Résiliation. - Modalités. - Bonne foi.

VI. - Contrat. - Résiliation. - Faute. - Effet. - Calcul du préjudice.

Sentence finale rendue dans l'affaire no 10422 en 2001 (original en langue française).

La demanderesse et la défenderesse avaient signé deux contrats de distribution exclusive ayant pour objet la revente des produits de la défenderesse par la demanderesse sur deux territoires distincts (A) et (B). Les deux contrats avaient été conclus pour une durée renouvelable, de cinq ans à compter de sa date de signature pour l'un (A) et de trois ans à compter de sa date de signature pour l'autre (B). Treize mois après la signature des contrats, la défenderesse informait la demanderesse qu'elle avait confié à une société tierce (X) « le management, le suivi et le contrôle » des produits contractuels pour un territoire englobant les deux territoires définis dans les contrats de distribution exclusive. La demanderesse refusait de traiter avec une autre société que la défenderesse, s'opposait à la modification des conditions de paiement des commandes des produits contractuels du fait d'un transfert de certaines obligations de la défenderesse à (X) et exigeait de la défenderesse qu'elle exécute ses obligations de livraison, notamment en ce qui concerne deux commandes de produits passées par la demanderesse à la défenderesse. S'ensuivit une négociation portant sur la modification des conditions de livraison et de paiement des produits, et la prorogation du contrat conclu pour cinq ans. Ayant sollicité de la demanderesse la communication des chiffres d'affaires relatifs à la vente des produits contractuels pour les deux dernières années et constaté, à la réception de ces derniers, qu'ils étaient inférieurs à ceux prévus contractuellement, la défenderesse résilia les deux contrats de distribution la liant à la demanderesse. Cette dernière engagea alors une procédure d'arbitrage.

Au cours de l'échange de mémoires, la défenderesse limita son argumentation à la contestation de la compétence de l'arbitre unique et demanda à ce dernier de se prononcer exclusivement sur la compétence par une sentence partielle.

Selon l'arbitre, la défenderesse « a demandé dans son mémoire (du) [date] au Tribunal Arbitral de rendre une sentence intérimaire sur la compétence, avant

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d'aborder le fond du litige et a réitéré cette demande oralement dans l'audience de plaidoiries.

Le Tribunal arbitral confirme la position déjà prise pendant la procédure et déclare cette demande tardive et par conséquent irrecevable.

Les parties et l'arbitre ont établi d'un commun accord, lors de l'audience du [date], un calendrier qui faisait référence à la procédure arbitrale dans son ensemble et non pas seulement à la question de la compétence.

Les parties ont échangé leurs mémoires conformément à ce calendrier et, seulement à la fin de cette phase, par un mémoire envoyé après l'échéance du délai pour soumettre les mémoires, [la défenderesse] a demandé à l'arbitre de statuer préalablement, par une sentence partielle, sur sa compétence, et de réserver la décision sur le fond à une phase successive de la procédure arbitrale.

Il est par conséquent évident que cette demande ne peut pas être accueillie.

En tout cas, même si la demande en question avait été présentée à temps, le Tribunal arbitral aurait eu le droit de décider, à sa discrétion, de l'accepter ou de la refuser ».

L'arbitre examine ensuite la question de sa compétence à connaître du litige. Il commence par rappeler que l'« article 12 des deux contrats contient la clause suivante : (...)

12. FOR COMPETENT

12.1.

Le présent contrat, comme toutes ses dispositions, seront régies par la "CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE" ou à son défaut par une législation neutre définie d'un commun accord entre les parties, mais qui en aucun cas ne pourront être les Tribunaux de justice des pays respectifs des parties contractantes.

12.2.

Toutes les interprétations que ce contrat nécessiterait, ainsi que les litiges qui pourraient surgir entre les parties contractantes, seront soumises aux Juges et aux Tribunaux des Cours définies au point 12.1, ceci impliquant que les deux parties renoncent à se prévaloir de tout autre for, dans le cas où ils existeraient ».

Puis, l'arbitre interprète cette clause « en recherchant la commune intention des parties, sans s'arrêter au sens littéral des termes, selon un principe largement répandu et aussi repris dans les principes Unidroit à l'article 4.1, qui dit :

"1. Le contrai s'interprète selon la commune intention des parties.

2. Faute de pouvoir déceler la commune intention des parties, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ".

Dans l'application de ce critère il faut considérer que les personnes qui ont rédigé et négocié la clause n 'étaient pas des juristes et n 'avaient pas une idée précise de la signification (au point de vue juridique) des notions de for compétent, arbitrage et loi applicable.

(...) Pour comprendre la signification de la clause il faut donc se placer dans la condition des parties (ou d'une personne raisonnable de la même qualité [...]), qui, n'étant pas des juristes ont tendance à confondre les notions de loi applicable et de juridiction, leur souci principal étant celui de mettre en place une solution la plus neutre possible pour la solution d'éventuels litiges.

Or, si l'on lit l'article 12 dans cette perspective, la référence à la Chambre de Commerce Internationale, contenue dans l'article 12.1 doit être comprise en premier lieu comme visant à établir la juridiction, ce qui du reste est confirmé

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par la dernière partie de la phrase, lorsqu'on poursuit en disant : "(...) qui en aucun cas ne pourront être les Tribunaux de justice des pays respectifs des parties contractantes ".

En d'autres termes, lorsque les parties déclarent vouloir soumettre le contrat à une loi applicable (de la CCI) autre que les tribunaux des pays respectifs (en mettant sur le même plan la loi et la juridiction), il apparaît qu 'elles voulaient se référer à la juridiction de la CCI et par conséquent à l'arbitrage de la CCI.

Ceci est ultérieurement confirmé par le titre de l'article ("For compétent"), ainsi que par le fait que l'article 12.2 renvoie aux tribunaux définis à l'article 12.1, ce qui confirme que, dans l'esprit des parties, la fonction de l'article 12.1 était de déterminer la juridiction. La défenderesse a fait valoir que la référence à une législation qui n'existe pas (celle de la CCI) ou à une législation neutre qui, toutefois, devait être définie (et n'a pas été définie) par les parties, rendrait l'article 12.2 inopérant. Toutefois, cela reviendrait à attendre des parties une subtilité juridique qu'elles n'avaient certainement pas : il est beaucoup plus raisonnable d'attribuer aux parties la volonté de faire référence à la CCI comme "juridiction " et de considérer la référence à la loi applicable comme une imprécision due à leur impréparation juridique.

Pour conclure : si l'on regarde l'article 12 dans son ensemble et si l'on cherche à déterminer sa portée substantielle (au-delà de la signification juridique précise des termes utilisés), on voit que le souci des parties était de régler leurs différends éventuels d'une façon neutre en faisant recours à la Chambre de Commerce Internationale, qu 'elles considéraient comme un instrument notoirement approprié à ces fins. Et, si les parties ont voulu attribuer à la CCI la résolution de leurs litiges éventuels, cela ne peut que signifier qu'elles entendaient avoir recours à l'arbitrage, étant donné que la CCI est universellement connue comme institution d'arbitrage et que les parties elles-mêmes avaient prévu, dans un contrat précédent, la compétence arbitrale de la CCI.

Cette interprétation de l'article 12 est en outre conforme au principe de l'effet utile, contenu dans l'article 4.5 des principes Unidroit, selon lequel :

"Les clauses d'un contrat s'interprètent dans le sens avec lequel elles peuvent toutes avoir quelque effet, plutôt que dans le sens avec lequel certaines n'en auraient aucun".

Or, si on devait interpréter l'article 12 comme ne contenant pas une clause arbitrale CCI, les parties ne pourraient ni recourir à l'arbitrage, ni aux tribunaux étatiques normalement compétents (c 'est-à-dire les tribunaux du défendeur ou du lieu d'exécution des obligations contractuelles), étant donné que leur compétence a été expressément exclue par la clause en question. Ceci porterait à priver les parties de toute possibilité d'action en cas de litige, à moins de considérer la clause dans son ensemble comme ne produisant aucun effet.

En ce qui concerne l'argument de la demanderesse que [la défenderesse] aurait accepté l'arbitrage de la CCI en proposant la nomination d'un arbitre, il faut relever que la participation à la procédure arbitrale n 'implique pas acceptation de la compétence arbitrale si la partie qui conteste la compétence arbitrale maintient, tout en participant à la procédure, l'exception d'incompétence, comme c'est le cas ici. En outre, la question n'a pas besoin d'être décidée, une fois que l'existence et la validité de la clause arbitrale a été établie.

Par conséquent le Tribunal arbitral affirme sa compétence à décider le litige ».

L'arbitre unique recherche alors le droit applicable au fond du litige et observe que « l'article 12 des Contrats fait référence à la CCI et à une « législation neutre définie d'un commun accord entre les parties ». Etant donné qu'une législation de la CCI n'existe pas, et que les parties n'ont pas défini d'un commun accord une

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législation neutre, il faut conclure que les parties n 'ont pas fait un choix exprès de la loi applicable.

Le Tribunal arbitral devra par conséquent déterminer la loi applicable conformément à la seconde phrase de l'article 17(1) du Règlement d'arbitrage de la CCI qui dit que :

« A défaut de choix par les parties des règles de droit applicables, l’arbitre appliquera les règles de droit qu'il juge appropriées ».

Le Tribunal arbitral estime que, pour déterminer les règles de droit les plus appropriées, il faut tenir compte du fait que les parties désiraient une solution neutre.

Or, à défaut d'indication expresse d'un tiers droit national, la solution la plus appropriée dans le cas où il apparaît que les parties désirent une solution neutre est d'appliquer les règles et principes généraux en matière de contrats internationaux ou lex mercatoria.

Dans ce contexte on pourra se référer pour les questions touchant à la réglementation générale des contrats aux « principes relatifs aux contrats de commerce international» de l’Unidroit, qui représentent - exception faite pour quelques règles très particulières (comme par exemple les articles en matière de hardship : v. sentence arbitrale dans l’affaire CCI no 8873 du 1998, Journal droit int., 1998, 1017) - un « restatement » fidèle des règles que les entreprises opérant dans le commerce international considèrent comme conformes à leurs intérêts et attentes. Ceci est reconnu par de nombreuses sentences arbitrales qui ont appliqué les principes Unidroit comme expression de la lex mercatoria ou des usages du commerce international : v. par exemple, les sentences partielles dans l'affaire CCI no7110, Bull. Arb. CCI 1999, p. 40-50 ; la sentence dans l'affaire CCI no 7375, Mealeys International Arbitration Report, vol. 11/no 12 (décembre 1996), p. A1-A69 ; la sentence dans l'affaire CCI no 8502, Bull. Arb. CCI 2/1999, p. 74-77.

« Le Tribunal arbitral appliquera par conséquent les règles et principes généralement reconnus dans le commerce international (lex mercatoria) et notamment les principes Unidroit, dans la mesure où ils apparaissent comme une transposition fidèle des règles reconnues comme applicables aux contrats internationaux par les commerçants engagés dans le commerce international ».

L'arbitre aborde ensuite les questions de fond soumises à son appréciation.

La première de ces questions est la violation alléguée des stipulations contractuelles par la défenderesse du fait de son refus de livrer les produits commandés et les conséquences de cette violation.

S'attachant en premier lieu à la période précédant l'ouverture des négociations entre les parties, l'arbitre rappelle que la défenderesse « a demandé à [la demanderesse] de payer les commandes en cours en avance, nonobstant la clause contractuelle [numéro] qui prévoyait expressément que le paiement devait être fait à 120 jours de la date d'expédition, [la défenderesse] avait justifié cette demande comme suit :

"Etant donné les montants importants dus par [la demanderesse] à [la société X], [la défenderesse] ne peut expédier vos commandes sans recevoir un paiement par avance ".

Cette conduite de [la défenderesse] est en principe contraire à une règle fondamentale du droit des contrats, la règle pacta sunt servanda, reprise aussi dans les principes Unidroit à l'article 1.3, par lequel :

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"Le contrat valablement formé lie ceux qui l’ont conclu. Les parties ne peuvent le modifier ou y mettre fin que selon ses dispositions, d'un commun accord ou encore pour des causes énoncées dans ces principes".

Il ne s'agit bien entendu pas d'un principe absolu, et il est concevable, dans des situations particulières, qu'un fournisseur puisse être exonéré du respect strict des conditions de paiement convenues. Ainsi, il serait contraire au principe de bonne foi d'obliger un fournisseur à continuer à livrer ses produits à son distributeur, sans pouvoir au moins prétendre qu'il donne des garanties de paiement, lorsqu'il y a des motifs justifiés de craindre que ce dernier ne paiera pas la marchandise à l'échéance ».

L'arbitre retient que si « une certaine prudence avant d'accepter les ordres » était compréhensible au regard de certains éléments, comme notamment l'importance du montant des commandes passées dans les mois précédant la résiliation et les relations d'affaires délicates que la demanderesse entretenait avec une société du groupe (X) qu'elle avait assigné en justice, « ces éléments n'étaient pas suffisants pour justifier la décision unilatérale de [la défenderesse] de changer les conditions de paiement d'un concessionnaire dont la solvabilité n'était pas en question. Dans ces conditions, le refus pur et simple de [la défenderesse] de livrer aux conditions contractuelles constituait certainement une inexécution du contrat ».

L'arbitre envisage en deuxième lieu les négociations entre les parties et leur aboutissement. Au sujet de l'obligation de livraison et de paiement du prix des deux commandes, l'arbitre retient que la défenderesse a accepté sans réserves les propositions de la demanderesse, à « la seule différence, tout-à-fait négligeable, (...) que [la défenderesse] a accepté de payer la différence entre le fret aérien et le fret maritime alors que [la demanderesse] lui demandait de prendre en charge le fret aérien tout entier.

Ceci ne s'oppose toutefois pas à ce que l’accord puisse être considéré comme validement conclu. En effet dans le contexte de la lex mercatoria le principe de la correspondance entre offre et acceptation n'est pas imposé d'une façon rigide et il est accepté (conformément à ce qui est l'opinion courante des commerçants internationaux) qu'une acceptation contenant des modifications ou intégrations donne lieu à un accord si les modifications sont de faible importance. Ainsi, l'article 2.11, alinéa 2, des principes Unidroit, dit que:

"(...) la réponse qui se veut acceptation mais qui contient des éléments complémentaires ou différents n 'altérant pas substantiellement les termes de l'offre, constitue une acceptation, à moins que l'auteur de l’offre, sans retard indu, n'exprime son désaccord sur ces éléments. S'il ne le fait pas, les termes du contrat sont ceux de l'offre avec les modifications énoncées dans l'acceptation."

Dans le cas d'espèce, [la demanderesse] n'a pas contesté la modification contenue dans l'acceptation de [la défenderesse] et l'accord sur les modalités de paiement et de livraison des deux commandes peut par conséquent être considéré comme conclu aux conditions (non contestées) de l'acceptation de [la défenderesse] ». Dès lors qu'existait un accord entre les parties, toute nouvelle proposition de modification de ce dernier formulée par la demanderesse devait nécessairement être acceptée par la défenderesse pour se voir conférer force obligatoire, la défenderesse étant libre d'accepter ou de refuser une telle proposition.

Au sujet des commandes futures, l'arbitre retient que les parties se sont accordées pour modifier les modalités de paiement. Au paiement différé à 120 jours était substitué un paiement à l'avance moyennant une remise de 5 % correspondant au coût de l'argent dans le territoire contractuel. Aucun accord sur « les critères

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à utiliser pour fixer le montant de la remise en cas de modification du taux d'escompte » n'avait cependant été atteint. Répondant à la question de savoir s'il y a eu accord sur les conditions de paiement des commandes futures, l'arbitre énonce qu'« il faut considérer que nous sommes en présence d'une négociation par étapes, c'est-à-dire d'une négociation qui porte les parties à arriver à un accord par négociations successives. Dans un cadre de ce genre il est possible d'arriver à des accords partiels (qui laissent ouvertes certaines questions), sauf dans le cas où les parties ont voulu subordonner leur consentement à un accord global couvrant tous les détails.

Ce principe est reconnu par l'article 2.13 des principes Unidroit, selon lequel :

"Lorsqu 'une partie, au cours des négociations, exige que la conclusion du contrat soit subordonnée à un accord sur certaines questions relatives au fond ou à la forme, le contrat n 'est conclu que si les parties parviennent à un accord sur ces questions. "

En effet, cette règle implique, a contrario, que l'accord sur une partie des questions en discussion lie les parties pour ce qui est convenu, à moins qu’il n 'y ait la volonté de subordonner la conclusion du contrat à la solution des questions laissées ouvertes. Ceci correspond d'ailleurs aux usages et à la pratique du commerce international, dans laquelle il est fréquent de conclure des contrats "par étapes" et de considérer valable l'accord sur la partie convenue, avec une obligation des parties de se mettre d'accord sur les aspects restés ouverts : v. par exemple la sentence arbitrale dans l'affaire CCI no 8331, Bull. Arb. CCI 2/1999, p. 67-70.

Or, dans le cas d'espèce, il est certain que les parties étaient d'accord sur le fait que la remise devait être déterminée sur la base du taux d'escompte [en vigueur dans le territoire contractuel] (...). On ne peut pas douter que les parties étaient arrivées à un accord (au moins implicitement) sur le fait que la remise devait être rapportée au taux d'escompte [en vigueur dans le territoire contractuel] sur 120 jours. En effet, la référence dans la lettre de [la défenderesse] du [date] au "taux d'escompte de 5 %" (sans précisions ultérieures) n'implique pas un refus de ce qui était déjà acquis (c'est-à-dire du principe que 5 % était calculé en relation au taux d'escompte [en vigueur dans le territoire contractuel]) mais simplement l'absence d'une réponse à la proposition ultérieure de [la demanderesse] de ne procéder à la modification du taux de 5 %, établi provisoirement, que dans le cas où le taux annuel [en vigueur dans le territoire contractuel] aurait varié de plus de 0,5 %.

Or, il est évident que l'absence d'accord sur un détail de si faible importance ne peut pas mettre en discussion l'accord global des parties sur les nouvelles conditions de paiement et de livraison. »

Examinant en troisième lieu la réparation du préjudice causé à la demanderesse par le refus de la défenderesse de livrer les produits, l'arbitre rappelle d'une part que la non-livraison par la défenderesse constitue une inexécution contractuelle mais d'autre part que les négociations entre les parties et l'accord sur les nouvelles conditions de paiement et de livraison qui en résultent constitue une transaction ayant notamment pour objet de réparer le préjudice subi par la demanderesse. La demanderesse ne peut donc pas de nouveau réclamer réparation de ce préjudice, ni un dédommagement pour le préjudice occasionné par le refus de la défenderesse de livrer des produits aux conditions originelles, alors que ces conditions avaient été modifiées par une nouvel accord des parties.

La deuxième de ces questions de fond est la résiliation des contrats par la défenderesse. L'arbitre commence par répondre à l'argument de la demanderesse selon lequel « la résiliation ne pouvait être prononcée sans avoir mis au préalable

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[la demanderesse] en demeure, en lui donnant la possibilité de remédier à ses prétendus manquements ». L'arbitre répond que « cette position serait justifiée s'il y avait (comme il arrive fréquemment dans la pratique contractuelle, surtout anglo-saxonne) une clause par laquelle la partie qui procède à la résiliation du contrat est tenue de donner à l'autre partie un terme pour qu 'elle puisse remédier à l'infraction. Toutefois, ceci n'étant pas le cas ici, il faut se référer à la règle générale, retenue aussi par l’article 7.3.2, § 1, des principes Unidroit selon lequel :

"La résolution du contrat s'opère par notification au débiteur''.

Par conséquent, l'absence d'une mise en demeure préalable ne peut pas infirmer la validité de la résiliation ».

L'arbitre examine ensuite l'objection de la demanderesse tenant à la tardiveté de l'invocation par la défenderesse de la non-réalisation du chiffre d'affaires pour l'avant dernière année précédant la résiliation. L'arbitre décide que la contestation pour cette année est tardive.

« Le principe de bonne foi impose à une partie qui entend résilier le contrat à cause d'un manquement de l'autre partie d'informer l'autre partie de son intention dans un terme raisonnablement bref à partir du moment où il a eu connaissance du manquement. Ce principe est contenu aussi dans les principes Unidroit. Ainsi, l'article 7.3.2, §2, dit que :

"Lorsque l'offre d'exécution est tardive ou que l'exécution n'est pas conforme, le créancier perd le droit de résoudre le contrat s'il ne fait parvenir à l’autre partie une notification dans un délai raisonnable à partir du moment où il a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l'offre ou de la non-conformité."

Or, dans le cas d'espèce, [la défenderesse] savait dès le commencement de l'année [au cours de laquelle a eu lieu la résiliation] que [la demanderesse] n'avait pas atteint les chiffres d'affaires prévus pour l'année [précédant celle au cours de laquelle a eu lieu la résiliation] et n’a jamais contesté ce fait, jusqu 'à [la date de résiliation].

Par conséquent, seule la contestation relative à l'année [au cours de laquelle a eu lieu la résiliation] sera prise en considération ci-après ».

L'arbitre poursuit en abordant le caractère justifié ou non de la résiliation.

« Le principe qu’un contrat à terme peut être résilié avant son échéance en présence de motifs graves constitue un principe largement reconnu dans le commerce international. Aussi les principes Unidroit reconnaissent, dans des termes généraux, à l’article 7.3.1, § 1, que :

"Une partie peut résoudre le contrat s'il y a inexécution essentielle de la part de l'autre partie".

(...) dans le cas examiné ici il n'y a pas besoin de se référer à la règle générale, étant donné qu'une clause contractuelle expresse [numéro d'article] prévoit la possibilité de résilier le contrat avant son échéance en cas d'infraction grave à une de ses clauses.

Il s'agit alors de voir si les manquements de [la demanderesse] invoqués par [la défenderesse] constituent une infraction grave aux Contrats, pouvant justifier leur résiliation avant l'échéance.

Contrairement à une pratique contractuelle répandue, les Contrats ne spécifient pas expressément que la non-réalisation des chiffres d'affaires convenus autorise le concédant à résilier le contrat. L'article [numéro] des Contrats entre [la demanderesse] et [la défenderesse] se limite à prévoir des chiffres annuels d'achat

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(...), sans préciser les conséquences de Etant donné qu'une infraction à une clause implique nécessairement la violation d'une obligation prévue par cette clause, il est essentiel d'établir si l’article [numéro] vise à établir une obligation d'achat, ou au contraire, une simple prévision non obligatoire.la non-réalisation éventuelle des achats annuels indiqués. Ceci signifie que la non-réalisation des chiffres d'affaires prévus ne peut justifier la résiliation que dans la mesure où elle constitue une infraction grave à une clause contractuelle.

Etant donné qu'une infraction à une clause implique nécessairement la violation d'une obligation prévue par cette clause, il est essentiel d'établir si l’article [numéro] vise à établir une obligation d'achat, ou au contraire, une simple prévision non obligatoire.

Le terme utilisé ("'presupuesto") semble indiquer des objectifs plutôt que des minima. D'autre part, la présence d'une signature des parties à côté de la clause en question, souligne l'importance que les parties attribuaient à cet aspect.

(...) [Il] faut aussi relever que la clause, qui se limite à dire que les parties ont convenu certains objectifs de vente, ne contient pas une obligation pour [la demanderesse] de garantir que ce résultat soit atteint : si telle avait été l'intention des parties, elles auraient simplement convenu que [la demanderesse] s'engageait à acheter les quantités annuelles prévues dans la clause.

Dans ces conditions, la non-réalisation des objectifs d'achat ne constitue pas en tant que telle une inexécution contractuelle et ne peut pas être par conséquent considérée en elle-même comme un juste motif de résiliation anticipée.

Or, dans le cas d'espèce il n'y a pas de preuve que la non-réalisation du chiffre d'affaires soit dû à des raisons imputables à [la demanderesse] plutôt qu'à des conditions de marché adverses ou à la longue négociation sur les nouveaux termes de paiement (qui avait été déclenchée par le refus, injustifié, de fourniture de la part de [la défenderesse]). Dans ces conditions la simple référence à la non-réalisation des objectifs de vente ne peut pas être considérée comme un motif suffisant pour la résiliation anticipée d'un contrat qui n'était même pas arrivé à la moitié de son terme ».

Selon l'arbitre, l'attitude de la demanderesse aurait tout au plus pu justifier une mise en demeure et une sommation de s'expliquer sur ses intentions futures. Aucune inexécution contractuelle grave ne pouvait être imputée à la demanderesse. Il s'ensuit que la résiliation est fautive. Dès lors, quels sont les effets d'une telle résiliation ? L'arbitre observe que « la question des effets d'une résiliation abusive d'un contrat à terme est abordé d'une façon différente dans les différents systèmes juridiques : dans quelques pays (surtout de civil law) on considère la résiliation abusive comme nonproductive d'effets, avec la conséquence que le contrat continue à être en vigueur et les parties continuent à être tenues de respecter leurs obligations ; dans d'autres législations (particulièrement dans les pays de common law), on attribue à la résiliation l'effet de faire cesser la relation contractuelle, et l'on fait dépendre du caractère abusif de celle-ci uniquement l'obligation pour la partie qui l'a résilié abusivement de dédommager l'autre partie pour le préjudice qui en découle.

Cette dernière approche, qui a l'avantage de ne pas laisser subsister de situations d'incertitude quant aux effets de la résiliation sur la poursuite de la relation contractuelle, est normalement retenue dans le droit du commerce international. Aussi les principes Unidroit semblent confirmer ce point de vue en prévoyant à l'article 7.3.2, § 1, que :

"La résolution du contrat s'opère par notification au débiteur",

et à l'article 7.3.5, § 1, que :

"La résolution du contrat libère pour l'avenir les parties de leurs obligations respectives".

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Le Tribunal arbitral estime que cette dernière solution correspond aux règles et principes applicables dans le commerce international et que, par conséquent, les conséquences du caractère abusif de la résiliation se limitent à l'obligation de la partie qui a effectué la résiliation abusive de réparer le préjudice ainsi causé à l’autre partie ». Les prétentions de la demanderesse tendant à faire exécuter les obligations de livraison et de respect de l'exclusivité stipulés aux contrats sont rejetées.

L'arbitre détermine ensuite le montant du préjudice de la demanderesse. « Comme il est établi dans l'article 7.4.2 des principes Unidroit :

"Le créancier a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de l'inexécution. Le préjudice comprend la perte qu'il a subie et le bénéfice dont il a été privé, compte tenu de tout gain résultant pour le créancier d'une dépense ou d'une perte évitée".

Or, le bénéfice que [la demanderesse] a perdu à cause de l'interruption du contrat, et par conséquent des livraisons de [la défenderesse] n 'est pas la marge brute sur le prix de vente, mais le bénéfice net, après déduction de tous les frais encourus.

Ce principe est généralement reconnu dans la jurisprudence arbitrale : v. sentence arbitrale dans l'affaire CCI no 1250 (in Jarvin, Derains, Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1974-1985, p. 30-33) concernant un concessionnaire libanais pour lequel les arbitres ont reconnu un dédommagement basé sur le "average net profit" ; sentence arbitrale dans l'affaire CCI no 5418 (in Jarvin, Derains, Arnaldez, Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1986-1990, p. 132), se référant au "net profit" ; sentence arbitrale dans l'affaire CCI no 8362 (in Yearbook Commercial Arbitration, XXII-1997, p. 164-177), qui considère comme dommage les "lost net profits".

Etant donné qu 'aucune indication n 'a été fournie pour établir la marge nette, le Tribunal arbitral estime devoir utiliser le critère contenu dans l'article 7.4.3, § 3, des principes Unidroit, selon lequel :

"Le préjudice dont le montant ne peut être établi avec un degré suffisant de certitude est évalué à la discrétion du tribunal".

Pour cette évaluation le Tribunal arbitral considérera d'une part la valeur des produits achetés par [la demanderesse] auprès de [la défenderesse] et d'autre part les ventes de produits de [la défenderesse] réalisées par [la demanderesse] (rapportées aux prix d'achat correspondants).

(...) N'ayant pas d'éléments pour connaître la marge nette de [la demanderesse], le Tribunal arbitral estime, à sa discrétion, comme raisonnable une marge nette correspondant à 40 % du prix d'achat ».

Referring Principles
A project of CENTRAL, University of Cologne.