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Derains, Yves, L‘Obligation de Minimiser le Dommage dans la Jurisprudence Arbitrale, RDAI 1987, at 375 et seq.

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Derains, Yves, L‘Obligation de Minimiser le Dommage dans la Jurisprudence Arbitrale, RDAI 1987, at 375 et seq.
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L'OBLIGATION DE MINIMISER LE DOMMAGE DANS LA JURISPRUDENCE ARBITRALE

Yves DERAINS*

1. Un Tribunal arbitral, statuant sous l'égide de la Cour d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI), était saisi d'un litige opposant un exportateur algérien d'hydrocarbures, X, à un acheteur marocain Y. Le litige découlait de difficultés d'exécution d'un contrat soumis au droit algérien, par lequel X s'était engagé à approvisionner Y en pétrole de 1972 à 1974. Parmi diverses demandes de l'une et l'autre parties, les arbitres devaient se prononcer sur les conséquences d'un défaut de livraison, intervenu en 1973, et pour lequel l'acheteur entendait être dédommagé. Les arbitres rejetèrent la demande de l'acheteur dans les termes suivants :

« Sur le plan du fait, X ne conteste pas s'être trouvé en 1973 dans l'impossibilité matérielle de livrer à Y les 52 500 tonnes de pétrole brut auxquelles il pouvait prétendre en exerçant son option. De même X ne conteste pas n'avoir pu livrer une fraction d'ailleurs contestée quant à son volume, des 525 000 TM stipulées au contrat pour l'année 1973.

X exclut l'existence de circonstances ayant un caractère de force majeure propres à l'exonérer de toute responsabilité. Le vendeur soutient en revanche que, contrairement aux dires de Y, il n'a pas appliqué un traitement discriminatoire envers l'acheteur marocain et qu'en tout état, celui-ci n'a pas subi de préjudice de nature à justifier une demande de dommages et intérêts.

Contrairement à ce que soutient X, le fait que le vendeur n'ait point pratiqué avec Y un traitement discriminatoire, mais qu'il ait agi de la même manière avec ses clients, n'est pas un argument propre à l'exonérer de toute responsabilité. X a manifestement inexécuté le contrat, en ce sens qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de livrer la totalité des quantités de pétrole contractuellement prévues.

Mais encore faut-il, pour que la responsabilité de X puisse être envisagée, que la preuve d'un préjudice soit administrée. Or, Y n'a apporté aucune preuve du préjudice qu'il allègue, ni a fortiori du fait requis par la jurisprudence arbitrale internationale qu'il avait pris toutes les mesures pour limiter son préjudice.

L'application des principes de l'amiable composition, dans la mesure où ils autorisent l'arbitre à se dégager des formes et des règles de la procédure, ne peut conduire à une solution différente. En effet, le respect de cette règle de procédure, communément reçue dans les diverses législations nationales - selon laquelle chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit - s'impose aux juges-arbitres, sous peine d'arbitraire » (conférer Sentence rendue dans l'affaire nº 3344 en 1981, Clunet 1982, p. 979, obs. Derains).

Selon cette sentence, celui qui invoque un préjudice doit, non seulement en rapporter la preuve, mais aussi établir qu'il avait pris « toutes les mesures » pour limiter ce préjudice. La première de ces deux exigences est présentée comme une règle de procédure « communément reçue dans les diverses législations nationales », alors que la seconde serait une règle de « la jurisprudence arbitrale internationale ».

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2. Cette distinction mérite d'être soulignée, car les arbitres auraient tout aussi bien pu se référer au droit comparé, pour affirmer que le créancier d'une obligation inexécutée ne peut être dédommagé de son préjudice que dans la mesure où il a fait son possible pour minimiser celui-ci. Si cette règle n'est pas aussi unanimement reçue que le principe « actori incumbit probatio », il n'en reste pas moins que peu de droits l'ignorent. Le fait que la règle fut reprise par la Convention de La Haye de 1964 sur la vente internationale (article 88), puis par la Convention de Vienne de 1980 (article 77), témoigne d'un large consensus des Etats dans ce domaine. S'agissant des pays arabes, si l'un souhaite s'en tenir au groupe auquel appartenaient les parties, l'obligation de minimiser les pertes se trouve, sous l'influence du grand juriste égyptien Sanhoury, dans de nombreux codes civils modernes. Citons, à titre d'exemple, les codes civils égyptien (article 221), syrien (article 222), lybien (article 224), et surtout algérien (article 182), directement applicable puisque le droit algérien régissait le contrat.

Que le Tribunal arbitral se soit exclusivement référé à la jurisprudence arbitrale internationale pour fonder l'obligation de minimiser les pertes est donc particulièrement significatif de ce que les arbitres du commerce international y voient l'un des principes de la lex mercatoria, dont ils se considèrent les gardiens 1.

3. Avant de montrer, par l'examen d'un certain nombre de sentences arbitrales, qu'il en est effectivement ainsi (1), puis de s'interroger sur le rôle que joue l'obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale (II), il n'est pas inutile d'apporter quelques précisions sur la notion de jurisprudence arbitrale internationale, pour éviter tout malentendu.

On n'a pas hésité à affirmer que « l'idée de jurisprudence arbitrale doit être absolument bannie du droit du commerce international » 2. Le nombre croissant des sentences qui se réfèrent à la jurisprudence arbitrale, ou qui fondent leur solution sur des précédents arbitraux, ne permet pas d'accepter une opinion aussi péremptoire 3. Il est vrai que la jurisprudence arbitrale se présente sous des traits différents de ceux que l'on prête à la jurisprudence des tribunaux étatiques. Ceci pour trois raisons : la première est que la publicité des sentences arbitrales reste limitée, même si de grands progrès ont été faits dans ce domaine depuis une vingtaine d'années ; ensuite, les arbitres sont moins soucieux que les juges étatiques de la portée générale de la solution qu'ils donnent à un cas particulier, encore qu'ils soient de plus en plus conscients, la publication croissante d'extraits de sentences aidant, du caractère exemplaire que peuvent avoir certaines de leurs décisions ; enfin et surtout, il n'existe pas d'autorité comparable aux cours suprêmes des différents pays, capable d'assurer l'unité des solutions arbitrales.

Cependant, la portée de ces différences ne doit pas être exagérée, car elles n'existent que par référence à une conception idéale de la jurisprudence des tribunaux étatiques. Dans la réalité, il existe de nombreux pays où la publication des décisions judiciaires est quasiment inexistante, et de nombreux magistrats sont plus attachés à résoudre, dans le meilleur intérêt de la justice, les situations de faits qui leur sont soumises qu'à fixer des règles de droit. Enfin, si le rôle unificateur des cours suprêmes n'est pas discutable, il n'est indispensable qu'à l'unité de la jurisprudence, mais pas à son existence. Par rapport à un problème donné, il faut souvent que s'écoule une dizaine d'années avant que l'unité de la jurisprudence soit réalisée par un arrêt de la Cour Suprême, dont le caractère d'arrêt de principe est incontestable. Nul ne prétend pour autant qu'il n'existe pas de jurisprudence entre-temps. Simplement, la jurisprudence est divisée en plusieurs tendances dont l'importance respective s'évalue à la fois en fonction du nombre des décisions appartenant à chacune d'entre elles, et de l'autorité propre des juridictions ou des magistrats qui les ont rendues. II n'est, de plus, pas exceptionnel qu'à un moment donné, une décision d'une juridiction inférieure, présidée par un magistrat renommé, soit plus représentative de la jurisprudence que les solutions acquises de la Cour Suprême. II en va de même lorsqu'un nombre important de décisions des juridictions inférieures, contraires à la position connue de la Cour Suprême, préfigure une évolution de celle-ci, qui n'aura peut-être l'occasion d'intervenir que bien des années plus tard.

Par conséquent, si la jurisprudence arbitrale ne peut être purement et simplement assimilée à celles des tribunaux étatiques, les différences entre celle-ci et celles-là ne sont pas telles que 377 l'on doive rejeter une expression, aujourd'hui couramment utilisée pour exprimer l'ensemble des solutions propres aux sentences arbitrales. L'existence même de ces solutions, réparties en tendances dont le nombre restreint est plus significatif d'unité que de division, suffit à établir celle de la jurisprudence arbitrale. L'essentiel est d'avoir conscience de sa spécificité, que l'adjectif « arbitral » suffit sans doute à exprimer.

L'existence de la jurisprudence arbitrale, avec les précisions qui viennent d'être données, étant considérée comme un acquis, il reste à s'interroger sur la place qu'elle confère à l'obligation de minimiser le dommage et le rôle qu'elle lui fait jouer.

I. L'OBLIGATION DE MINIMISER LE DOMMAGE, PRINCIPE DE LA LEX MERCATORIA

5. La lex mercatoria est définie comme un ensemble de règles matérielles nationales propres aux relations du commerce international. Cet ensemble se compose d'usages (pratiques professionnelles codifiées ou non, contrats-types, etc.) et de principes généraux 4. Ces principes, dont l'origine se trouve le plus souvent dans les droits nationaux, ne pulsent pas leur autorité dans ces droits eux-mêmes, mais dans ce que les opérateurs du commerce international ont conscience qu'ils sont des règles coutumières propres au commerce international 5. L'étude de la jurisprudence arbitrale internationale révèle que l'obligation de minimiser le dommage est l'un de ces principes de la lex mercatoria.

6. La sentence précitée, rendue dans l'affaire nº 3344, illustrait l'attitude d'arbitres fondant l'obligation de minimiser le dommage sur la jurisprudence arbitrale internationale plutôt que sur le droit algérien applicable au contrat, qui connaissait pourtant cette obligation. Une telle attitude peut être considérée comme générale, la référence à un droit national faisant figure d'exception parmi les sentences dont les extraits ont été publiés, soit depuis 1974 au Clunet, soit depuis 1976 au Yearbook Commercial Arbitration. On donnera ci-après un exemple d'une de ces rares exceptions. II s'agit d'une sentence rendue à New York, en 1981, sous l'égide de la Society of Maritime Arbitrators 6, d'où est puisé l'extrait suivant :

"With respect to the mitigation issue in general, a shipowner is required to minimize damages he has sustained as a result of a wrongful cancellation of his vessel. However, once affirmative action is taken to find substitute employment to reduce damages it is then the defaulting charterer's burden to support allegations he may raise with respect to the propriety of the efforts or whether they constituted a proper mitigation effort. The weight of authority places the burden on the wrongdoer to show that the acts undertaken in mitigation of damages full short of the standard of ordinary and reasonable effort to minimize a loss. To satisfy that burden the defaulting parts must demonstrate that the shipowner's efforts were unreasonable. The standard of reasonableness is simply stated in Ellerman Lines Ltd v. the President Harding, 187 F, Supp. 948 (S.D.N.Y. 1960), aff'd 288 F, 2f 288 (2d Cir. 1961).

All that is required of the non defaulting parts in measuring his damage is that he acts reasonably so as not unduly to enhance the damages caused by the breach...

He (injured parts) is required only to use good faith and reasonable diligence in so doing. He is not required to use the best judgment possible or adopt the wisest course which hindsight might have dictated... (in Banco de Portugal v. Waterlow and Sons, Limited (1932), A.C. 452, 506), the rule was stated in the following manner :

Where the sufferer from a breach of contract finds himself in consequence of that breach placed in a position of embarrassment the measures which he may be driven to adopt in order to extricate himself ought not to be weighed in nice scales at the instance of the parts whose breach of contract has occasioned the difficulty. It is often easy after an emergency has passed to critizice the steps which have been taken to meet it, but such criticism does not come well from those who have themselves created the emergency. The law is satisfied if the parts placed in a difficult situation by reason of the breach of a duty owned to him as acted reasonably in the adoption of remedial measures and he will not be held disentitled to recover the cost of such measures merely because the parts in breach can suggest that other measures less burdensome to him might have been taken... "

7. II est certain que dans cette sentence, c'est la jurisprudence américaine qui guide les arbitres. On peut opposer à cette sentence, caractéristique en fait d'un système d'arbitrage national, de nombreux exemples de la grande majo- 378 rité des décisions qui, expressément ou implicitement, se fondent sur un principe de la lex mercatoria, bien qu'en usant d'une terminologie souvent incertaine, pour justifier l'obligation de minimiser le dommage. C'est le cas de la sentence rendue en 1972 dans l'affaire CCI nº 2103 7. En se référant, à l'exclusion de tout autre droit, « aux règles et usages généralement admis en matière commerciale et plus spécialement dans les relations commerciales internationales », l'arbitre estime qu'une partie, victime de la résiliation fautive d'un contrat, n'a droit à des dommages-intérêts que dans la mesure où elle a fait ce qui était en son pouvoir pour limiter le préjudice résultant de cette résiliation :

« Que, depuis cette date, A aurait dû s'efforcer de nouer de nouvelles relations, pour tenter de compenser le dommage résultant de la fin de son contrat avec B ;

Que A n'apporte pas la moindre justification de telles démarches ; qu'il parait toutefois raisonnable et équitable de penser que si A les avait entreprises, elle aurait pu diminuer, de moitié, le préjudice résultant de la rupture susdite. »

8. Dans l'affaire CCI nº 2478, qui a fait l'objet d'une sentence en 1974 8, les arbitres invoquent les principes généraux du droit pour affirmer qu'il appartient à la partie lésée de prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas augmenter le dommage :

« Le préjudice de la demanderesse apparaît certain. Le défaut de livraison d'une partie des produits pétroliers, faisant l'objet du contrat, l'a notamment obligée à procéder au remplacement des quantités manquantes pour faire honneur à ses propres engagements, contractés à l'égard de ses acheteurs français...

Pour calculer le montant exact de ce préjudice, il convient de tenir compte de la différence entre le prix fixé au contrat et le prix auquel la demanderesse a pu, ou aurait pu, se procurer les quantités manquantes... Quoi qu'il en soit du prix réellement payé par la demanderesse pour se procurer les quantités manquantes, il ne faut pas perdre de vue le fait, qu'en vertu des principes généraux du droit, qui trouvent d'ailleurs leur reflet dans les articles 42, alinéa 2 et 44, alinéa 1 du Code des obligations, il appartient à la partie lésée de prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas augmenter le dommage. Or, il s'avère que, lors de la réunion de Bucarest du..., la partie défenderesse avait offert à la demanderesse de lui fournir, pendant le deuxième trimestre de 1973 (x) tonnes de gasoil au prix de F ...... la tonne. Ce prix étant nettement inférieur aux prix pratiqués à l'époque sur le marché mondial des pétroles, la demanderesse, même si elle n'était pas d'accord sur cette augmentation du prix prévu au contrat, aurait dû accepter cette offre, afin de diminuer l'étendue du dommage, quitte à recourir ensuite à l'arbitrage, en requérant le maintien du prix contractuel. C'est donc la différence entre le prix contractuel de F ...... la tonne, et le prix offert en ...... de F...... la tonne, soit de F ......, qu'il convient de retenir pour base de calcul du préjudice subi par la demanderesse, du fait de la non-livraison des quantités prévues pour le deuxième trimestre 1973. »

II est remarquable que les arbitres voient dans les dispositions du droit applicable au contrat, consacrant l'obligation de minimiser le dommage, un reflet du principe général qu'ils s'appliquent, et non pas dans ce principe une règle commune à différents droits.

9. Une démarche semblable apparaît dans la sentence CCI rendue dans l'affaire nº 2404 de 1975 9. Alors que le droit français était applicable au litige, le tribunal arbitral ne se réfère qu'à la publication au Clunet d'une précédente sentence de 1974 (cf. infra, note nº 11) et qui ne faisait aucune mention du droit français pour affirmer :

« Considérant que tout tribunal appelé à juger d'un différend doit « prendre en considération toute possibilité de minimiser le préjudice. En effet, il arrive souvent que la partie lésée tâche de mettre toute la responsabilité du préjudice subi sur son cocontractant, alors qu'il lui aurait de toute évidence été possible de le réduire en agissant sans tarder dès qu'elle avait eu connaissance de la défaillance de celui-ci » (Journal du Droit International, 1974, 894).

10. Le plus souvent, cependant, les sentences arbitrales ne fournissent aucune information sur la norme dans laquelle elles puisent l'obligation de minimiser le dommage. On en donnera pour exemple trois sentences rendues sous l'égide de la CCI, dans les affaires nº 2139 10, nº 2142 11 et nº 2216 12 en 1974. Dans ces trois affaires, les arbitres étaient appelés à statuer sur le droit à dédommagement d'un vendeur .de pétrole, en raison de l'absence de prise de livraison de la part de l'acheteur. Dans les deux premières affaires, le droit éventuellement applicable au 379 contrat n'est pas évoqué par les arbitres. Dans la troisième, il s'agit du droit norvégien et, de plus, les arbitres ont les pouvoirs d'amiables compositeurs. Mais c'est en dehors de toute mention d'une règle de droit, nationale ou anationale, que les arbitres font application en fait, sans le formuler expressément, du principe selon lequel le créancier d'une obligation inexécutée doit minimiser son dommage.

Affaire nº 2139

« Considérant que, s'il est constant que X a commis une faute génératrice de dommages et intérêts, il est non moins certain que le contrat litigieux ne comporte aucune disposition quant à la fixation de leur montant en cas d'inexécution fautive par l'une ou l'autre des parties.

Considérant que (l'entreprise étatique) ne rapporte pas plus la preuve de l'étendue exacte de son préjudice, qu'elle fixe en recourant à des éléments de calcul arbitrairement retenus par elle,

Considérant cependant qu'il résulte des documents exhibés au Tribunal par (l'entreprise étatique) qu'une pénalisation de (x) dollars US par (unité de charge de matière première), non livrée ou non enlevée, est usuelle en la matière et qu'elle figure dans de nombreux contrats de vente,

Considérant qu'aux termes des articles 3 et 6 combinés du contrat du ...... la quantité ...... qui devait être enlevée fait de ...... tonnes pour l'année ......, soit ...... tonnes par mois,

Considérant que, compte tenu de l'organisation et de l'importance internationale de (l'entreprise étatique), le Tribunal estime équitable de limiter à la quantité mensuelle de ...... tonnes, la pénalisation à faire supporter par X au taux usuel de (x) dollars US par (unité de charge de matière première). »

Affaire nº 2142

« Attendu que (la demanderesse) explique que l'immobilisation des quantités (du produit) tenues à la disposition de l'acheteur engendre, outre les frais dé stockage proprement dit, des perturbations du rythme normal de ses installations de transport et de production,

Attendu que devant une telle défection, il est légitime d'admettre que la (demanderesse) n'a pu écouler la marchandise dans des conditions satisfaisantes,

Attendu, cependant, que la (demanderesse) ayant notifié le ...... la résiliation du contrat pour le ......, le Tribunal estime que la (demanderesse), compte tenu de son organisation et de son importance internationale, devait trouver d'autres acheteurs pour le ...... au plus tard,

Attendu qu'ainsi la demande de réparation sur ...... mois est excessive et qu'il convient de la limiter aux quantités qui auraient dû être enlevées en ......, soit ...... pour chacun de ces ...... mois. »

Affaire nº 2216

« Attendu d'autre part que, outre le préjudice résultant de la différence de prix selon les cours du pétrole à l'époque pertinente, il est probable que l'immobilisation des quantités de pétrole tenues à la disposition de l'acheteur, pendant les deux mois considérés, a entraîné certains frais de stockage et perturbé le rythme normal de fonctionnement des installations pétrolières,

Que le Tribunal estime que le trouble commercial et industriel, ainsi causé à l'entreprise venderesse, a constitué une source supplémentaire de préjudice donnant droit à réparation,

Attendu que le Tribunal, qui estime quasi impossible d'évaluer de manière précise un tel préjudice, possède néanmoins suffisamment d'éléments d'appréciation pour, en faisant usage de ses pouvoirs d'amiable compositeur, fixer un montant équitable,

Qu'en fixant ce montant, le Tribunal tiendra compte aussi de divers éléments lui permettant de réduire et modérer le chiffre auquel il aurait pu s'arrêter en d'autres circonstances,

Que, parmi ces éléments d'appréciation, le Tribunal a estimé qu'il convenait de tenir compte de l'excellente organisation industrielle de l'entreprise venderesse, ce qui donne aux installations de celle-ci la souplesse nécessaire pour absorber ou atténuer des incidents de parcours de la nature décrite ci-dessus,

Qu'à ce titre, la sanction infligée à X pour la rupture de contrat dont elle est responsable devrait rester dans des limites raisonnables,

Qu'enfin le Tribunal, tout en estimant qu'en droit strict et dans des affaires de cette nature, il devait, comme il a été indiqué plus haut, se placer à la date où le dommage a été consommé pour en calculer le quantum, ne pouvait pas être insensible, dans le cadre de ses pouvoirs d'amiable compositeur, à l'évolution ultérieure, tout à fait spectaculaire, des prix du pétrole en faveur du producteur,

Que, pour tous ces motifs, le Tribunal a décidé d'arrêter, ex aequo et bono, à 285 000 dollars US le montant du préjudice imputable à d'autres causes que la différence, dûment reconnue, des cours du pétrole à l'époque considérée. »

11. On constate ainsi que, statuant ou non dans le cadre d'un droit étatique déterminé, ayant ou n'ayant pas les pouvoirs d'amiables compositeurs, les arbitres adoptent des solutions presqu'identiques : les dommages-intérêts sont réduits parce que le demandeur, compte tenu de son organisation, est présumé avoir été capable de minimiser son dommage, ce qui implique comme présomption préalable qu'il était obligé de le minimiser.

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Aussi ne s'étonnera-t-on pas qu'en 1981, la sentence précitée, rendue dans l'affaire nº 3344 (cf. supra, nº 1), ait affirmé que la jurisprudence arbitrale internationale oblige le créancier à prouver qu'il a pris toutes les mesures pour limiter son dommage.

L'obligation de minimiser le dommage apparaît donc bien comme un principe de la lex mercatoria, constaté et consacré par la jurisprudence arbitrale internationale.

II. ROLE ET SIGNIFICATION DE L'OBLIGATION DE MINIMISER LE DOMMAGE DANS LA JURISPRUDENCE ARBITRALE INTERNATIONALE

12. Les sentences qui viennent d'être mentionnées sont presque toutes rendues en matière d'inexécution de contrat de vente ou de résiliation de contrat de représentation ou de concession. Elles révèlent, ce qui n'est pas pour surprendre, que l'obligation de minimiser le dommage joue essentiellement un rôle en ce qui concerne l'évaluation du préjudice par les arbitres. L'évaluation des dommages-intérêts étant une question de fait, laissé à l'appréciation de l'arbitre, l'exécution ou l'inexécution de l'obligation de minimiser le dommage est un élément qui retient l'arbitre pour fixer le montant des dommages-intérêts.

13. Dans la majorité des cas, l'arbitre se contente de présumer l'exécution de cette obligation pour réduire le montant des dommages-intérêts réclamés. Les sentences rendues dans les affaires CCI nº 2139, 2142 et 2216 (cf. supra, nº 10) en témoignent. Les arbitres estiment que le vendeur de pétrole était, compte tenu de son « organisation et de son importance internationale » ou de son « excellente organisation industrielle », capable de minimiser le dommage résultant du non-enlèvement fautif des quantités achetées. Les arbitres ne cherchent pas à savoir si le dommage a été effectivement minimisé, ils le présument et réduisent en conséquence les dommages-intérêts.

14. II est cependant certains que le créancier de l'obligation inexécutée ne saurait apporter la preuve qu'il n'a pas tenté de minimiser le dommage. Ce serait alors la preuve de sa propre faute qui, combinée avec celle du débiteur, constituerait une des causes du préjudice général qu'il a subi. La sentence rendue dans l'affaire nº 2478 (cf. supra, nº 8) le dit expressément, puisqu'il est reproché à un acheteur de pétrole de n'avoir pas accepté de payer au vendeur un prix supérieur au prix contractuel, mais inférieur au prix du marché, pour minimiser son dommage, quitte à demander ensuite, par voie d'arbitrage, la différence entre le prix contractuel et le prix arbitrairement fixé par le vendeur. En ne se fournissant pas, à titre provisoire, au prix fixé à tort par le vendeur, mais au prix du marché, l'acheteur a commis une faute qui est cause d'une partie de son préjudice. La constatation par l'arbitre du défaut d'exécution de l'obligation de minimiser le dommage apparaît donc comme la constatation d'une faute.

15. La sentence rendue dans l'affaire CCI nº 3344 (cf. supra, nº 1) exige du créancier qu'il prouve avoir pris toutes les mesures pour minimiser son préjudice, lorsqu'il demande réparation de celui-ci. C'est là l'indication de ce que la présomption selon laquelle le créancier était capable de minimiser le dommage n'est pas une présomption irréfragable. En effet, si le créancier établit qu'il a pris toutes mesures raisonnables pour minimiser le dommage, mais que ces mesures sont restées sans effet, il aura droit alors à l'intégralité de la réparation de son préjudice.

16. L'obligation de minimiser le dommage peut également se transformer en obligation de minimiser à l'avance les risques de dommage. Une sentence rendue à Hambourg, en 1977 13 en offre un exemple, en ce qu'elle estime sans se référer au droit allemand, pourtant applicable, que le créancier d'une somme en devise étrangère ne peut, en cas de retard de son débiteur, demander réparation de la dépréciation de cette devise, car il aurait dû se couvrir contre le risque de change :

"However, when, as in the present case, the foreign currency fluctuates because the rate of exchange is freely determined on the money market, the foreign money creditor is not entitled to expect that the exchange rate remains stable and that he will not sustain a loss of exchange.

The rate of exchange between the British pound and the German mark has been free on the money market since June 23, 1972. On November 4, 1974, the date upon which the amount was charged to the claimant's account, the exchange rate of the British pound had fallen to DM 6.015. The foreseeable risk of further depreciation of the British 381 pound could have been minimized by obtaining a guaranty against exchange rate fluctuations (Kurstchergunsggeschaft). Such a guaranty can be obtained for periods ranging from one day to five years. A domestic creditor is expected to hedge himself against the risk of the exchange rate, which entails relatively minor expenses.

This also applies to the claimant in the present case, involving imports from East Africa. It was possible to foresee not only that the British pound would continue to decline, but also that a delay in the delivery of the goods might occur. To that extent, the claimant had a duty to mitigate damages. The claimant did not comply with this duty, and must bear the loss, which, incidentally, has become noticeably less as a result of the recovery of the exchange rate of the British pound as of December 1976. »

17. Si la victime d'une violation d'une obligation contractuelle est tenue de minimiser son dommage, le débiteur de l'obligation qui la prive de la possibilité de procéder à cette minimisation se rend coupable d'une faute particulière. On en trouvera confirmation dans une sentence rendue aux Pays-Bas, en 1981 14, les arbitres décidant « in equity and in conformity with international standards ». Le litige concernait la résiliation pour faute d'un contrat d'agence, qui prévoyait un préavis de résiliation de six mois. Les arbitres constatèrent que la rupture du contrat, par la faute du commettant, donnait droit à l'agent à des dommages-intérêts de nature à le mettre dans la même position que si le contrat avait été dénoncé avec le préavis de six mois convenu. Mais ils estimèrent que ce dédommagement ne pouvait se limiter à une compensation du chiffre d'affaires perdu, soulignant que si le préavis avait été respecté, l'agent aurait pu progressivement réduire ses coûts pendant la période de six mois et, qu'ayant été privé de cette possibilité par son cocontractant fautif, il avait droit à un dédommagement complémentaire.

_____________________________

13. La jurisprudence arbitrale internationale, qui a élevé l'obligation de minimiser le dommage, bien connue dans de nombreux droits nationaux, au rang de principe de la lex mercatoria, lui attribue un rôle important dans la pratique. On ne s'en étonnera pas, car cette obligation se relie aisément à d'autres constantes de la jurisprudence arbitrale.

Tout d'abord l'obligation de minimiser les pertes se rattache souvent à une conception dynamique des échanges : les arbitres sanctionnent, par la réduction des dommages-intérêts, l'attitude consistant à attendre un dédommagement de la partie qui n'exécute pas un contrat plutôt que de nouer de nouvelles relations commerciales saines.

C'est dans le même esprit que les arbitres font en sorte que soit réservée la plus grande efficacité aux clauses de résiliation automatiques qui figurent dans les contrats, de façon à ce qu'il puisse être rapidement mis fin à des contrats qui battent de l'aile et que soient conclus de nouveaux contrats 15.

Ensuite, lorsqu'ils ont recours à l'obligation de minimiser le dommage, les arbitres s'appuient largement sur la présomption de compétence professionnelle des opérateurs du commerce international, autre principe de la lex mercatoria 16. Cette présomption est généralement utilisée pour refuser d'admettre qu'un cocontractant ne se soit pas engagé en parfaite connaissance de cause, mais il ne fait pas de doute qu'elle sous-entend la présomption selon laquelle le créancier de l'obligation inexécutée était capable de minimiser son dommage.

Enfin, l'obligation de minimiser le dommage participe du devoir de coopération que les arbitres font peser sur les parties à un contrat international, et qu'évoquait une sentence rendue en 1975, dans l'affaire CCI nº 2291 17 : « Les conventions doivent s'interpréter de bonne foi, chaque partie ayant l'obligation d'avoir à l'égard de l'autre un comportement qui ne puisse lui nuire ». Une sentence rendue en 1980, sous l'égide de la Chambre Arbitrale pour les fruits, légumes et primeurs frais et comestibles CEE de Strasbourg 18 se fait l'écho de cette parenté entre l'obligation de minimiser le dommage et le devoir de coopération. II s'agissait de l'attitude qu'aurait dû adopter un acheteur, qui avait rejeté à tort un lot de pommes de terre et l'avait revendu, pour exécuter son obligation de minimiser le dommage:

"Considering in addition that Defendant, even in case of a justified rejection of the merchandise, has the obligation to sell the 382 goods with as much advantage as possible for the account of whomever is entitled thereto, which is different from a sale by order, the latter necessitating agreement between the two parties...

That Defendant should have known, being a professional in this field, that potatoes delivered as "primeur" are subject to quick deterioration and should therefore be sold quickly.

That by further transporting the goods in his attempt to sell them elsewhere he did not take these circumstances into account."

On peut ici constater que le devoir de coopération, la présomption de compétence professionnelle et l'obligation de minimiser le dommage sont étroitement liés. Mais le juge a-t-il des préoccupations vraiment différentes lorsque, comme la Cour d'Appel de Liège, dans un arrêt du 24 juin 1986, il sanctionne la faute commise par la partie lésée, « dans la gestion des intérêts du débiteur de la réparation ? 19.

*Membre du Conseil International de l'Arbitrage Commercial (ICCA) Ancien Secrétaire Général de la Cour d'arbitrage de la CCI.
1En ce sens cf. B. Goldman « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage international: réalité et perspectives » Clunet 1979, p. 475.
2A. Kassis, Théorie générale des usages du commerce, p. 511.
3Cf, par exemple la sentence rendue dans l'affaire CCI nº 4381, en 1986 à paraître au Clunet 1986, nº 4, obs. Derains.
4En ce sens cf. B. Goldman, op. cit. p. 478.
5En ce sens cf. B. Goldman, op. cit., p. 485, 487, 489.
6Cf. Yearbook Commercial Arbitration, 19, p. 171.
7Cf. Clunet 1974, 902, obs. Derains.
8Cf. Clunet 1975, 925, obs. Derains.
9Cf. Clunet 1976, p. 995, obs. Derains.
10Cf. Clunet 1975, p. 929, obs. Derains.
11Cf. Clunet 1974, p. 892, obs. Thompson.
12Cf. Clunet 1975, p. 917, obs. Derains.
13Cf. Yearbook Commercial Arbitration, 1978, p. 202.
14Cf. Yearbook Commercial Arbitration, 1983, p. 89.
15Cf. par exemple la sentence rendue dans l'affaire CCI nº 1675, Clunet 1974, p. 895, obs. Derains.
16Cf. par exemple les sentences rendues dans les affaires CCI nº 3380 et 3130 en 1980, Clunet 1981, pp. 927 et 931, obs. Derains.
17Clunet 1976, p. 989, obs. Derains.
18Yearbook Commercial Arbitration, 1983, p. 118.
19Cf. rapport du Prof. Roger O. Dalcq : « L'obligation de minimiser le dommage dans la responsabilité quasi délictuelle ».

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