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Fouchard, Philippe, L'Arbitrage Commercial International, Paris 1965

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Fouchard, Philippe, L'Arbitrage Commercial International, Paris 1965
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411 et seq.

C'est ainsi que la Chambre de commerce internationale a déjà pu codifier un certain nombre de règles du commerce international, soit en matière de crédit documentaire (Règles et Usances uniformes relatives aux crédits documentaires)49, d'effets de commerce50, soit pour l'interprétation uniforme de termes commerciaux couramment utilisés dans les contrats internationaux (Incoterms)51 ; ces Incoterms, notamment, sont utilisés par les praticiens du monde entier, y compris les entreprises de commerce extérieur socialistes52.

[...] Tous ces documents révèlent, consacrent, ou fixent un certain nombre d'usages commerciaux internationaux susceptibles de s'appliquer de manière générale à telle ou telle catégorie d'opérations de commerce international ; on a montré53 comment ils « s'articulent » pour former des normes coutumières de plus en plus universelles.

428 et seq.

Ainsi, dans la sentence de l'Aramco, le Tribunal arbitral a refusé d'appliquer les conceptions du droit administratif français, invoquées par le Gouvernement saoudien, en matière de concession de service public. Le Gouvernement soutenait que la puissance publique concédante a toujours un pouvoir de révision unilatérale des clauses de la concession, lorsque, les circonstances ayant changé, une adaptation de celle-ci est rendue nécessaire dans l'intérêt du service public. Il attribuait aux règles françaises sur l'imprévision une valeur universelle, « en ce que les principes qui y sont suivis seraient l'expression de principes généraux du droit reconnus en matière de concession par les nations civilisées »10. Les arbitres ont rejeté cette argumentation, estimant que le droit français n'avait en tant que tel aucun point de contact avec le litige, et que les principes qu'il admet n'ont pas une valeur universelle ; il a notamment contesté qu'une concession pétrolière se rattache à l'exécution d'un service public. On pourrait discuter cette dernière affirmation ; on pourrait aussi se demander si la clause rebus sic stantibus et ses conséquences en droit administratif français ne correspondent pas effectivement à un principe général du droit qu'il faudrait introduire dans ce genre de rapports internationaux11. Les arbitres n'ont pas voulu aller aussi loin, et ont préféré appliquer d'autres principes généraux de droit, et de droit privé, plus solidement implantés sur le plan international.

[...]

431

Dans le domaine des obligations extracontractuelles il suffit de signaler la sentence rendue par un tribunal arbitral international le 2 septembre 1930, entre la société anglaise Lena Goldfields Co et l'Union soviétique, qui avait concédé à cette société l'exploration et la recherche minière sur des territoires russes étendus ; la clause compromissoire stipulait :

« En ce qui concerne la présente convention, les parties fondent leurs relations sur le principe de la bonne volonté et de la bonne foi, ainsi que sur l'interprétation raisonnable de la présente convention »16.

C'était vague, sinon insuffisant. Les arbitres n'ont pu se contenter de ces directives et ont voulu statuer en droit ; ils ont fait la distinction suivante : pour toutes les questions d'ordre interne, et notamment l'exécution du contrat sur le territoire de l'U.R.S.S., ils ont appliqué la loi soviétique, « loi du contrat » ; mais pour toutes les autres questions, la « loi applicable » était constituée, selon eux, par les principes généraux du droit tels que reconnus à l'article 38 du Statut de la C. P. J. I, et cela, notamment, parce que, dans de nombreuses clauses de la concession on envisageait l'application de principes juridiques internationaux plutôt qu'internes. Au sujet de l'indemnisation des dommages (non contractuels), le Tribunal arbitral a déclaré fonder sa sentence sur le principe de l'enrichissement sans cause, en tant que principe général de droit reconnu par les nations civilisées.

[...]

432 et seq.

La formation du contrat est subordonnée, dans tous les droits nationaux, à l'existence d'un consentement, et d'un consentement exempt de vices. L'existence du consentement soulève le problème classique de l'acceptation tacite d'un contrat, ou des conditions générales qui l'accompagnent. Les arbitres ont toujours estimé que l'acceptation tacite, par silence, d'un contrat est valable : ainsi M. Nolen, avocat hollandais, arbitre d'un litige surgi entre un industriel français et une société belge qui n'avait pas livré des produits chimiques que lui avait achetés le premier et prétendait qu'elle n'avait signé aucun contrat de vente, déclara, dans sa sentence du 10 mars 1934 (C. C. I., affaire nº 543) :

« Si dans le commerce et l'industrie les parties entretiennent une correspondance sur leurs rapports mutuels et la marche de leurs affaires, celle d'entre elles qui reçoit de l'autre une lettre contenant des communications importantes, contre lesquelles elle ne proteste pas, doit être supposée d'accord. Ce principe indispensable est généralement admis dans les cercles commerciaux et doit être aussi reconnu comme juste en droit »18.

L'arbitre, qui était cependant amiable compositeur, a donc statué en application d'un principe général de droit commercial ; il a estimé que la société belge, en ne répondant pas aux communications précises de son acheteur habituel qui lui demandait des livraisons périodiques d'un produit déterminé, a accepté tacitement cette proposition, et doit indemniser l'acheteur du préjudice que lui a causé le défaut de livraison. Nous avons déjà rencontré plusieurs sentences affirmant, en termes voisins, ce même principe19, qui n'est d'ailleurs pas inconnu des droits nationaux.

[...]

434

L'interprétation des contrats obéit également, chez les arbitres du commerce international, à des règles générales communes, celles qui « ont été dégagées par la doctrine et surtout par la jurisprudence internationale en correspondance étroite avec les règles d'interprétation des contrats adoptées à l'intérieur des nations civilisées », pour reprendre l'expression du Président Cassin, dans sa sentence du 10 juin 1955 précitée ; pour sa part, se fondant sur la jurisprudence de la C. P. J. I. et la doctrine internationale, le Président Cassin dégagea plusieurs de ces principes généraux d'interprétation des contrats :

« Que parmi ces règles d'interprétation, il faut notamment avoir présent à l'esprit : -le principe fondamental de la bonne foi qui régit soit l'interprétation, soit l'exécution des conventions et incite à rechercher la commune intention des Etats contractants... -la prise en considération du but de l'accord, et des circonstances de temps et de milieu dans lesquelles il a été conclu... -la règle de l'effet utile selon laquelle on doit supposer que des rédacteurs d'une clause ont voulu donner à celle-ci une signification réelle et une portée opérante... enfin, la règle qu'il n'y a pas lieu de se livrer à une interprétation de clauses qui sont claires et précises....»

[...]

435

Dans les contrats non spéculatifs, les arbitres ont généralement cherché la véritable intention des parties, pour interpréter un contrat, réellement obscur ou parfaitement clair, en faveur du créancier.

[...]

436

Mais tout aussi classique est la question qu'elle fait naître : à quelle date doit s'effectuer la conversion des dollars en livres23 ? A la date des conclusions du contrat ? A la date d'échéance ? A la date du paiement effectif ? L'arbitre a choisi cette dernière parce qu'elle lui semblait admise par l'ensemble des nations :

« Considérant que la pratique législative, conventionnelle et jurisprudentielle internationale, comme celle de la grande majorité des nations, admet que le taux de conversion de la monnaie de compte en la monnaie de règlement est celui de l'époque du paiement de la dette. »

Et il mentionne en ce sens l'article 49 de la loi uniforme adoptée par la Convention de Genève du 7 juin 1930 relative à la lettre de change et au billet à ordre, et les deux arrêts du 12 juillet 1929 rendus par la C. P. J. I. dans l'affaire des emprunts serbes et brésiliens. Mais l'arbitre ne s'est pas contenté de cet appui « majoritaire » ; il constate que la jurisprudence des pays de common law, partant d'un système différent aboutit souvent à des solutions très proches de cette tendance dominante. Et surtout, il estime :

« qu'il importe plutôt de dégager les motifs concordants qui commandent d'appliquer au présent litige le système de la conversion au jour du paiement effectif »...

[...]

440

Ainsi, sans se référer à une loi nationale quelconque, mais en se fondant sur des règles générales d'interprétation des contrats et les conditions particulières du commerce international, les arbitres, de nationalités très diverses, ont été unanimes à refuser un ajustement de la monnaie de paiement dans des ventes internationales spéculatives dont les stipulations claires n'étaient pas susceptibles d'interprétation. Ils ont très certainement dégagé, ce faisant, une norme internationale d'interprétation des contrats.

[...]

441 et seq.

[L]'arbitre grec d'un litige italo-jordanien [...] usa de la même méthode pour déterminer si des intérêts moratoires pouvaient être réclamés après uns mise en demeure :

« considérant que selon l'article 1244 du C. civ. italien, en cas d'obligation ayant pour objet une somme d'argent, le débiteur doit, dès qu'il est mis en demeure, des intérêts moratoires ; que cette disposition correspond à un principe généralement admis par les législations nationales. »

[...]

De nombreuses sentences ont également analysé la notion de force majeure, en dehors de toute référence à une loi nationale, et ses effets (suspension, mais non annulation des Obligations non remplies)33, et calculé lé préjudice résultant d'un refus d'exécution du contrat (qui consistera dans la différence de cours intervenue entre la date de conclusion du contrat et celle où l'acheteur s'est procuré ailleurs le même produit)34.

A propos de litiges contractuels, des principes encore plus généraux ont été appliqués, qui sont d'ailleurs connus dans la plupart des pays sous forme de maximes latines ; sans insister sur celle que rappelait le Président Cassin dans sa sentence précitée, selon laquelle la charge de la preuve incombe au demandeur (actori incumbit probatio), qui est universellement admise, d'autres principes généraux sont constamment utilisés par les arbitres :

- « le principe général de l'effet obligatoire des contrats », auquel s'en tient un arbitre français pour poursuivre l'exécution de la clause compromissoire (pacta sunt servanda) ;

- le principe de l'effet relatif des contrats (res inter alios acta), que la sentence Aramco a invoqué pour écarter les effets de l'accord entre le Gouvernement saoudien et M. Onassis dans les rapports entre le Gouvernement et l'Aramco, et qu'un éminent arbitre suisse, dans une sentence récente, retient pour écarter une clause d'un statut de société limitant la responsabilité d'un associé :

« Une telle clause, juge-t-il, n'est pas opposable au tiers de bonne foi qui, ignorant le contenu de l'acte constitutif, pour lui res inter alios acta, a pu s'en tenir aux indications du contrat qu'il a souscrit, et selon lequel son partenaire apparaît comme une société en nom collectif ordinaire, c'est-à-dire dont les associés sont personnellement responsables. »

[...]

49Formules normalisées pour les ouvertures de crédits documentaires; cf. Stoufflet, Le crédit documentaire, p. 100 et s., n. 100 et s.
50Règlement uniforme pour l'encaissement des effets de commerce (1957).
51Incoterms 1953, Règles internationales pour l'interprétation des termes commerciaux ; cf. Ph. Kahn, op. cit., p. 28 et s
52Ils sont reproduits par la Chambre de commerce de l'U. R. S. S. dans sa publication de 1958 consacrée aux Usages commerciaux internationaux, p. 132 et s. ; ils sont également applicables dans de nombreux contrats-types d'entreprises socialistes, comme Cetebe ou Varimex en Pologne, Centrotex en Tchécoslovaquie.
53Cf. Ph. Kahn, op. cit., p. 20 et s.
10Motifs de la sentence, Revue, 1963. 351.
11Sur les difficultés de cette nature, cf. G. Fischer, « La souveraineté sur les ressources naturelles », Ann. fr. dr. int. 1962. 516 ; cet .auteur souligne (p. 522) « la volonté des pays prolétaires de contester les règles traditionnelles d'un droit international élaboré par et pour les Etats nantis, « civilisés »... ». L'affaire Aramco révèle de manière significative ce conflit, que la sentence n'a pas vraiment résolu.
16V. Amador, rapport précité, Annuaire de la Commission du droit international, 1959, II, p. 27, nº 108 ; Nussbaum, "The Arbitration between the Lena Goldfields Ltd and the Soviet Government", Cornell law Quarterly (1950), vol. 36, p. 51.
18Sentence publiée dans L'Économie Internationale, décembre 1934, p. 7.
19V. supra, n. 136 et 600.
23Sur cette question, v. notamment Kahn, op. cit., p. 193.
33En ce sens, sentence Nolen, citée supra, nº 615.
34Sentence récente rendue par un arbitre français dans un litige commercial germano-turc ; sentence Nolen précitée, etc.

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